Tatouages connectés: gadget ou révolution?

Dernière mise à jour 11/10/18 | Article
Serons-nous tous tatoués demain? Le tatouage que l’on connaît aujourd’hui, esthétique et silencieux, pourrait bien devenir technologique et interactif.

De nombreux dispositifs prometteurs sont à l’étude. Que ce soit pour collecter des données de santé, détecter des maladies ou piloter à distance un traitement, des tatouages «nouvelle génération» devraient bientôt coloniser notre épiderme. Véritable avancée ou nouveau gadget high-tech?

La santé sous haute surveillance

Imaginez que votre peau puisse communiquer en temps réel quantité de données vitales… C’est la promesse de nombreux dispositifs –pour la plupart simplement à des stades expérimentaux– qui utilisent différentes méthodes pour collecter des informations à la surface de l’épiderme. Une équipe de l’Université du Texas a ainsi développé l’Electronic tattoo, un tatouage sous forme de patch qui s’applique sur la peau et monitore différents signaux biométriques comme la fréquence cardiaque, l’activité musculaire ou encore la température du corps. Il est conçu pour récupérer et stocker des données et pourrait, dans une prochaine phase de développement, les analyser ou encore les transmettre à un médecin.

Le potentiel d’un tel dispositif est donc sans limites. On peut imaginer l’utiliser dans la surveillance de malades, de nouveau-nés prématurés, de sportifs de haut niveau… «Le tatouage lui-même n’est qu’un bout du dispositif interactif global,explique le Pr Antoine Geissbuhler, médecin-chef du Service de cybersanté et télémédecine des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). Il pourra transmettre ses données à un smartphone via un algorithme et piloter, par exemple, un pacemaker ou une pompe à insuline».

Rapprocher toujours plus la technologie de l’humain, voilà la démarche dans laquelle s’inscrit la recherche. «Le but de ces dispositifs qui se placent à la surface du corps pour mesurer des données est de permettre une corrélation entre différentes informations qui s’y trouvent», ajoute le Pr Geissbuhler. Car sur la peau, beaucoup de choses peuvent se lire: la sueur, qui elle-même contient de nombreuses informations, mais aussi le pouls, la température, etc.

Améliorer le quotidien des malades

Basés sur un principe de collecte via des biocapteurs perfectionnés, ces patchs ont de nombreux types d’utilisation: mesurer le niveau d’alcool ingéré, l’exposition aux UV, à des produits chimiques, à une radiation… puis analyser et transmettre des recommandations à l’utilisateur par le biais de son smartphone par exemple. Allongé depuis trop longtemps sur votre transat, vous pourriez ainsi recevoir une alerte vous conseillant de vous mettre à l’ombre ou de ne pas commander un troisième mojito.

Des perspectives très larges qui, dans le domaine de la santé, laissent surtout envisager une amélioration du quotidien des malades, comme les diabétiques. Dans ce domaine, de nombreux dispositifs sont à l’étude, tel le Dermal Abyss, un tatouage à l’encre composé de biocapteurs qui permet de contrôler en temps réel la glycémie. En fonction du taux enregistré, l’encre change de couleur: elle passe du bleu au brun et indique ainsi au patient qu’une injection d’insuline est nécessaire.

Le principal intérêt de cette méthode: elle permet aux diabétiques d’éviter leurs piqûres quotidiennes. «Je vois deux principaux avantages à ces tatouages technologiques, en plus de leur discrétion: d’une part, ils ne sont pas invasifs, et d’autre part, ils permettent de collecter des données en continu, explique le Pr Antoine Geissbuhler. On pourra ajuster une dose d’insuline, détecter une arythmie de façon instantanée ou d’autres maladies, comme le cancer».

Dans le domaine de l’oncologie, la technologie de ces «tatouages» fait en effet l’objet de recherches poussées. Parmi elles, celle d’une équipe de scientifiques de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), qui a développé un capteur capable de détecter à un stade très précoce différents types de cancers (prostate, poumon, sein et côlon). Il ne s’agit là pas véritablement d’un tatouage, mais plutôt d’un dispositif sous-cutané qui se colore lorsque le niveau de calcium dans le sang s’élève, indiquant potentiellement le développement d’une tumeur.

Objets de santé ou gadgets technologiques?

Bien que très prometteurs, tous ces dispositifs restent néanmoins à l’état expérimental et le chemin à parcourir avant leur commercialisation est long. Au-delà de leur fiabilité, la question de leur innocuité se pose. En contact permanent avec la peau, ils sont composés de matériaux divers (graphène, silicium, métal, produits chimiques, encres, colles, etc.) dont certains potentiellement allergènes ou irritants. «Pour l’instant, nous n’avons pas de recul sur les effets de ces dispositifs sur la peau, précise le spécialiste des HUG. Mais l’exposition à ces métaux ne sera a priori pas très éloignée de celle qui existe déjà au travers des différents objets avec lesquels nous sommes quotidiennement en contact physique étroit, comme les montres, les bijoux ou les téléphones».

