Deux visions de la retraite
Jean-Philippe Rapp
J’ai rempli ma vie à la télévision, maintenant j’en vis une autre
Vous avez travaillé pendant près de 40 ans à la Radio Télévision Suisse. A présent, vous êtes le directeur du Festival international du film alpin des Diablerets. Vous dirigez deux sociétés : Pushkar Production et l’Espace Jean-Philippe Rapp. Vous êtes le président de l’orchestre Geneva Camaretta et plus encore. D’où vous vient cette hyperactivité?
Je pense que le meilleur moyen de lutter contre le vieillissement, c’est la création. En quittant la TSR en 2005, j’avais deux possibilités: prendre du repos, partir à la pêche, faire des activités que je n’avais jamais faites auparavant, ou alors, continuer à travailler. J’ai décidé de continuer et je suis devenu entrepreneur à 62 ans. J’ai eu la chance de pouvoir exercer un métier passionnant, d’avoir une certaine image et je me suis dit: il faut continuer à en profiter. Il ne faut pas s’arrêter. Je dois rendre un peu de tout ce que j’ai vécu.
Regrettez-vous les temps où vous étiez à la TSR, sur le devant de la scène, où vous bénéficiez d’une grande visibilité?
Chaque fois que je pense à cette période je me dis: tu as été un privilégié, tu n’as pas le droit de te plaindre, d’avoir de la mélancolie ou dieu sait quoi d’autre, non. Pour moi, la télévision reste une passion. Je dirais même une vieille maîtresse qui est encore très présente dans ma tête. Mais je ne regrette pas de ne plus en faire. Parfois, en rencontrant une personne particulièrement intéressante, je me dis quel dommage de ne pas avoir «les moyens de». Mais ces moyens on doit aussi savoir les prendre. C’est en partie ce que j’essaie de faire à travers mes documentaires. Ce qui me motive, ce n’est pas tellement la télévision en soi, mais la rencontre, l’échange, le fait de pouvoir donner la parole à des gens qui ne l’auraient pas forcément.
Pour de nombreuses personnes, la retraite est un passage difficile. En vous observant, on dirait que vous n’en avez pas trop souffert?
La personne qui vous dit «je passe à la retraite sans problème» j’aurais de la peine à la croire. La retraite, ça signifie quand même le retrait de la vie active et, par conséquent, de votre rôle. C’est un choc psychologique énorme. Il y a des personnes qui en meurent! Se dire voilà, tout s’est éteint, il faut maintenant faire autre chose, ce n’est pas simple. Je m’y étais quand même un peu préparé. Puis, je me suis dit bon, si tu ne veux pas aller à la pêche, vas au boulot et fais des choses qui t’intéressent.
L’Etat met à la porte les personnes de plus de 65 ans, y compris celles qui aimeraient continuer. Est-ce justifié selon vous?
Je pense que c’est du gaspillage. De plus, c’est un luxe que nous ne pouvons pas réellement nous offrir. Les chinois proposent à des retraités qui ont une certaine expérience de venir travailler avec eux. Je pense qu’ils n’ont pas tort. Cela étant, celui qui va jusqu’au bout de son travail professionnel, qui se dit «Moi j’ai gagné ce temps de repos, j’ai gagné ce temps d’une autre vie», et bien, c’est magnifique.
Quel conseil donner à ceux pour qui le passage à la retraite est douloureux?
Je leur dirais ne sous-estimez pas ce passage, on peut s’y préparer en se connaissant le mieux possible. L’important, selon moi, c’est de continuer à faire les choses qui nous intéressent. Ça peut être d’aller dans son chalet dans le Valais, de bouquiner et de vivre tout à fait autre chose. Ou alors, de continuer à travailler. Il y a parfois des collègues de la télévision qui me regardent de travers. Ils me disent «Tu ne vas pas te calmer un peu, t’es toujours partout!» Je leur réponds: «Mais je ne vous demande rien!» Ils trouvent que je ferais mieux de rester tranquille. Mais je n’ai plus de comptes à rendre! J’ai rempli ma vie à la télévision, maintenant j’en vis une autre.
