Louis Derungs: «On me dit que je suis un sage de 70 ans dans le corps d’un jeune homme de 23 ans»

Dernière mise à jour 13/09/17 | Article
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En 2013, au retour d’une soirée, le jeune Morgien est victime d’une électrocution qui lui a valu d’être brûlé sur 45% de la surface de son corps et qui lui a coûté ses deux bras, mais pas sa soif de vivre. Il en fait le récit dans 15 000 volts (Ed. Favre). Rencontre.

Bio express

1994 Naissance en Belgique.

Oct. 2013 Accident.

Avril 2014 Marche de nouveau.

Mai 2015 Période de réhabilitation.

Juillet 2015 Naissance de l’idée E-PNO (projet pilote basé sur des principes tirés de plusieurs disciplines et d’une pratique accrue et inédite de l’autohypnose).

Sept. 2016 Etudes de psychologie à l’Université de Lausanne.

Planète Santé: Louis, qui êtes-vous, en quelques mots?

Louis Derungs: Je suis à la fois étudiant, avocat, hypnothérapeute, etc. Je suis quelqu’un de très créatif, qui aime sortir de sa zone de confort et qui aime ouvrir sa mentalité à la nouveauté.

Quel souvenir gardez-vous de votre réveil après votre coma artificiel?

Le réveil a été marquant. C’était une grande découverte. La prise de conscience de mon état s’est opérée directement. Je ne me suis pas appesanti sur le pourquoi, mais je me suis demandé comment, moi Louis, j’allais m’en sortir. J’ai rapidement mis en place une stratégie qui est celle de me tourner vers la solution. Je ne m’appuie sur le problème que pour pouvoir le dépasser. Ensuite, des étapes de concrétisation ont suivi. J’ai une mentalité de sportif qui essaie de toujours faire mieux et d’aller un peu plus loin. Un défi en a amené un autre, et ainsi de suite.

Que vous ont annoncé les médecins?

Les nouvelles sont venues par vagues. Je crois qu’ils ne voulaient pas me surcharger d’informations. J’étais dans un état grave : brûlures, fractures, problèmes divers au niveau des organes internes, et j’ai eu un arrêt cardiaque prolongé. Mes deux bras transhumérus ont dû être amputés.

Vous avez été hospitalisé durant près d’un an. Quelle a été votre expérience en tant que patient?

Chaque personne, prise séparément, est humaine et impliquée. Mais j’ai également ressenti un côté «usine». La hiérarchie et la structure qui sont au-dessus font perdre de vue l’état psychique du patient. On se sent souvent pris pour une pathologie plutôt que pour un être humain. Ce n’est la faute ni du personnel, ni de l’institution. C’est une dynamique générale qui mène à cela. Mon cas était si complexe qu’il a nécessité beaucoup de communication. Cela a fait ressortir les dysfonctionnements. Le patient est finalement le seul à pouvoir mettre tout le monde d’accord. D’où l’importance d’être acteur de son rétablissement.

Avez-vous reçu une aide psychologique?

Non. On a essayé de me l’imposer par différents moyens, mais j’ai toujours refusé car, selon moi, la solution est en moi. Les solutions qu’on trouve en soi sont plus pérennes que celles dictées par un tiers.

Suite à votre accident, vous avez dû beaucoup compter sur vous-même.

Oui. Je suis un cas unique pour qui il existe peu de choses sur le marché. Face aux assurances, j’ai été mon propre avocat. J’ai été philosophe quand j’ai dû exposer une argumentation pour demander des moyens auxiliaires. Ou encore ingénieur lorsque j’ai dû construire des machines pour aménager mon quotidien. Je suis également mon propre patron car j’ai créé ma start-up. On a tous les mêmes possibilités au départ, mais on ne nous a pas appris à y croire et à les développer. C’est là que se situe ma chance: on m’a donné des outils et j’ai su en créer. Mon accident m’a apporté une légitimité dans la manière dont je l’ai surmonté. Aujourd’hui, je travaille avec des chefs d’entreprise, des personnalités du cinéma. On me dit souvent que je suis un sage de 70 ans dans le corps d’un jeune homme de 23 ans. J’aime pouvoir transmettre aux autres des choses de manière douce, sans qu’ils doivent vivre un drame comme le mien pour les comprendre.

Comment vous en êtes-vous sorti?

