Pat Burgener: « Quand on fait les choses par passion, l’énergie jaillit naturellement »
Bio express
1994 Naissance à Lausanne.
1998 A 4 ans, monte pour la première fois sur un snowboard à Crans-Montana.
2010 A 15 ans, premier podium en coupe du monde à Kreischberg (Autriche).
2016 Première victoire en coupe du Monde à Copper Mountain (Etats-Unis).
2017 Premier podium (3e place) aux Championnats du Monde à la Sierra Nevada (Espagne).2018 Remporte la 5e place en half-pipe aux Jeux Olympiques d’hiver de Pyeongchang (Corée du Sud).2018 (mars) Sortie de son premier EP «The Route».
La santé est une composante inhérente à votre activité, ce n’est pas un sujet obsédant parfois?
Pat Burgener Clairement! Je fais du sport de haut niveau, alors la santé, on la perfectionne au maximum, que ce soit dans la vie de tous les jours, dans l’alimentation, le sommeil, etc. On essaye d’optimiser tout ce qui peut nous rendre en meilleure forme.
En tant que sportif de haut niveau, quel rapport entretenez-vous avec votre corps et son vieillissement inévitable?
Honnêtement, je n’y pense pas beaucoup car j’ai de la peine à imaginer mon corps moins performant. Mais le jour où ça arrivera… ça arrivera! C’est comme ça. Et puis je pense qu’il y a d’autres façons de vivre, de faire autre chose. Ce n’est pas moins bien, c’est vivre différemment. Je vois ça comme une occasion de découvrir d’autres horizons, comme la musique par exemple. Je sais que j’ai du plaisir à faire d’autres activités.
La musique justement, pensez-vous qu’elle possède des vertus thérapeutiques?
Oui, complètement! Dans le sport, on pense en permanence aux performances, aux blessures. La musique permet de s’occuper l’esprit, de penser à autre chose. En ce moment, j’enregistre mon album aux États-Unis, je ne vais donc pas faire de sport pendant trois semaines. C’est quelque chose d’impensable pour d’autres compétiteurs. Mais moi, je vois plutôt ça comme un énorme travail mental, je pense à autre chose que le sport. Et je suis confiant: je vais retourner en compétition avec une tête fraîche et plus de facilités que d’autres.
Avez-vous un plaisir coupable, quelque chose que vous faites alors que ce n’est pas bon pour la santé?
Comme tout le monde, j’adore certains plats qui ne sont pas très sains comme les pizzas, les frites, les chips… Je craque parfois mais je fais attention à garder un équilibre. Il faut savoir se lâcher de temps en temps pour se sentir bien après, lorsque l’on mange sainement. C’est comme pour l’entraînement: si on s’entraîne tous les jours de l’année, au bout d’un moment on n’y arrive plus, on en devient de moins en moins performant.
Vous êtes donc particulièrement attentif à votre alimentation?
Oui, ça fait quatre ans que je fais vraiment attention. Je n’en avais pas conscience avant, mais j’ai réalisé que la viande n’était pas du tout essentielle pour ma préparation physique. J’ai arrêté complètement et ce n’est pas un besoin aujourd’hui. Lors d’un gros entraînement, je prends quelques compléments protéinés, mais pas en dehors de ces périodes intenses. Quand on ne fait pas de sport, je pense qu’il n’y a pas véritablement d’intérêt à manger de la viande. Et puis je suis aussi très sensible à la protection de la planète, et l’industrie de la viande a clairement un impact écologique.
Vous devez être en permanence entouré d’une armée de médecins, de physiothérapeutes, etc. Quels rapports entretenez-vous avec cette équipe médicale?
Je fais souvent des check-up, mais depuis que j’ai repris en main mon alimentation et mon hygiène de vie, je me sens vraiment en bonne santé et je connais mieux mon corps. Je n’ai pas besoin d’une prise de sang pour savoir que je suis fatigué, que j’ai besoin de faire une pause, que j’ai un manque de fer ou de magnésium.
Vous poussez en permanence votre corps dans ses limites, vous êtes-vous déjà dit que vous étiez allé trop loin?