En parallèle de ces dispositifs de santé, le tatouage technologique offre plus largement des perspectives dans les usages quotidiens. Imaginez répondre au téléphone, piloter votre ordinateur, monter le volume de la musique ou encore régler l’intensité lumineuse d’une pièce, à distance et simplement en appuyant sur votre tatouage comme sur un clavier. Une équipe de chercheurs américains du MIT Media Lab travaille actuellement sur la technologie miniaturisée DuoSkin, un tatoo high-tech ultra fin qui utilise la feuille d’or (robuste et non toxique pour la peau) comme conducteur. Il se fixe sur la peau avec de l’eau (par décalcomanie) et agit comme une interface digitale permettant de saisir, stocker et transmettre des informations ou encore piloter à distance des appareils mobiles.

«La notion de patch elle-même n’a rien de vraiment révolutionnaire par rapport à un autre dispositif de contact comme une électrode ou une montre», tempère le Pr Geissbuhler. Franchir la barrière de la peau pour connecter davantage le monde électronique au monde du vivant, voilà où se situera sûrement la vraie avancée. «Je pense que c’est la prochaine frontière: créer des dispositifs électroniques implantés qui interagissent directement avec nos neurones ou nos nerfs, et qui pourront, par exemple, faire remarcher quelqu’un qui a perdu l’usage de ses jambes par la stimulation de ses neurones.»

Trop de données tuent les données?

Le revers de la médaille d’une telle abondance de dispositifs connectés, c’est la quantité d’informations qu’ils collectent, et leur utilisation. Nombreux sont les médecins qui aujourd’hui se posent la question de savoir si l’afflux massif de données de santé n’est pas problématique. Faut-il prendre en compte chaque information? Comment les analyser? Quelles indications faut-il en tirer pour le patient? Autant de questions qui submergeront demain le monde médical. «A partir du moment où l’on mesure énormément de signaux, il y a la question de notre responsabilité médicale à devoir absolument suivre toutes ces données. La valeur actuelle de ces outils pour une meilleure prise en charge est très limitée, voire inexistante», confie le Pr Antoine Geissbuhler, qui conclue au sujet des tatouages technologiques: «On en est aux balbutiements, pour l’instant on est plus dans une logique de gadget qu’autre chose».

Le tatouage sonore est-il vraiment high-tech?

Il y a quelques mois, une nouvelle tendance débarquait dans le monde du tatouage: le soundwave tattoo, ou «tatouage sonore». Une firme américaine proposait d’«entendre» son tatouage via une appli installée sur son téléphone. Le concept est le suivant: vous envoyez un son enregistré (rire de votre enfant, voix de votre grand-mère défunte, chanson favorite, hululement de chouette…) et l’application la convertit en spectre sonore, qu’il vous suffit de vous faire tatouer sur le corps. Vous pourrez ensuite, via votre smartphone, l’entendre à votre guise. Un concept intéressant qui a rapidement intrigué de nombreux adeptes du tatouage.

Pourtant, plus qu’une révolution technologique, il semble bien que ces soundwave tattoos soient en fait une simple fumisterie. En effet, l’application (qui vous coûtera tout de même 40 $ la première année, puis 10 $ par an) enregistre votre son dans sa base de données et lui attribue une image. Cette image est en réalité une version simplifiée du spectre sonore exact, qui serait bien trop complexe à tatouer. Le système de reconnaissance visuelle de l’application lui permet ensuite de «lire» votre tatouage. En gros, si l’application décide d’associer à votre son un dessin de canard plutôt qu’un spectre sonore, le système fonctionne aussi: en passant votre smartphone devant votre canard, vous entendrez la voix de votre grand-mère (vous suivez toujours?). En revanche, un logiciel classique d’analyse de spectre sonore ne parviendrait pas, lui, à lire votre tatouage. Rien ne garantit non plus que, le temps passant et votre peau bougeant, le tatouage ne devienne pas «illisible» par l’application. Plus inquiétant encore, «la collecte de données potentielle générée par l’application peut poser des questions», commente, dubitatif, Rinzing, tatoueur au Sacred Yantra Tattoo Studio.

Bref, plus qu’une révolution high-tech, le «tatouage sonore» est donc surtout un beau gadget digital.

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Sources:

 

Paru dans Le Matin Dimanche le 09/09/2018.

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