IA: un outil puissant au service de la santé
Dans un monde baigné par le numérique, les algorithmes sous-tendent bon nombre de systèmes avec lesquels nous sommes habitués à vivre. Désormais, l’intelligence artificielle (IA) est partout dans notre quotidien. Sur internet, lorsque nous interrogeons un moteur de recherche, que nous lui demandons de traduire un mot ou une phrase, que nous surfons sur les réseaux sociaux. À l’écriture d’un e-mail, quand notre messagerie nous suggère le texte. Avec notre smartphone, quand il se déverrouille grâce à la reconnaissance faciale. Mais aussi dans les voitures capables d’anticiper les obstacles, de freiner en urgence ou de nous indiquer le meilleur itinéraire à suivre, etc.
Sans surprise, la médecine aussi profite de ces technologies. L’IA y est même en pleine expansion. Discipline en soi très complexe, la médecine l’est d’autant plus aujourd’hui qu’elle produit un volume important de données. Une personne à elle seule, par ses caractéristiques, ses maladies, son code génétique, ses analyses de laboratoire, ses imageries, etc., représente une grande quantité d’informations médicales. Quant au poids de la littérature scientifique, il est lui aussi conséquent, illustre le Pr Christian Lovis, médecin-chef du Service des sciences de l’information médicale des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG): «Chaque jour, plus de 3000 publications sont indexées dans pubmed, la grande librairie informatisée de la médecine.»
Une intelligence augmentée
Aussi sophistiqué qu’il puisse être, le cerveau humain n’est pas en mesure de gérer et d’analyser seul toutes ces données. «Sa capacité de mémoire est réduite et il est soumis à une certaine fatigabilité qui peut impacter ses performances. C’est pourquoi il a besoin de recourir à des outils pour dépasser ses limites», explique le Pr Antoine Geissbuhler, médecin-chef du Service de cybersanté et télémédecine des HUG. C’est toute la raison d’être de l’intelligence artificielle. Tentant de mimer l’intelligence humaine, l’IA est un ensemble de technologies reposant sur la création et l’application d’algorithmes (chaînes d’instructions précises qui doivent être suivies dans l’ordre). Son but est de permettre à des ordinateurs d’effectuer des tâches comme le feraient des êtres humains. Idéalement, «l’IA et l’intelligence humaine se complètent et il est alors possible de parler d’intelligence augmentée», décrit le Pr Geissbuhler.
Comment l’IA peut-elle aider les médecins dans leur pratique? Et surtout, en quoi peut-elle améliorer la santé et la prise en charge des patientes et des patients? En théorie, les champs d’application et usages de l’IA sont infinis. Mais aujourd’hui, en médecine, elle est principalement utilisée dans l’aide au diagnostic, la prédiction des risques et l’individualisation des traitements. Et pour cause, la rapidité et la précision des machines représentent de vrais atouts, confirme Jean-François Pradeau, directeur des systèmes d’information: «Les algorithmes, parce qu’ils peuvent aller très vite et analyser beaucoup d’informations, peuvent être d’un grand soutien pour poser un diagnostic ou déterminer un risque.»
Entre nos mains
Nombre de ces outils sont destinés aux professionnels et professionnelles, mais certains d’entre eux sont développés pour toute personne se questionnant sur sa santé. «Les symptoms checkers (ou vérificateurs de symptômes), par exemple, donnent la possibilité de décrire un symptôme et d’obtenir un premier avis, comme une sorte de diagnostic préliminaire pour savoir s’il faut consulter un ou une pharmacienne, sa ou son médecin traitant ou les urgences», illustre le Pr Geissbuhler. Et de poursuivre: «Certaines applications permettent déjà de prendre en photo un grain de beauté et d’interroger un logiciel pour savoir s’il y a un risque de mélanome. L’idée étant qu’un rendez-vous chez le ou la dermatologue puisse être obtenu rapidement en cas de suspicion. Avec des outils capables de catégoriser le risque, c’est toute la stratégie de prise en charge qui pourrait être accélérée. Dans les régions où la densité médicale est faible, ce sont des instruments très prometteurs.»
