Marina Rollman: «Les médecins appartiennent à une autre race, une race que j’admire»
Bio express
1988 Naissance à Genève
2008-2011 Études d’architecture (Malaquais) et de lettres classiques (Sorbonne) à Paris
2013 Première scène ouverte en Suisse
2014 Première partie de Gad Elmaleh à Paris, puis New-York
2017 Débuts sur La Bande Originale sur France Inter
2019 Tournée en Suisse
Pour votre carrière, vous êtes allée à Paris. La France s’est-elle imposée comme une étape nécessaire?
Marina Rollman J’ai choisi la France en raison de la fréquence de jeu. Ça fait un an et demi que je joue au moins trois fois par semaine. Ce rythme ne serait pas envisageable en Suisse romande. Nous sommes trop petits pour accueillir de longues résidences théâtrales. Je suis aussi «montée à Paris» par goût du challenge et de la compétition. Si dans trois ou quatre ans, je parviens à faire partie des 2% du haut du panier, ce serait très agréable. Si j’échoue, je pense qu’il serait plus intéressant pour moi de revenir en Suisse. Car la qualité de vie de la classe moyenne des métiers créatifs y est bien meilleure. Pour l’instant je n’ai pas d’enfants, je suis en bonne santé, donc je me dis que je peux me dépenser ces prochaines années en France. Mais je continue à faire des allers-retours entre Genève et Paris. J’adore la Suisse et surtout, je pense que la qualité de vie y est indépassable. Quoiqu’on puisse en dire, c’est un des pays les plus chouettes du monde!
Que pensez-vous de notre système de santé?
J’ai du mal à me prononcer, mais je sais que les primes d’assurance pèsent sur beaucoup de gens, particulièrement les mères célibataires qui ont plusieurs enfants à charge. Cela paraît démesuré en comparaison avec le reste du monde. En même temps, on a une grande qualité de soin. Mais il y a des pays pour lesquels c’est le cas aussi et qui chargent moins les assurés. J’ai toujours été bien soignée en Suisse, mais cela me coûte cher de m’assurer.
Avez-vous des rituels pour vous maintenir en forme?
En ce moment, je ne prends pas du tout soin de moi, ça m’ennuie. La seule chose que je fais de manière un peu routinière, c’est méditer. J’ai l’impression que ça m’équilibre. Sinon, je suis très mauvaise avec le sport.
Vous faites un métier d’exposition, avez-vous des recettes bonne mine?
Mon seul petit conseil beauté serait d’utiliser les produits les plus simples et naturels possibles. J’ai une trousse de toilette hyper épurée. J’utilise du savon d’Alep, de l’huile d’amande ou de noix de coco sur mon corps et sur mon visage et c’est à peu près tout.
Quel genre de patiente êtes-vous?
J’aurais bien voulu être cette personne qui s’y connaît en médecine alternative ou orientale, mais non. Je suis old-school. Gros médicaments, médecins en blouse blanche, si possible plus âgés que moi. J’ai une confiance aveugle en la médecine. Pour moi, les médecins appartiennent à une autre race, une race que j’admire.
Vous avez choisi la voie du spectacle. Mais si vous aviez fait médecine, quelle spécialité auriez-vous choisie?
La neurologie, parce que je trouve fascinant qu’il y ait un siège physique, chimique et biologique à ce qui fait nos vies, nos sentiments, nos goûts, notre psychologie, nos interactions avec les êtres humains. Et cela semble être un champ d’exploration infini.
Quelles sont vos sources d’inspiration?
Je suis très peu les dépêches. Je lis principalement The Newyorker et j’écoute des podcasts au format long. Je m’inspire de situations que je rencontre dans la vie de tous les jours, dans la rue, les cafés. Je les note sur mon calepin ou sur mon téléphone et à partir de là, la moulinette se met en marche. J’essaie de trouver le chemin qui va rendre ce que je trouve drôle dans ma tête, drôle pour les autres. Le stand-up est en réalité une sorte d’art de la conversation. J’entame avec moi-même une conversation intérieure dans laquelle je m’imagine m’adresser à des proches.
