«Je souffre d’un grand sentiment d’urgence»
Fils et petit-fils de paysan, vous dédiez votre dernier roman à ce monde agricole et en tirez un constat assez dur. Le milieu rural, aujourd’hui confronté à de nombreux défis, peut-il encore s’adapter?
Bio express
2 avril 1978 Naissance à Morges.
2001 Obtient sa licence de Lettres à l’Université de Lausanne.
2001-2003 Entreprend un long voyage en solitaire en Asie et en Afrique.
2008 Obtient le Prix Nicolas Bouvier pour son roman Estive (Éd. Zoé).
2018 Quitte Lausanne et reprend une petite vigne familiale à Villars-sous-Yens.
2021 Sortie de son récit Deux petites maîtresses zen (Éd. Zoé), qui raconte un voyage familial en Asie.
2023 Sortie de son dernier roman, Faire Paysan (Éd. Zoé).
Blaise Hofmann: L’idée de ce livre était d’abord de dessiner la situation actuelle, avec tous les enjeux de notre culture contemporaine. Il y a de plus en plus de complexité dans ce monde agricole, que ce soient la paperasse, la dépendance vis-à-vis de la grande distribution, l’agrochimie, l’agroalimentaire, le réchauffement climatique… Je ne voulais pas faire l’impasse sur ces problématiques, ni proposer un tableau idéalisé de la campagne. Mais malgré tout, je souhaitais un livre optimiste. J’ai l’impression que beaucoup de changements positifs sont apparus depuis la pandémie, la crise en Ukraine, la prise de conscience du défi écologique. Tout cela va accélérer l’évolution de l’agriculture.
Pensez-vous que le monde paysan d’un côté et notre société d’hyper-consommateurs de l’autre peuvent se réconcilier?
Ce sont deux visions très différentes de la société, mais je crois que des retrouvailles entre consommateurs et petits producteurs peuvent et doivent avoir lieu. C’est même la seule option pour relever tous les défis actuels. Autour de chacun d’entre nous, il y a de la vente directe, de jeunes agricultrices et agriculteurs qui se bougent pour proposer des alternatives. C’est à la population de choisir à quoi ressemblera l’agriculture de demain.
Ceux qui nous nourrissent font un métier essentiel. Sont-ils encore trop souvent victimes d’un manque de reconnaissance?
Cette idée est centrale dans Faire Paysan. J’ai grandi dans ce milieu, puis j’ai pris mes distances, donc j’ai un point de vue à mi-chemin, je n’ai aucune certitude. Mais en effet, la question de la reconnaissance est un grand questionnement: pourquoi les personnes qui nous nourrissent sont-elles aussi mal vues? Même si les perceptions sont en train de changer, les dernières décennies ont maltraité ce métier. Les responsabilités sont certainement partagées mais il faut remettre de la dignité dans cette profession.
Comment ces réflexions impactent votre rapport à l’alimentation?
En un mot…
Une personne qui vous inspire? «Mes parents.»
Ce qui vous donne le sourire instantanément? «Mes filles.»
Un mantra, une citation que vous aimez? «Le silence entre les citations.»
Un rêve? «Pouvoir encore voyager avec ma petite famille en Amérique du Sud et en Afrique.»
Au quotidien, j’essaye de respecter ces trois bases: local, de saison et, si possible, bio. Mais je ne suis pas exemplaire, encore moins du point de vue diététique. J’aime le chocolat, le vin, le gras… Le côté rituel, social, de l’alimentation est très important pour moi. Un bon repas et ses excès sont parfois nécessaires pour le vivre ensemble!
Le goût pour les bonnes choses passe-t-il aussi par l’éducation?
Oui, absolument. J’ai eu la chance de grandir dans une ferme en activité. Durant mon enfance, les trois quarts de ce que je mangeais venaient de la ferme ou du village. Savoir reconnaître les produits, les cultiver, mais aussi renouer avec la terre, avec le paysage agricole, cela s’apprend dès le plus jeune âge. Les choses évoluent aussi de ce côté-là. Dans l’école de nos deux filles de 6 et 7 ans, il y a un carré potager, des cours de cuisine et de dégustation, des visites de fermes… L’éducation est selon moi tout aussi importante que les décisions économiques et politiques autour de l’agriculture.