Quel est votre rapport avec la santé?
Je suis convaincu que la santé est faite d’absence de solitude et de répit intérieur. Elle est faite de matins où l’on se réveille et où l’on a envie de bouffer le monde. Nous sommes naturellement jamais à l’abri d’une maladie grave et de malheurs qui peuvent surgir sans explication aucune. Mais je reste convaincu que dans une grande partie des cas, le déclencheur de la maladie, c’est la solitude.
Jean-Charles Simon
L’angoisse n’est plus de réussir, mais de tenir
Depuis votre passage à la retraite, qu’est-ce qui a changé?
Je suis passé de l’homme actif à l’homme soi-disant inactif. C’est une révolution à la fois agréable et terrifiante. Terrifiante, parce que le fait de devenir inactif est l’antichambre de la disparition. Agréable, parce que la vie devient plus simple. On n’est plus dans cette espèce de quête et d’angoisse du lendemain. Plus besoin de partir travailler pour ramener du pain comme le papa pélican. L’angoisse n’est plus de réussir mais de tenir. Tenir, ça veut dire ne pas mourir. C’est une angoisse fondamentale, mais beaucoup plus légère.
Y a-t-il quelque chose, un objectif, une acquisition matérielle ou un voyage que vous souhaiteriez accomplir avant de disparaître?
Un voyage à Compostelle. Oui, je pense que mon seul regret sera de ne pas avoir fait un voyage à Compostelle. Si je réponds cela, c’est parce que j’ai vraiment l’impression d’être dans le truisme du retraité le plus absolu. C’est très étrange, mais j’aimerais bien le faire. Sauf que ça m’ennuie de faire comme les autres.
L’Etat met à la porte les personnes de 65 ans. Est-ce justifié selon-vous?
La retraite a été un acquis social fantastique. On le voit bien. Lorsque l’on essaie de prolonger l’âge de la retraite, les gens sont contre. Pour un type qui fait de la radio et dont la profession est relativement agréable, il y en a quand même 152 millions qui ont été exploités toute leur vie et qui ne rêvent que d’une chose, c’est de pouvoir enfin souffler un peu. Donc si pour certaines professions, la mise à la retraite est considérée comme un affront, il ne s’agit que de (vulgaires) privilégiés qui, selon moi, ne méritent qu’inattention.
Est-ce que l’on devient plus sage avec l’âge?
Non. Il ne s’agit pas de sagesse, mais d’intelligence: c’est de se dire que les choses que je ne peux plus faire, je considère qu’elles étaient vaines. Par exemple, ne plus faire l’amour trois fois par jour: soit ça me tue, soit je me dis que c’était répétitif. C’est donc une façon constructive d’utiliser les paramètres actuels. La situation est ainsi, essayons – et c’est là où je suis optimiste – d’en tirer les éléments positifs. Il est évident que l’on peut moins séduire les jeunes femmes, mais on a aussi moins les capacités physiques pour les séduire. Donc la vie est relativement bien faite. Tout est lié. L’ambition, les besoins et les désirs diminuent en même temps!
Si vous pouviez vous réincarner, quelle époque, pays et profession choisiriez-vous?
Je pense que je serais Georges Clooney. Ou mieux, Hugh Grant. Cette espèce de star internationale dandyssante, sans tapage, mais totalement irrésistible. Riche, beau, sympathique, pas drogué. Ou sinon, je reviendrais en Gandhi, Mère Theresa ou Charles de Gaulle.
Vraiment?
Non. Enfin si, parce que ce sont des gens que j’aime bien, mais je trouverais cela trop fatiguant. Si je pouvais choisir, ce serait d’arriver avec mon charme, mon talent, sans trop travailler et qu’on me trouve génial.