Où pratiquez-vous ces conversations intérieures?
Dans ma tête, un peu partout. Parfois en effectuant d’autres activités, en lavant des légumes ou en prenant ma douche. Je dois avoir l’air folle. Je ne sais pas si cela vous arrive aussi, mais j’ai l’impression que nous passons beaucoup de temps, seuls, à refaire des conversations passées ou à imaginer des conversations futures. Comment aurais-je gagné cette dispute, comment aurais-je pu avoir plus de répartie dans telle ou telle situation? Je suis constamment en train de dialoguer avec moi-même, ce qui est, je le reconnais, un peu schizophrénique. Je crée des voix dans ma tête, j’alimente des conversations que je reproduis ensuite sur papier. Pour moi, l’humour est un combat constant entre ce que l’on ressent comme drôle et la façon dont on parvient à le traduire pour les autres.
Rire et faire rire sont des formes de thérapie?
Oui, rire c’est bon sur le plan physicochimique. Et puis, je trouve chouette de rire tous ensemble dans une salle même si on n’est pas forcément d’accord sur tout, même si on n’a pas la même couleur politique. Pour moi, c’est très agréable, même quand je me prends des bides. C’est bien de tester son ego et de relativiser sa place dans le monde.
Est-ce qu’être une femme dans le stand-up vous a servi ou desservi?
Je dirais les deux. C’est toujours compliqué de parler des femmes comme étant une minorité parce que factuellement, en chiffres, nous ne le sommes pas. Reste que nous sommes sous-représentées dans certains métiers, comme le stand-up. Et il est vrai que je me retrouve régulièrement dans des environnements un peu hostiles dans lesquels il règne un sexisme latent. D’un autre côté, je bénéficie aussi d’une discrimination positive. Tel média souhaite une voix féminine, tel spectacle cherche une femme et tout d’un coup, ça tourne à mon avantage. Je devance d’autres hommes qui sont pourtant hyper talentueux, juste parce que je suis une femme. J’espère qu’un jour, cela se normalisera. Que nous ne parlerons plus des humoristes hommes ou femmes, mais des humoristes tout court.
Dans vos spectacles, vous n’y allez pas de main morte avec les hommes. Ne sont-ils pas à plaindre aujourd’hui?
Je pense en effet que la masculinité a besoin d’être redéfinie. Au 20e siècle, les femmes ont gagné des droits et des possibilités dont les hommes bénéficiaient déjà. Nous pouvons ouvrir un compte bancaire, nous marier librement, conduire une voiture. Et parallèlement, nous avons conservé les aptitudes dévolues jusqu’ici au sexe féminin. Nous savons accrocher des rideaux, choisir un cadeau avec tact, etc. Les hommes, qu’ont-ils acquis pendant ce temps? Peut-être qu’ils aimeraient eux aussi explorer de nouvelles possibilités et ajouter des cordes à leur arc. Hélas, je ne pense pas que ce soit le cas aujourd’hui. Je dirais même qu’ils se retrouvent de plus en plus dans une position où ils se sentent inutiles. Or, pour que nous pussions nous retrouver un jour à égalité, il faudrait leur laisser explorer des chemins nouveaux.
Aujourd’hui, les femmes dénoncent publiquement les violences dont elles font l’objet, qu’en pensez-vous?
C’est très important. J’en parle dans le spectacle. Cela nous fait prendre conscience qu’il va falloir se civiliser et se raffiner à plein de niveaux, pas que face aux femmes. Le féminisme doit aller de pair avec l’antiracisme, la lutte contre la LGBTI-phobie, les questions de classe. On vit une époque formidable sur ce plan-là. Mais on est loin d’avoir tout résolu.
Quelle est votre plus grande hantise, hormis ne plus être drôle?
Je redoute le moment où je ferai partie de ces gens que l’on trouve dépassés parce qu’ils ne comprennent plus leur époque. Ça ne veut pas dire que je fais du jeunisme. J’espère continuer, avec les années, à saisir les enjeux de notre temps et ne jamais perdre pied avec la réalité. Et ne jamais m’enfermer dans une tour d’ivoire.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 34 - Juin 2019