Robin Williams aurait souffert de la démence à corps de Lewy
De quoi on parle
Le 11 août 2014, l’acteur et humoriste Robin Williams se donnait la mort à son domicile. A l’époque, on avait expliqué ce suicide par une dépression.
Début novembre, Susan Williams, la veuve du comédien, s’est exprimée sur la chaîne ABC et a balayé cette hypothèse. Avant sa mort, affirme-t-elle, Robin Williams souffrait d’une démence à corps de Lewy, une maladie proche de l’alzheimer.
Partageant ses caractéristiques avec les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, la démence à corps de Lewy est souvent mal diagnostiquée. Peu connue du grand public, elle est pourtant la troisième démence la plus fréquente, derrière la maladie d’Alzheimer et les atteintes dues à des accidents vasculaires cérébraux. Apparaissant le plus souvent après 60 ans, elle représente une démence sur dix et touche deux pour cent des personnes entre 80 et 85 ans. Selon la veuve de Robin Williams, c’est cette affection qui a dominé la dernière année de vie de l’acteur.
Comme toute démence, cette maladie touche le cerveau et dégrade son fonctionnement. De manière classique, la vie quotidienne du malade est perturbée. Il a de la peine à s’orienter, à planifier des actions, à s’organiser. Il se montre souvent confus et ralenti. Sa mémoire est généralement altérée, mais moins rapidement qu’avec Alzheimer.
La démence à corps de Lewy se distingue toutefois des autres formes de démence par trois aspects, explique le Pr Giovanni Frisoni, responsable de la clinique de la mémoire aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). D’abord, «les patients ont des hallucinations visuelles très vivaces. De l’extérieur, ils peuvent paraître schizophrènes». Ils voient par exemple des animaux, des scènes complexes ou imaginent des personnes et même des interactions avec elles. Ces manifestations ne sont d’ailleurs pas toujours ressenties comme désagréables. «On observe aussi des troubles du mouvement, poursuit le spécialiste, ainsi qu’un ralentissement moteur général.»
Une rigidité des membres et une faiblesse sont également constatées; les tremblements sont par contre plus rares. Ces manifestations font que l’on confond parfois la démence à corps de Lewy avec la maladie de Parkinson; il semble d’ailleurs que cela ait été le cas de Robin Williams avant sa mort. Enfin, «les patients montrent des fluctuations extrêmement importantes de l’attention, souligne le Pr Frisoni. D’un instant à l’autre, un malade peut passer d’un état de vigilance normal à une confusion complète.» La durée de ces épisodes de confusion est imprévisible: «De moins d’une heure à une journée», signale le Pr Jean-Marie Annoni, neurologue à l’Hôpital fribourgeois. Les malades peuvent aussi être déprimés et leur sommeil perturbé.
C’est ce tableau hybride entre Parkinson et démence ainsi que ces variations cliniques qui rendent le diagnostic difficile. Le fait que la démence à corps de Lewy chez Robin Williams n’ait pas été diagnostiquée avant sa mort tragique n’a donc rien d’exceptionnel. Sans compter que, contrairement à la maladie d’Alzheimer, la plupart des patients ne se rendent pas compte que «quelque chose ne tourne pas rond» chez eux.
Activités physiques et intellectuelles protectrices
Il n’y a pas que la fatalité à l’œuvre dans l’apparition de maladies comme l’Alzheimer ou la démence à corps de Lewy. On peut tenter de la prévenir. Parmi les facteurs protecteurs, «le niveau d’études et le fait d’avoir une profession avec des exigences intellectuelles élevées, sont bien démontrés», détaille le Pr Frisoni.
Une activité accrue du cerveau développe en effet les réseaux de neurones et les synapses (les canaux de communication entre neurones). Cette «réserve cérébrale» permet de résister plus longtemps au développement de troubles dégénératifs du système nerveux. Des études montrent que les personnes bilingues souffrant de l’Alzheimer développent des symptômes plus tard que ceux qui ne parlent qu’une seule langue.
