«J’ai vu beaucoup de chefs craquer à cause de la pression de ce métier»

Comment est née l’idée d’ouvrir votre restaurant?
Bio express
23 décembre 1991 Naissance à Billens-Hennens (Fribourg).
2006 Effectue son premier stage en cuisine à Fribourg.
2012 Intègre l’équipe de l’hôtel Baur au Lac à Zurich.
2015 Rejoint les rangs du chef Pierre Gagnaire à Berlin.
2018 Travaille auprès de Pierrot et Julien Ayer, au restaurant Le Pérolles, à Fribourg.
2022 Obtient le poste de sous-chef à la Maison Manesse, à Zurich.
Mars 2024 Participe à l’émission de télévision «Top Chef» (M6).
Août 2024 Ouvre son premier restaurant, Au Chasseur, à Fribourg.
Pierre-Pascal Clément: Cela fait plusieurs années que j’ai envie d’ouvrir mon propre restaurant. J’ai senti, lors de mes dernières expériences en tant qu’employé, que j’avais besoin de créer quelque chose à mon image, d’y amener «ma patte». L’imaginer à Fribourg a été une évidence car c’est là d’où je viens et j’aime la proximité avec les habitants de cette ville. Le contact y est facile et franc. Je me suis associé à deux amis pour faire revivre une adresse rue de Lausanne, le restaurant Au Chasseur, vieux de 300 ans. Nous avons volontairement conservé le nom historique, tout en repensant entièrement la décoration intérieure afin de lui conférer un cachet plus moderne.
À quoi ressemble votre carte?
Côté cuisine, je me fournis quasi exclusivement auprès de producteurs locaux, cela est très important pour moi. Ma carte se veut surprenante, c’est en tout cas cette idée que j’ai en tête à chaque création de plat. Mais j’aime aussi revisiter les basiques de la cuisine classique, travailler des produits simples et leur apporter une valeur ajoutée.
Vous avez une approche décontractée de la haute gastronomie. La cuisine doit-elle être accessible à tous?
Oui, absolument! C’était la base de la réflexion pour monter ce projet. Pour moi, il fallait que tout le monde puisse pousser la porte du restaurant. J’ai tenu à monter deux concepts: une première salle, à l’entrée du restaurant, qui propose une cuisine de bistrot avec des prix abordables, et une salle située à l’arrière, dont la carte est gastronomique. Mais je tiens à travailler les mêmes produits de qualité pour ces deux propositions. Ce qui diffère est plutôt le temps passé sur l’assiette et le service.
Intégrez-vous toujours l’idée de «santé» lorsque vous cuisinez?
Oui, toujours. J’ai moi-même mangé dans de nombreux établissements et je ne supporte plus de finir un repas en ayant une impression de trop-plein, de trop gras, trop riche, trop sucré. J’y pense en permanence lorsque j’élabore de nouveaux menus. Il s’agit de trouver le meilleur équilibre possible, en dosant les sauces et en essayant d’alléger les recettes pour que le client se sente bien à la fin du repas.
Je crée aussi des plats véganes, pas tant par principe –cela nécessite en effet beaucoup de soja et de produits qui peuvent venir de très loin–, mais plutôt parce que je peux ainsi utiliser des techniques différentes et arriver à des textures intéressantes, sans ajouter de beurre ou de crème.
D’une manière générale, quel rapport entretenez-vous avec votre santé?
En un mot…
L’aliment que vous n’aimez pas du tout? «Le foie gras, à la fois par principe et par goût. Et les brocolis.»
Avec qui rêveriez-vous de dîner? «Le chef étoilé marseillais Alexandre Mazzia, qui m’inspire beaucoup.»
Une saveur, un fruit, une plante… découvert ou découverte récemment? «Le tagète passion, une plante qui a un goût de fruit de la passion incroyable et qui peut être cultivée en Suisse.»
Trois mots pour décrire votre cuisine? «Surprenante, innovante, éthique.»
Un péché mignon inavouable pour un chef? «Le poulet frit… et les beignets Boules de Berlin.»