L’alimentation est le pilier d’une bonne hygiène de vie. Quel est votre rapport à la santé?
Ce n’est pas quelque chose qui me préoccupe vraiment au quotidien. J’ai conservé des restes de mentalité paysanne: les agriculteurs ne sont pas les meilleurs consommateurs de soins, ils vont souvent chez le docteur quand c’est trop tard. Je suis un peu pareil… Je suis un très bon client pour l’assurance maladie: je paye mais je ne coûte rien au pays!
Quelle définition donneriez-vous d’«être en bonne santé»?
C’est la liberté, c’est avoir l’énergie d’être vraiment vivant. C’est continuer de vivre au rythme que l’on souhaite. La santé, c’est la base. Au poker, on pourrait dire que c’est la mise de départ! Il n’y a qu’à regarder autour de soi pour s’apercevoir assez vite de la chance que c’est d’être en bonne santé.
On parle souvent de l’écriture pour ses vertus thérapeutiques. Êtes-vous d’accord avec cela?
Oui, d’une certaine manière, l’écriture peut soigner, notamment au travers des ateliers d’écriture thérapeutique qui émergent de plus en plus. Dans certains moments de la vie, poser les choses sur le papier permet d’y voir plus clair. Personnellement, je suis dans une démarche artistique plus que thérapeutique, mais je m’aperçois malgré tout qu’écrire me fait du bien. L’écriture est comme une pause. C’est tout le contraire de ce qui est prôné par la société. L’écriture, c’est l’éloge de la lenteur, de la distance, de la nuance.
Cet éloge de la lenteur, on le retrouve aussi dans les voyages. Que vous ont-ils apporté dans votre vie?
En voyage, on est obligé de sortir de sa zone de confort, d’aller à la rencontre des gens, de nous confronter à nous-mêmes. Les voyages ont été comme une école de la vie, de mes 17 à mes 30 ans. Après avoir sillonné le monde, j’essaye aujourd’hui de retrouver les mêmes émotions ici, là où sont mes racines.
Vous avez travaillé dans une unité de soins palliatifs, qu’en avez-vous retiré?
C’était une expérience bouleversante. J’ai été aide-soignant pendant six mois à la Fondation Rive-Neuve, qui était alors encore à Villeneuve (elle se trouve aujourd’hui à Blonay, ndlr). Paradoxalement, j’ai trouvé que tout y était harmonieux. On avait le temps de parler, d’accompagner les patients de façon personnalisée. C’est intéressant de voir comment les gens, leurs proches, affrontent cette mort que la société met de côté. Malgré toutes les souffrances, il y a eu des moments vraiment très beaux et j’ai toujours une pensée pour les fantastiques équipes infirmières qui continuent à faire ce travail.
Cette expérience a-t-elle nourri vos réflexions sur votre propre finitude?
Oui, je souffre maintenant d’un grand sentiment d’urgence. Je ne refoule pas cette finitude. Il faut vivre dans le présent, il faut «cueillir le jour», comme dit l’adage.
Vous avez repris une exploitation de vignes il y a cinq ans, dans votre village d’enfance, au-dessus de Morges. Ce métier, avec toutes ses contraintes, est-il une source de stress?
Je suis d’un naturel assez anxieux, mais je n’ai qu’un seul hectare à gérer, donc ça reste peu. Je dirais même que c’est plutôt le contraire: quand je suis dans les vignes, tout s’apaise.
Le sport est-il aussi un moyen pour vous de garder un équilibre?
Oui, absolument. J’ai une base hyperactive et j’ai besoin d’aller courir régulièrement pour évacuer le trop-plein du quotidien. C’est devenu comme une nécessité. Ça me permet de compenser les nombreuses heures que je passe assis devant mon ordinateur. Courir, c’est comme une méditation, une transe, c’est un moment où je m’oublie complètement. Au retour je vois vraiment plus clair.
_______