Autre élément positif, l’activité physique. «Elle a évidemment un effet protecteur contre les maladies cardiovasculaires, mais aussi contre le développement de troubles cognitifs dans l’âge avancé», détaille le spécialiste. Lors d’un exercice d'aérobie (sports d’endurance), on sécrète des facteurs de croissance qui aident à maintenir les connexions entre neurones.
Des traitements pour rétablir l’attention
L’origine de la maladie se trouve à l’intérieur des cellules du cerveau (voir infographie). Il s’agit d’une accumulation de protéines anormales, qui se réunissent en petites masses, appelées «corps de Lewy». «Ces dépôts font souffrir les cellules et le système ne parvient pas à les évacuer», illustre le Pr Annoni. On ignore pourquoi ces corps de Lewy se forment en excès. Tout juste sait-on que certains facteurs génétiques peuvent augmenter le risque de développer une telle démence.
Les neurones atteints se situent dans des zones plus variées que dans la maladie d’Alzheimer. Deux d’entre elles sont caractéristiques. La première est la substance noire, à la base du cerveau. Son atteinte perturbe la production de dopamine – le neurotransmetteur de la récompense – et explique les symptômes similaires à la maladie de Parkinson. La seconde est le noyau basal de Meynert, situé plus à l’avant du cerveau. Son mauvais fonctionnement fait chuter la production d’acétylcholine, un neurotransmetteur «crucial pour le maintien de l’attention», explique encore le neurologue.
Ce système appelé cholinergique est la première cible du traitement, détaille le Pr Frisoni. Des médicaments permettent en effet d’augmenter la quantité d’acétylcholine en circulation dans le cerveau. «Ils améliorent l’attention et la performance cognitive, et ont aussi un effet positif sur les hallucinations, poursuit-il. Mais leur action reste limitée: des troubles peuvent subsister, en particulier de l’agitation et des idées délirantes.» Les symptômes dépressifs et l’insomnie sont traités avec des antidépresseurs. Enfin, la prise en charge des manifestations parkinsoniennes se fait avec les médicaments classiques, mais à faible dose, préconise le médecin.
Deux autres approches sont importantes: la physiothérapie, pour combattre la rigidité musculaire, et l’adaptation de l’environnement de vie, pour limiter les chutes. En revanche, la psychothérapie n’apporte rien, relate le Pr Frisoni.
Une priorité pour l’OMS
Pour l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la lutte contre les démences doit être une priorité des politiques publiques. L’OMS l’a communiqué au printemps à l’issue d’une conférence rassemblant plus de 70 pays. Trois raisons ont été invoquées: un coût humain colossal de ces maladies –on estime que 47,5 millions de personnes sont touchées sur la planète dont 60% dans les pays à revenu faible ou intermédiaire– et un coût financier lui aussi très élevé –une estimation de 2010 l’évalue à 607 milliards de dollars par an. Avec le vieillissement de la population mondiale, ces coûts ne cessent d’augmenter. Sous l’impulsion du Royaume-Uni, un fonds mondial de recherche sur la démence sera créé. Un observatoire mondial de la démence devrait aussi voir le jour.
Diagnostic crucial
Malheureusement, ces traitements ne permettent pas encore de soigner cette forme de démence. Il s’agit donc de mesures palliatives qui améliorent significativement la qualité de vie du malade et de son entourage mais qui ne le guérissent pas. Le décès survient entre cinq à dix ans après les premiers symptômes. Reste que, pour qu’un traitement utile soit mis en place, il est important que la maladie soit rapidement diagnostiquée. Le bon diagnostic permet aussi d’éviter que la démence soit confondue avec un trouble psychiatrique et traitée avec des médicaments neuroleptiques: s’ils diminuent les hallucinations, ces médicaments aggravent en effet les aspects parkinsoniens de la maladie. Ce qu’il faut bien garder à l’esprit, conclut le Pr Frisoni, c’est que «l’apparition de symptômes psychiques chez une personne âgée qui n’a jamais eu de troubles psychiatriques dans le passé a probablement une cause biologique». Et c’est cela qui fait une des spécificités de la démence à corps de Lewy.
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