À l’hôpital
Aux HUG par exemple, «l’IA est déjà entrée dans le quotidien et est en plein déploiement», déclare la Pre Laura Rubbia-Brandt, médecin-cheffe du Département diagnostique et du Service de pathologie clinique des HUG. La plupart des médecins l’utilisent encore ponctuellement à travers le dossier patient numérisé ou pour connaître les potentielles interactions entre les médicaments, etc. Dans certains services néanmoins, elle est employée, en routine, pour des tâches plus complexes. En radiologie et en pathologie clinique, via la technologie de pathologie numérique, notamment, les programmes d’intelligence artificielle sont capables d’améliorer les performances diagnostiques en orientant l’attention de la ou du médecin: «Avec beaucoup de rapidité et de contrôle, l’IA sélectionne les bonnes images à analyser et permet des mesures très précises de divers paramètres. Nous pouvons ainsi détecter avec précision la présence de métastases dans un ganglion ou évaluer le niveau de prolifération d’une tumeur, par exemple», indique la professeure. En oncologie, où la précision est très importante pour personnaliser les traitements, l’IA pourrait aussi offrir une plus-value.
En théorie, n’importe quelle spécialité, en plus des disciplines médicales diagnostiques, pourrait à l’avenir bénéficier de ces logiciels aux capacités de mémoire et de calcul ultra-puissants. Avec toujours pour objectif d’améliorer la qualité des soins. Aux HUG, plusieurs groupes de recherche travaillent sur des programmes d’IA afin d’évaluer leur pertinence dans des applications spécifiques. «Nous avons, à l’interne, la capacité et les compétences pour développer nos propres solutions, en collaboration avec les grandes écoles», souligne Jean-François Pradeau.
Décharger l’esprit humain
Malgré la puissance de ces outils, ils ne sauraient remplacer l’expertise des médecins. «Nous sommes dans une logique d’augmentation et non de remplacement. Un peu à la manière d’un stéthoscope qui amplifie les sons», illustre le Pr Geissbuhler. Toutefois, certaines tâches pourraient être confiées à l’IA en raison de sa rapidité à traiter et à catégoriser l’information, justifie le Pr Lovis: «Cela concerne tout ce qui est répétitif, qui exige beaucoup de rigueur et d’attention, mais peu de réflexion. L’automatisation de certaines actions effectuées en laboratoire par exemple permettrait de décharger l’esprit humain.»
Lourde et chronophage, la gestion administrative aussi peut bénéficier de l’intelligence des ordinateurs. Surtout lorsqu’il s’agit d’aller chercher de l’information à différents endroits, de la synthétiser, de produire des rapports ou encore de facturer les prestations reçues lors d’une consultation ou d’un séjour à l’hôpital. Le personnel médical a tout à y gagner, souligne le Pr Geissbuhler: «Les médecins peuvent ainsi se concentrer sur ce qui relève de qualités humaines telles que l’écoute, l’empathie et la communication, qui sont au cœur de la relation thérapeutique.»
Ainsi, en s’additionnant à l’intelligence humaine, l’intelligence artificielle offre un réel potentiel pour améliorer les soins. À condition d’être bien conçue, soigneusement évaluée, mais aussi encadrée.
Les mots de l’IA
Algorithme: chaîne d’instructions précises qui doivent être suivies dans l’ordre dans un but défini, comme dans une recette de cuisine. Grâce à un langage de programmation, l’algorithme est traduit en un programme exécutable par un ordinateur.
Machine learning ou apprentissage automatique: forme d’intelligence artificielle se fondant sur des approches mathématiques et statistiques pour permettre aux ordinateurs d’apprendre à exécuter certaines tâches prédictives.
Deep learning ou apprentissage profond: type d’intelligence artificielle dérivé de l’apprentissage automatique. Ici, la machine est capable d’apprendre par elle-même en se fondant sur un réseau de neurones.
Réseau de neurones: type d’algorithme qui s’inspire du fonctionnement des neurones biologiques. En s’appuyant sur des données préalablement enregistrées, comme par exemple des imageries médicales, il est capable d’analyser de nouvelles images et d’apprendre afin d’élaborer des prédictions.
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Article repris du site pulsations.swiss