Romaine Jean en toute liberté
Planète Santé: Une interview sur le thème de la santé, est-ce une indiscrétion à vos yeux?
Romaine Jean: Tout dépend du type de questions que vous allez me poser… Non, je pense que la santé est un concept, une valeur sur laquelle on doit réfléchir. Chaque citoyen est en devoir d’avoir une opinion sur le système de santé, sur ce qu’est la santé. Ce n’est pas une affaire privée. Le scandale des lasagnes au cheval le prouve amplement. Nous sommes tous des consommateurs-citoyens.
L’actualité est régulièrement traverséepar des sujets de santé publique importants,comme l’introduction d’unnouveau moratoire pour l’ouverturede cabinets médicaux, l’excédent deprimes maladies payées par les Romands,etc. Qu’en pensez-vous?
Je peux difficilement donner mon avis sur des objets politiques en cours, mais il y a un sujet qui me préoccupe beaucoup, c’est la qualité de la médecine. Au sein de la rédaction magazine de la Radio Télévision Suisse (RTS), avec «36,9», «Infrarouge» et les émissions soeurs de la radio, nous avons lancé une émission spéciale «Qui nous soignera demain?». Il n’y a plus suffisamment de médecins de famille, les médecins étrangers n’ont pas toujours une formation adéquate, certains ne parlent pas bien notre langue, le personnel soignant en général dans les hôpitaux, souvent étranger, est parfois motivé par l’appât du gain plus que par l’intérêt des patients. Cela me préoccupe. J’ai eu l’occasion de fréquenter les hôpitaux en raison de la maladie d’un proche. Il y a une très nette différence entre le personnel qui aime son métier et celui qui le fait par simple rentabilité économique.
Pensez-vous tout de même qu’on estbien soigné en Suisse?
Oui, nous avons une très grande qualité de soins, et Dieu merci pour toutes les générations. Mes parents sont âgés et je me rends compte, en fréquentant les hôpitaux et les cliniques de gériatrie, qu’il y a encore un très bon niveau d’implication et de soins. Nous n’en sommes pas à nous dire que cela n’en vaut plus la peine. J’espère que cet état d’esprit perdurera. C’est une forme de respect pour tous les âges et à toute étape de la vie. C’est la bonne voie à suivre.
Pour vous, ce sont là les grands enjeux en matière de santé aujourd’hui?
Oui, et ces enjeux sont énormes. Ce sont des impératifs de solidarité entre générations, des enjeux de qualité des soins et probablement de responsabilité personnelle. Il faut une prise en charge personnelle de sa santé pour pouvoir conserver le niveau de soin qui est le nôtre.
Avez-vous fait de mauvaises expériences?
Non, mais j’ai vu les urgences de l’hôpital totalement débordées, j’ai vu des infirmières peu concernées, des services pas très bien coordonnés. J’ai vu autre chose bien sûr, de très positif, de très beau, mais j’ai vu ça.
Que pensez-vous des pratiques qui touchent aux limites de la vie, comme le suicide assisté ou la procréation médicalement assistée?
Le suicide assisté est une démarche totalement personnelle. Je préfère les soins palliatifs, mais je comprends toutes les démarches et je ne sais pas ce que je ferai le moment venu. Pouvoir accompagner jusqu’au bout une personne que l’on aime est une expérience que j’ai vécue. C’est un chemin très douloureux et qui vous laisse plus riche, plus profond, plus réfléchi sur le sens de la vie. Je pense que c’est préférable au choc d’un départ brutal.
Concernant la procréation médicalement assistée, je pense que ce doit être très douloureux de ne pas pouvoir avoir d’enfants. Moi j’ai eu la chance d’être mère. Tous les progrès de la médecine doivent avoir un sens, mais il faut évidemment encourager la recherche médicale dans tous ces domaines.
Comment ne pas être pour le progrès de la médecine, s’il s’agit de soulager la douleur, physique, psychique et de repousser les limites de la vie? Je ne parle pas d’acharnement thérapeutique ou de course à la performance, à l’exploit médical, qui existe aussi. Si j’ai un jour une maladie incurable et qui peut être soignée grâce à la recherche, je ne dirai pas non.
Êtes-vous soucieuse pour votre santé et celle de vos proches?
«Le futur est un mystère, le présent, un cadeau»
Je ne suis pas hypocondriaque et je ne suis pas particulièrement inquiète. Je suis un peu attentive tout de même, fais de l’exercice, ne fume plus alors que je suis fumeuse, mange assez sainement –bio, pas de plats préparés– mais je peux m’enfiler une entrecôte beurre café de Paris avec des frites. Si je peux repousser le jour où je dois me retrouver à nouveau dans les hôpitaux, je le ferai.
Comment faites-vous pour résister au stress provoqué par votre métier?
J’ai une vie sociale à côté de mon travail, je sors beaucoup dans des cercles d’amis. C’est ma manière de décompresser, de séparer le professionnel du privé. Rire, m’amuser est le meilleur antidote.
Vous plaidez une position très citoyenne par rapport à la santé. Vous-même êtes assez critique, j’imagine?