C’est souvent quand on se blesse qu’on réalise qu’on est allé trop loin. Mais on peut aussi s’épuiser mentalement. Moi, par exemple, j’ai senti à un moment donné que j’étais à bout, je voulais faire trop de choses à la fois: musique, entraînements, compétitions. Je n’arrivais pas à atteindre mes objectifs car je poussais trop. Depuis, j’ai appris à davantage ménager mon rythme et mon corps.
Avant une compétition, comment gérez-vous votre stress?
Le stress c’est quelque chose qu’on apprend à gérer. Quand on y arrive, c’est une énergie positive dont on peut tirer plus de force. Je suis coaché depuis quelques années par le Maître en arts martiaux Claudio Alessi. C’est lui qui m’a conseillé d’arrêter la viande et de manger plus sainement. Au-delà de ça, il m’a apporté une nouvelle manière de vivre, en m’apprenant à apprécier chaque instant, même les moments de stress.
Comme beaucoup de sportifs, avez-vous un rituel avant une compétition?
Pas vraiment. A mon avis, la superstition vient couvrir la peur de quelque chose, le besoin de se rassurer en contrôlant le moment présent. Et pourtant, quoi qu’on fasse, la vie se déroule. Il faut au contraire savoir à tout moment improviser. Personnellement, c’est d’ailleurs ce que j’adore dans ce que je fais. Plusieurs fois il m’est arrivé de me dire avant une compétition: «Il faut que je fasse ci, il faut que je fasse ça», et en fait, une fois sur la piste, ce n’était pas du tout comme je l’imaginais, le half-pipe est plus grand, la météo est difficile… on est toujours face à des imprévus. Mais plus on est ouvert d’esprit, plus on pourra être performant en compétition.
Quel est votre pire souvenir de compétition?
J’en ai pas mal. Surtout dans ma jeunesse, car j’étais très influencé par les choses externes que je ne pouvais pas contrôler mais que j’essayais malgré tout de contrôler. Par exemple, lors des championnats du monde quand j’avais 16 ans, il neigeait, il faisait très froid, j’étais déstabilisé et j’ai raté des figures basiques. Je voyais les autres riders qui faisaient de super figures et je me disais: «Mais comment font-ils pour rider aussi bien?». En fait, ils étaient tout simplement à un autre niveau mentalement.
Votre énergie semble inépuisable… où allez-vous la chercher?
Je pense que quand on trouve sa voie, quand on fait les choses par passion, l’énergie jaillit naturellement. Tous ceux qui ont une passion le savent. Et on est vite accro à cette énergie naturelle que cela nous procure.
Donc, comme toute addiction, vous ressentez un manque lorsque vous ne pratiquez pas?
Oui, quand je finis une saison intense de sport, je me sens un peu vidé, sans énergie. Il y a une petite tristesse qui s’installe, une «descente» difficile à gérer. Mais c’est une sensation qu’on peut apprendre à contrôler. Ce n’est pas du temps perdu, il faut juste savoir l’utiliser. Au début on est un peu déstabilisé, puis on apprend à transformer ces moments de «down» en quelque chose de positif. J’ai d’ailleurs écrit un morceau, Lost Time, qui parle de ça.
Vous travaillez avec votre frère. La famille est-elle importante à votre équilibre?
Oui, clairement. On se sent imbattable. Vous savez, c’est dur de réussir dans le sport, dans la musique. Donc quand on n’est pas seul à combattre ce mur infranchissable, on est plus fort.
À seulement 24 ans, vous avez déjà accompli beaucoup de choses. Quel rêve vous reste-t-il à réaliser?
D’une certaine manière, je travaille tous les jours à la réalisation de mes rêves. Les résultats ne se voient pas forcément tout de suite mais ce qui est beau, c’est le voyage, pas la destination. Entre autres, j’aimerais vraiment voir mon nouvel album grandir, le voir dans les top charts, faire des tournées, toucher un maximum de personnes avec ma musique. Coté sport, je prends chaque compétition comme elle arrive. En ce moment, je suis focalisé sur les prochains championnats du monde, je veux décrocher une médaille. Et puis, bien sûr, il y a les prochains JO. Il va falloir se battre!
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* Le half-pipe est une discipline olympique de snowboard, ainsi que le nom de la rampe sur laquelle elle se déroule.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 32 - Décembre 2018