Interview de Mix et remix: «Plus j’ai de temps, plus je me prends la tête»

Dernière mise à jour 17/06/14 | Article
Pour Philippe Becquelin, être constamment dans l’inédit est l’une des difficultés du métier
Tout comme la fondue et le yodel, Philippe Becquelin, alias Mix et Remix, fait assurément partie du patrimoine culturel Suisse. Depuis plus de trente ans, ses petits bonhommes aux gros nez parcourent les médias du pays. Dessinateur de presse irremplaçable, il nous parle de cet étrange métier qui consiste à faire rire, toujours et encore…

Est-il difficile d’exercer un métier où il faut constamment faire rire?

C’est horrible. Horrible! Vous devez toujours y mettre la totalité de votre ego, c’est aussi pénible que d’être journaliste. Ce n’est pas comme un chanteur qui écrit un tube ou deux et qui peut ensuite les chanter toute sa vie et tout le monde est content. Non, les gens ne veulent pas entendre deux fois le même gag, c’est ça qui est dur.

Y a-t-il une règle pour faire rire?

Elle consiste souvent à dire le contraire de ce qui est dit. Vous prenez une actualité, par exemple les propos d’un politique, et vous dites le contraire. Généralement c’est la vérité, et c’est le décalage qui fait rire.

Est-il possible de faire de l’humour sur un sujet gai, comme le fait qu’il fasse beau aujourd’hui?

C’est plus difficile. Pour les éditions LEP, j’ai illustré un livre sur la géographie de la Suisse. C’était horrible. Un glacier ce n’est pas drôle, un cours d’eau ce n’est pas drôle. Non, ce qui est marrant, c’est quand même de se moquer des défauts des gens. Et je m’inclus là-dedans. C’est-à-dire que pour être bon dessinateur humoristique, il faut avoir à peu près tous les défauts possibles et imaginables. Il faut les avoir en soi pour savoir de quoi on parle. Si on est généreux et sympa, ce n’est pas drôle.

On dit que l’humour français est malveillant. Pourtant votre humour, qui connaît un franc succès en France (Lire, Clé, Siné Mensuel) est tout sauf malveillant.

C’est dû au fait que je n’ai pas vraiment de tête de turque et, surtout, que je ne suis pas engagé politiquement. En France, le dessin de presse est généralement militant. Ça date de Charlie Hebdo. Depuis 1968, on ne peut être, en France, que dessinateur de gauche. Quant au Figaro, Jacques Faisant a arrêté à 90 ans, ils ont cherché des dessinateurs et ils n’en ont pas trouvé! Sur 70 millions d’habitants, ils n’arrivaient pas à trouver un dessinateur qui dise «ok, je bosse pour le Figaro».

Vous travaillez également, de temps à autre, avec la Suisse alémanique. Que pouvez-vous nous dire sur l’humour suisse allemand?

J’ai travaillé en Suisse alémanique, notamment pour le SonntagsBlick, mais comme je ne parle pas l’allemand et que je travaille énormément avec les mots, les traductions de mes gags ne marchaient pas toujours. L’allemand est une langue follement précise, alors que la langue française est quand même très flottante; elle vous permet d’être allusif. Pas l’allemand. Je pense que pour travailler avec la Suisse allemande, il faut surtout faire des gags visuels. Mais mon dessin est trop simple et peu élaboré pour cela. Le dessin visuel c’est pourtant le «must». Mais moi, je n’y arrive pas.

Votre collègue, Patrick Chappatte, également dessinateur de presse réputé, y arrive-t-il davantage?

Oui, son dessin permet le gag visuel, car c’est un dessin précis. Il permet cependant moins la déconne que le mien, car il est un peu trop réaliste. Lorsqu’on voit un dessin de Chappatte, on voit un dessin qui montre la réalité. Mes dessins sont tellement ridicules que l’on peut se permettre n’importe quoi. C’est un dessin plus libre.

Recourez-vous à une méthode pour réaliser vos dessins de presse?

Interview de Mix et remix: «Plus j’ai de temps, plus je me prends la tête»

Le jour où je dois faire ma page, je vais sur internet pour voir ce qui se passe, je choisis une actualité, puis je rebondis dessus. Les gens s’imaginent que je passe ma vie à lire les journaux, mais je pense être nettement en dessous de la moyenne. Je n’écoute jamais la radio et je ne regarde pas le téléjournal.

Vous êtes plus productif sous pression?

Disons que j’ai besoin d’un peu d’urgence, rien que pour me laisser aller. Il y a un moment dans l’urgence, quand il est déjà trop tard, où il faut se jeter et exécuter. Lorsque je n’ai pas cette urgence, j’ai tendance à pinailler et je n’avance pas. Je le vois bien, plus j’ai de temps, plus je me prends la tête.

Commencez-vous par le dessin ou par le texte?

Pour qu’une blague prenne forme dans mon esprit, j’ai d’abord besoin d’un bonhomme avec un gros nez. Oui, ce sont ces bonhommes qui me disent des choses, le texte vient ensuite.

Quel est votre profil santé? Consultez-vous fréquemment médecins et thérapeutes?

Non pas du tout. Je vais très rarement chez le médecin. Je fais un check-up de temps en temps, mais je n’ai rien de… enfin si, j’ai la vue qui baisse. Et quand j’étais petit j’avais le rhume des foins mais ça a passé. Je dors bien… J’ai quoi? Ah oui, j’ai un truc horrible! Oui, horrible. J’ai le syndrome des jambes sans repos. Il était très fort mais, heureusement, ils me donnent des trucs maintenant. Ce sont des antiparkinsoniens, je crois. Donc oui, ça j’en prends souvent.

Si vous pouviez vous réincarner, quelle époque, pays et profession choisiriez-vous?

Revenir en roi, ce serait évidemment pas mal. Mais j’aimerais quand même revenir dans une époque confortable… Pas plus tard, car la médecine va faire tellement de progrès qu’on va s’emmerder (s’ennuyer) pendant des années et ça va être terrible. Ah je sais! Philosophe dans la Grèce antique. Avec des esclaves qui font tourner le business pendant que vous philosophez jusqu’au soir. Ça, ça doit être pas mal. 

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