Joseph Gorgoni: «Je n’ai jamais utilisé mon assurance maladie!»
Au téléphone, il a tenu à préciser: «Je viens en Joseph Gorgoni, pas en Marie-Thérèse». Vêtu d’un jean, d’un simple tee-shirt et d’une jaquette en sweet bleu ciel, l’humoriste au crâne rasé nous attend à la terrasse d’un café genevois, situé à deux pas de la télévision. Lors d’un après-midi ensoleillé, il nous parle en toute simplicité de son personnage et de sa vie d’homme ordinaire.
Vous incarnez la ménagère la plus populaire de Suisse romande depuis vingt ans. Comment vous sentez-vous aujourd’hui?
Plutôt pas mal. C’est vraiment incroyable. Il y a deux ans, quand j’y pensais, ça ne me paraissait pas possible. Vingt ans, cela représente une génération. Vous imaginez? Les enfants qui sont venus me voir au cirque Knie sont des adultes maintenant. Si ça continue, je vais finir comme Alain Morisod (rires).
Est-ce que ce nombre vous donne le tournis? Qu’est-ce qui a changé pour vous en vingt ans?
Ce personnage a changé ma vie. J’avais besoin d’exister à travers le regard des autres. Grâce au succès, on se sent aimé. A l’origine, j’ai une formation de danseur, je ne pensais pas que je me tournerais vers l’humour. Or, c’est devenu une évidence. Ce métier m’offre aussi une grande liberté, entre autres celle de pouvoir dire «non». Et puis, j’ai l’impression d’être utile.
Le succès vous a-t-il apaisé? Etiez-vous de nature plutôt inquiète?
Oui, cela m’a beaucoup calmé. Grâce au succès de Marie-Thérèse, je n’ai plus besoin de me déguiser pour qu’on me regarde. Je suis rassuré à l’idée d’avoir réussi à faire quelque chose qui plaît à plein de gens. Par contre, j’ai toujours le souci d’être à la hauteur. Aujourd’hui, il y a une certaine attente de la part du public. Cela veut dire que j’ai un trac supplémentaire: est-ce que je vais continuer à faire rire? Est-ce que je vais devenir ridicule? Que vais-je faire dans cinq ans? Rien n’est figé.
Est-ce que la santé fait partie de vos inquiétudes?
Non, pas plus que ça. J’ai 47 ans. C’est sûr, on ne va pas vers le beau! Mais je n’ai pas de problèmes de santé, je ne prends pas de médicament, pas d’antidépresseur. Il faudrait juste que j’arrête de fumer.
Marie-Thérèse a un petit côté dépressif par moments, c’est du vécu?
Non, pas du tout! Elle et moi, c’est très différent. C’est un personnage fictif dont je me sers uniquement pour amuser les autres. J’invente et je raconte une histoire. On passe tous par des états un peu «blusy», mais je suis de nature plutôt enjouée. Je ne considère pas la scène comme une psychothérapie, mais il faut avouer que jouer et chanter libèrent beaucoup de choses. Autour de moi en revanche, il y a plein de gens qui ne vont pas bien.
Vous n’avez donc jamais expérimenté des traitements comme la psychothérapie?
Non, je n’en ai jamais eu besoin. Mais si j’en crois ceux qui y ont eu recours, la psychothérapie a l’air extrêmement utile, intéressante et salvatrice. On a tous des failles, mais il ne faut pas se poser trop de questions. Il y aura toujours des choses qu’on ne comprend pas. Par contre, si cela devient insoluble, alors oui, c’est mieux de se prendre en main.
Qu’est-ce qui vous ressource?
Ça fait du bien de rire. Quand je lis les lettres que je reçois ou quand je rencontre mon public, je vois à quel point c’est utile. La musique m’aide aussi beaucoup, tout comme les voyages, même deux jours par-ci par-là. Quand on part, on a toujours du plaisir à revenir.
Comment prenez-vous soin de vous?
Je fais attention à moi car on me regarde grandir et vieillir. Je suis obligé de faire un peu de sport, du «cardio» pour tenir sur scène. Je ne fais pas de régime car cela ne sert à rien. J’essaie de ne pas trop boire d’alcool, de manger sainement, mais ce n’est pas toujours facile en tournée. Je ne me fais pas de Kousmine tous les matins! En fait, je suis comme tout le monde.
Vous résistez donc aux excès du monde du spectacle?
Oui. Je pense toutefois que les excès se sont généralisés à tous les milieux. Nous vivons dans un monde assez violent dans lequel on voit beaucoup de détresse. Il est vrai que le monde du spectacle est excessif et très grisant. Heureusement, je n’aime pas la drogue. Et j’ai les mêmes amis depuis longtemps. Si je m’étais éloigné du milieu d’où je viens – je suis fils d’ouvrier –, mes spectacles ne marcheraient plus. C’est important de rester en contact avec les gens, avec leur quotidien. Je suis plus privilégié aujourd’hui, mais je continue à faire mes courses à la Migros.