D’abord, j’ai accueilli mes émotions. J’ai vécu des moments très difficiles où j’étais au bord de la folie. On n’est pas responsable de ses symptômes, mais de ce qu’on en fait. Je me suis focalisé sur leur énergie. Si je prends l’exemple des douleurs fantômes: je ne pouvais rien faire contre ces membres qui n’existent plus. Cela m’a poussé dans mes derniers retranchements. J’ai utilisé cette énergie pour retrouver un état de calme. Ma folie est devenue mon moteur, ma solution.

C’est comme cela que vous avez rencontré l’hypnose…

Oui. J’étais dans ma chambre aux soins intensifs. Le bruit des machines était désagréable. J’ai joué avec cette ambiance et je me suis mis à voyager. Je ne savais pas que c’était de l’hypnose. On m’a proposé de vraies séances avec un thérapeute, mais c’était hors de question pour moi. J’ai fini par accepter quand j’ai compris qu’il n’y avait pas d’autres solutions pour me soulager. Sans le savoir, je faisais de l’autohypnose pour m’extraire de ma chambre. J’ai alors appris qu’on pouvait y mettre des intentions particulières: contrer la douleur par exemple.

Et, aujourd’hui, vous en faites bénéficier les autres.

Oui, je suis hypnothérapeute. Lorsque j’étais en clinique de réhabilitation, j’ai suivi une formation accélérée en un an. J’ai exercé seul avec des patients, mais aujourd’hui je travaille avec une pédopsychiatre. Grâce à l’hypnose, en s’appuyant sur l’imaginaire et la créativité de l’enfant, on peut soigner la phobie scolaire, les angoisses, les troubles de panique, les troubles alimentaires, par exemple.

Votre histoire vous aide-t-elle dans votre pratique?

Le lien de confiance s’établit plus rapidement car on me reconnaît une certaine légitimité, mais c’est tout. Mon expérience n’entre pas dans ma pratique, car quand on est thérapeute, on doit rester neutre et entrer dans le monde de l’autre, sans parler du sien.

Comment ce drame a-t-il modifié votre rapport aux autres?

L’accident a surtout changé mon rapport à moi-même. Le monde qui m’entoure a inévitablement suivi ce changement. J’ai appris à être moi-même, quels que soient la situation et les gens que je rencontre. On nous apprend à nous adapter, à être changeant, et moins à avoir une base solide. J’ai commencé à m’abstraire de mes émotions, des normes, du regard des autres. J’ai appris à être honnête avec moi-même et à vouloir mon propre bien.

Il y a un avant et un après?

Non. Il y a une évolution. Je m’appuie sur le passé comme une base de données d’apprentissage. Les différentes expériences que j’ai vécues et les gens que j’ai rencontrés m’aident à appréhender le présent et le futur.

Vous avez dû apprendre à réapprivoiser votre corps. Comment y êtes-vous parvenu?

En le vivant, simplement. Ma vision à moi me suffit, je n’ai pas besoin de savoir ce que les autres en pensent. Si je ne plais pas à la personne qui est en face de moi, elle peut détourner son regard.

Dans les articles qui vous sont consacrés, le terme de «handicap» apparaît rarement. C’est délibéré ?

Non. Handicapé, on l’est tous d’une certaine manière. Le handicap se voit ou ne se voit pas. Tout le monde le vit. C’est une différence qui n’en est pas une. C’est juste quelque chose qui nous empêche d’avancer aussi vite qu’on le souhaiterait. Je veux qu’on me connaisse pour ce que j’ai apporté, pas pour ce que j’ai perdu.

Vous vous intéressez à la réalité virtuelle, est-ce l’avenir selon vous?

J’ai trouvé une manière de rendre l’hypnose accessible à tous grâce à la réalité virtuelle. Avec cette technique, on peut créer chez un individu des états et des sensations sans être invasif. Les visualisations proposées permettent à chacun de s’immerger dans d’autres dimensions pour retrouver le calme, la motivation ou la concentration. On peut agir sur des problématiques psychologiques précises telles que l’anxiété, les phobies ou la lutte contre la douleur sans traitement chimique. Cela donne la possibilité à chacun de travailler seul, sans l’aide d’un thérapeute, mais en étant guidé, ce qui n’est pas le cas avec l’autohypnose. J’ai monté ma start-up et nous avons déjà testé 50 personnes. Mon projet rencontre également beaucoup d’intérêt auprès de la communauté médicale.

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Paru dans Planète Santé magazine N° 27 - Septembre 2017

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