C’est un aspect essentiel pour moi. Ma mère a toujours été très attentive aux questions de diététique. J’ai été sensibilisé dès l’enfance à l’alimentation saine et équilibrée, à l’importance de consommer des produits variés comme du quinoa et toutes sortes de légumes. Pour moi, manger doit faire du bien, pas l’inverse.
Que retenez-vous de votre passage dans l’émission «Top Chef»?
Je n’en garde que du positif, même si c’était une aventure très stressante, assez difficile émotionnellement. C’est une façon de travailler à laquelle on n’est pas habitué et c’est déstabilisant. Mais mon projet de restaurant était déjà lancé, j’y suis donc allé sans attente particulière.
Vous êtes arrivé dans ce métier un peu par hasard, comment s’est faite votre rencontre avec la cuisine?
J’ai commencé la cuisine car mon oncle tenait un restaurant. Je ne voulais pas poursuivre mes études après le secondaire et, par facilité, j’ai fait un stage chez lui. L’ambiance en cuisine, le charisme du chef, la hiérarchie, le côté très carré des choses… tout cela m’a beaucoup plu dès le début. J’y ai trouvé un cadre et une rigueur dont j’avais besoin. C’est drôle car cette vision est très contradictoire avec ce que je fais aujourd’hui. Dans mon restaurant, même si j’ai toujours un côté très organisé, je porte une grande attention au bien-être des employés. J’aime le travail d’équipe, la créativité commune et la bienveillance.
Le métier de chef est très stressant. Comment arrivez-vous à garder votre calme?
Pendant longtemps, j’ai avancé en ayant sans cesse la tête dans le guidon. Je ne me posais aucune question sur qui j’étais, ce que je voulais, où j’allais. Jusqu’à ce que je n’y arrive plus. Il y a deux ans, c’est devenu compliqué, j’ai senti que c’était trop. J’étais en proie à un grand stress physique et mental, et j’ai cherché à fonctionner différemment. J’ai été accompagné par des professionnels et j’ai appris qu’il existait des techniques de respiration, de relaxation, de concentration, que j’utilise désormais. J’étais connu pour être quelqu’un d’anxieux et de très énergique. Je suis devenu plus posé, plus zen. J’ai l’impression –mais c’est peut-être l’âge aussi!– de mieux canaliser le stress.
La santé mentale est un vrai sujet dans les métiers de la cuisine, connus pour leur très haut niveau d’exigence… Pensez-vous qu’une prise de conscience est en cours?
C’est en effet un sujet primordial. J’ai vu beaucoup de chefs craquer à cause de cette pression du métier. Cela peut aussi faire beaucoup de mal à l’entourage. Pourtant, c’est à ces professionnels de se prendre en main, d’adapter les conditions de travail pour que les équipes se sentent bien et que la pression ne se répercute pas sur les employés, en cuisine et au service. Je m’étais toujours promis que le jour où j’aurais mon propre restaurant, je ferais tout pour avoir une équipe heureuse autour de moi. Tout le monde est traité de la même façon, j’essaye d’avoir de petites attentions pour chacun, de mettre des limites dans les horaires… quitte à faire moins d’argent, mais pour préserver l’aspect humain. Je pense que cet état d’esprit est de plus en plus présent chez les jeunes générations de chefs.
Avez-vous du temps libre malgré ce métier très prenant?
Peu! Mais ce qui m’importe, c’est d’avoir du temps de qualité, pas de passer des heures sur mon téléphone avachi dans mon canapé. Tous les lundis, par exemple, je fais du sport en extérieur avec mon sous-chef. Cela fait un bien fou.
Que pouvons-nous vous souhaiter pour la suite?
Que cela continue comme cela a commencé! Une équipe heureuse, des clients qui reviennent, de belles rencontres. Et pourquoi ne pas ouvrir un nouveau lieu où offrir cette ambiance de travail de qualité à d’autres collaborateurs?
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Paru dans Planète Santé magazine N° 56 – Mars 2025

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