Avez-vous déjà été confronté à la maladie?
Personnellement, non. Je ne suis jamais malade, je suis né en bonne santé et j’espère mourir en bonne santé! Mais beaucoup de mes amis sont morts du sida à l’époque. Je suis un enfant des années 80. J’ai eu beaucoup de chance, j’ai passé entre les gouttes.
Ma mère, qui a 72 ans, ne va pas très bien, ainsi que beaucoup de gens autour de moi. Il faut juste être là et ne pas s’effondrer avec eux.
Quelles maladies vous font peur?
La maladie d’Alzheimer me fait tellement flipper! Sinon, le cancer, comme tout le monde, j’imagine. Mais je ne suis pas hypocondriaque, je n’y pense pas tous les jours.
Vous avez évoqué le sida, est-ce que c’est une cause pour laquelle vous militez?
On me demande souvent de parrainer des associations. Pierre Naftule (ndlr: son scénariste) et moi avons décidé de tout refuser, sinon nous pourrions tout accepter. Il m’arrive cependant de jouer bénévolement, dans ce cas c’est au profit de la lutte contre le sida, parce que j’ai été touché plus personnellement. Il m’arrive aussi de participer à des actions de la Fondation Théodora.
Avec les progrès de la trithérapie, pensez-vous que la prévention contre le SIDA mérite toujours autant d’efforts?
Oui, car je ne crois pas que cette maladie soit derrière nous. Rien qu’en Afrique, beaucoup de personnes en meurent aujourd’hui encore. Si on en parle moins aujourd’hui, dans le milieu gay notamment, le problème n’est pas pour autant résolu. Dans l’esprit de beaucoup, le sida est devenu une maladie comme une autre. Certes, on en meurt moins chez nous, mais il faut continuer à se protéger. Quant à la trithérapie, c’est un traitement qui est très lourd.
Apparemment vous ne les avez pas beaucoup fréquentés, mais faites-vous tout de même confiance aux médecins et à notre système de santé?
Effectivement, je n’ai jamais eu de gros problèmes. Même quand j’étais danseur, je n’ai jamais eu d’accident ou de fracture. Cela dit, de manière générale, je fais confiance aux médecins. Ma mère bénéficie de soins à domicile et d’après ce que je peux observer, le système marche bien. C’est même fascinant. On a beaucoup de chance.
Beaucoup se plaignent pourtant du montant élevé des primes d’assurance maladie…
Oui, c’est hors de prix, d’ailleurs je ne sais pas comment les gens font. Je suis attentif aux montants des primes, mais j’ai la même assurance maladie depuis que j’ai 18 ans, sauf que je suis désormais assuré en privé. Je ne l’ai jamais utilisée. On ne me prescrit jamais rien. Lorsqu’il m’arrive d’avoir une facture de médecin, je ne l’envoie pas à mon assurance car j’ai une franchise élevée. C’est idiot de faire de la paperasse pour rien, mais j’agis comme cela aussi car je peux me le permettre.
Malgré ses vingt ans de présence et ses quelques coups de blues, Marie-Thérèse reste un personnage dynamique et haut en couleur. Va-t-elle vieillir un jour?
En vingt ans, j’ai beaucoup changé, mais Marie-Thérèse pas. Elle est comme Tintin, elle reste la même! Ce qui est amusant, c’est qu’on peut tout imaginer avec elle, Marie-Thérèse à l’EMS, etc. Surtout que je m’autocensure de moins en moins…
Est-ce que la vieillesse vous fait peur?
Non, je n’ai pas peur de vieillir et je n’ai jamais menti sur mon âge. C’est vrai que ce n’est pas rigolo de se voir dans le miroir. Parfois, je me dis que je n’ai pas assez profité de ma jeunesse. Moi j’ai toujours aimé les vieux! Les vieux c’est l’histoire. Ma grand-mère, qui m’a en partie inspiré mon personnage, n’a pas connu mes spectacles, mais je pense que cela l’aurait fait beaucoup rire.
Dans le futur, allons-nous continuer à vous voir en Marie-Thérèse Porchet?
Je ne sais pas, je n’ai jamais fait de plan de carrière. Parfois, j’ai peur de ne plus avoir envie. Je suis en train de réfléchir à un nouveau spectacle dans lequel je vais essayer de raconter tout ce qui m’est arrivé avec elle. Cela veut dire que je monterai sur scène sans ce masque. Est-ce que j’en serai capable?