Oui, je le suis. C’est un peu prétentieux pour moi de le dire, mais je le tente en tout cas. Il y a des gens qui ne peuvent pas le faire simplement parce que la blouse blanche impressionne. Le médecin détient un savoir très précieux, il a un langage parfois indécodable, tout cela crée une barrière. Mais je pense qu’il faut instaurer un dialogue avec le médecin, qu’il doit être un partenaire. Je ne crois pas sans vérifier ce qu’on me dit en matière médicale. J’y ai longtemps cru, mais j’ai découvert que les médecins étaient des gens comme vous et moi, un peu plus savants sûrement… Mais l’erreur médicale existe de même que la protection de caste.
Quel rôle les médias ont-ils à jouer à cet égard?
A la RTS, nous avons une très bonne émission médicale, «36,9». Elle prône une attitude réfléchie, critique, face à sa santé, face au corps médical et aux médicaments. Pour moi, c’est une bonne approche. Nous avons tous reçu un capital santé qu’il s’agit d’entretenir.
Vous l’avez expérimenté personnellement?
Oui. La médecine est une science merveilleuse qui fait des miracles, mais il n’y a pas de raison qu’elle fonctionne différemment des autres secteurs de la vie en société. On rencontre dans le milieu médical les petites misères de l’être humain, les ambitions, la concurrence, des mesquineries.
Comment faites-vous pour ne pas subir ces travers ?
J’ai un médecin de famille qui est quelqu’un de magnifique, avec qui j’ai un vrai dialogue de confiance. J’ai mis du temps à le trouver, mais je lui fais une confiance absolue. Je sais que cette femme aime son métier et aime les gens. Elle n’est pas guidée par une recherche de gloire et de profit, ce n’est pas son moteur premier. Elle cherche à comprendre la personne dans son ensemble, dans ce qu’elle vit, dans ses sentiments, dans son entourage. Je trouve ça très bien. Ce n’est pas une euro-médecin «tarmedisée» et pressée. A partir de là, je lui pardonnerai tout, y compris les erreurs.
Comment l’avez-vous trouvée?
Ce sont des amis qui m’ont permis de la rencontrer. Les bons médecins sont comme les bonnes adresses de restaurants, on se les passe!
Êtes-vous ouverte aux médecines naturelles?
Oui, je fais de l’acupuncture et de la médecine chinoise. Nous n’avons de loin pas exploré toutes les possibilités du corps et du cerveau humain. Je crois que c’est une médecine complémentaire, utile, mais tout cela dépend évidemment de la gravité de la maladie.
Êtes-vous plus méfiante dans un domaine comme celui-ci qui est moins réglementé?
On ne peut pas rester longtemps avec un mauvais médecin, ni avec un mauvais ostéopathe. Et puis, on juge aux résultats.
Qu’est-ce qu’un bon médecin?
Tout est important dans la prise en charge de personnes malades, fragiles. Il y a la science médicale, mais aussi l’entourage, l’amour, la tendresse, l’affection, l’écoute. Un jour, un médecin m’a dit : «Quand j’ausculte un malade, l’important n’est pas ce qu’il me dit, mais ce qu’il me cache». J’ai trouvé cela vraiment juste. Les malades ont souvent peur face à un médecin, peur du verdict. La médecine est un domaine extraordinaire, mais il faut bien la pratiquer. Il faut prendre du temps. S’il y a quelque chose qu’il ne faut pas galvauder, c’est la médecine. Il ne faut pas faire du fast-food médical.
Êtes-vous plutôt pour l’hôpital public ou le privé?
J’ai toujours fréquenté les hôpitaux publics et je n’ai pas d’expérience en privé. Par contre, j’ai contracté une assurance privée pour mon fils, pour qu’il soit dans une chambre adéquate, en cas de besoin. En fréquentant les hôpitaux, je me suis dit que ça valait la peine d’investir dans la santé.
Y a-t-il des maladies qui vous effraient plus que d’autres?
Non. Evidemment je n’aimerais pas qu’on me dise que j’ai un cancer, pour l’avoir vu ce n’est pas très drôle, mais aucune maladie ne l’est.
Cette fréquentation intensive des hôpitaux a-t-elle modifié votre attitude face à votre santé?
Oui, probablement, même si j’ai toujours fait un petit peu attention. Mais il ne faut pas exagérer. Je n’aime pas l’attitude «jus de carotte, tennis et cocooning». Il faut vivre tout de même, sortir, voir des gens, partager. Il y a une tendance très autocentrée dans cette prise en charge de soi, narcissique, qui est bien en ligne avec l’époque. Ça m’ennuie. Je suis de la génération des grandes tables, des grandes fêtes et je n’ai pas envie d’abandonner cela.
Le temps qui passe, est-ce une inquiétude pour vous?
Non. C’est une grande nostalgie, pas une inquiétude, et comme c’est inéluctable… J’essaie de vivre dans le présent, je n’ai pas envie de réfléchir au jour où je ne pourrai plus marcher, vivre comme je l’entends. La vie m’a appris à être plus zen. C’est un des avantages de vieillir. On ne peut pas vraiment prévoir. Le futur est un mystère, le présent, un cadeau.