Le robot renifleur pour détecter les cancers
La maladie aurait-elle une odeur? Il semble que oui. En effet, la prolifération de cellules tumorales modifie le métabolisme, entraînant la libération de composés organiques volatils (COVs) que l’on retrouve dans l’haleine, la transpiration ou l’urine. Ces métabolites, qui constituent en quelque sorte des biomarqueurs de la maladie et varient selon le type de tumeur, sont détectables par ce qu’on appelle des nez électroniques, c’est-à-dire des appareils qui miment le système olfactif humain. En juin dernier, des scientifiques de l'Université de Tampere, en Finlande, ont ainsi annoncé avoir mis au point un nez artificiel pouvant détecter les tissus cancéreux au cours d’une opération.
Comment cet appareil fonctionne-t-il? Les chirurgiens utilisent un scalpel électronique, ce qui provoque la dispersion dans l’air des molécules des tissus excisés sous la forme d’une fumée qui est recueillie puis introduite pour analyse dans le dispositif électronique. Les résultats, obtenus à partir de 694 échantillons de tissus prélevés sur 28 tumeurs cérébrales en comparaison avec des échantillons sains, ont révélé une précision du système de l’ordre de 80%, selon Ilkka Haapala, chercheur à l'Université de Tampere et auteur principal de l'étude.
Cinq à trente capteurs
Pour définir simplement ce qu’est un nez électronique, Frédéric Loizeau, Business & Technology Development Manager au Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM), à Neuchâtel, commence par dire que c’est un «rêve de technologue», qui consiste à tenter de copier la nature. «Le nez humain compte 10 à 20 millions de neurones olfactifs, contre environ 300 millions chez les chiens. Ces cellules réagissent spécifiquement aux molécules volatiles odorantes en envoyant les signaux correspondants au cerveau, qui peut traiter des millions de signaux pour établir une sorte d’empreinte olfactive (par exemple, celle de la vanille) qu’il sera capable de reconnaître la prochaine fois.» Actuellement, la plupart des nez artificiels sont équipés de 5 à 30 capteurs, précise l’ingénieur, l’un des rares experts dans ce domaine en Suisse romande.
Le fonctionnement des nez artificiels repose schématiquement sur plusieurs éléments: un réseau de capteurs d’odeurs, un «transducteur» qui transforme la réaction de ces capteurs en signaux électriques, un système d’analyse et, enfin, une banque de données. Plusieurs technologies peuvent être utilisées et même combinées: capteurs à oxydes métalliques ou à quartz piézoélectriques, polymères conducteurs, etc.
C’est au début des années 1990 que l’on a vu apparaître les premiers prototypes capables de déceler d’infimes traces moléculaires corrélées à la présence de certains cancers. Certains ressemblent à un éthylotest: le patient souffle dans l’appareil, son haleine est analysée, puis comparée avec une quantité d’autres profils olfactifs stockés dans une banque de données. En 2015, un laboratoire de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), le Samlab, avait présenté un prototype de ce genre. Développé dans le cadre d’une collaboration internationale, cet appareil avait été testé avec succès pour la détection de certains cancers de la gorge ou de la bouche dans l’haleine de patients du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Entre-temps, le Samlab a fermé et le projet a été partiellement repris par l’entreprise neuchâteloise Nanoworld.
Détection de cancers et de l’asthme
«À ma connaissance, aucun projet pour les applications médicales n’a encore abouti. Le seul qui me semble proche de la commercialisation est mené par la société britannique Olwstone Medical. Son prototype est actuellement testé pour la détection de cancers et de l’asthme», indique Frédéric Loizeau. Pas facile de prédire quand ce jour arrivera. «En essayant d’être réaliste, je ne vois rien avant dix ou quinze ans. En revanche, sachant que de nombreux cancers sont diagnostiqués lorsqu’ils ont déjà produit des métastases, c’est-à-dire tardivement, je trouve l’intérêt médical et financier de ces appareils plus évident. Ils constituent potentiellement une solution efficace – et plus pratique à mettre en place que les outils actuels – pour dépister de manière précoce un cancer, ou un risque de cancer. En se basant sur ce que l’on observe avec les cancers de la prostate, du col de l’utérus et de l’intestin, pour lesquels il existe déjà de tels outils de diagnostic, on peut tabler sur une forte augmentation du taux de survie à certains cancers.»
L’avenir est à l’élargissement de l’éventail des maladies soumises au radar des nez électroniques. Le diagnostic de la schizophrénie, de la sclérose en plaques et de certaines pathologies neurodégénératives type Alzheimer devrait ainsi entrer dans leurs compétences. Par ailleurs, une nouvelle génération de nez dits bioélectroniques est en train de voir le jour. Leur particularité: ils sont équipés de récepteurs olfactifs obtenus par greffage de protéines olfactives provenant de mammifères (chien ou rat) cultivées dans des cellules de levure. Ces nez hybrides devraient associer profils d’odeurs et intelligence artificielle dans le cloud.
Adieu, donc, les chiens utilitaires spécialement dressés pour détecter certaines pathologies ou prédire des crises d’épilepsie. Le nez artificiel marque en effet plusieurs points par rapport au meilleur ami de l’homme. Il ne risque pas de montrer des signes d’ennui, ni d’être distrait par la présence concurrente d’une odeur appétissante. Pas besoin non plus de le soumettre à une longue formation suivie d’un entraînement régulier. Ses résultats sont fiables et constants. Du moins, en principe. Car tout sophistiqué qu’il soit, le nez artificiel est délicat. Il peut ainsi se montrer sensible à l’humidité, à la température ambiante, et même à la pression atmosphérique…
Les voies de l’olfaction
L’olfaction est assurée par une muqueuse, l’épithélium du nez, qui couvre entre 8 et 10% de la surface des cavités nasales et dont la principale fonction est de détecter les molécules odorantes présentes dans l’environnement. Ce revêtement est constitué, entre autres, de cellules réceptrices olfactives qui ne sont autres que des neurones.
Lorsqu’une molécule odorante entre en contact avec les cellules olfactives, le processus de décodage commence presque immédiatement. Un signal nerveux est envoyé au cerveau via le nerf olfactif. Une fois parvenue au cerveau, cette information est traitée. À ce moment-là, nous allons pouvoir dire si nous connaissons déjà cette odeur, si nous l’aimons ou si elle ne nous plaît pas, et trouver des mots pour la décrire.
Toutes les odeurs que nous sommes capables de détecter correspondent à une substance odorante spécifique, distincte de toutes les autres. Mais, pour être odorantes, les substances doivent avoir un certain poids moléculaire et être volatiles. De ce fait, il arrive que l’on sente une odeur sans toutefois réussir à l’identifier.
Enfin, rappelons que même s’ils empruntent des voies nerveuses différentes, l’odorat et le goût sont étroitement liés: c’est pour cela que les aliments semblent n’avoir plus de goût lorsqu’on souffre d’un rhume.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 01/12/2019.
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