Benoît Violier, saine gourmandise

Dernière mise à jour 05/08/13 | Questions/Réponses
A la recherche des saveurs gustatives, Benoît Violier s’intéresse aussi beaucoup à la santé
Elu cuisinier de l’année par le Gault & Millau suisse, Benoît Violier, chef du restaurant triplement étoilé de l’Hôtel de Ville de Crissier près de Lausanne, nous le dit sans détour: gastronomie et diététique se marient parfaitement.

Gastronomie, plaisir et santé: est-ce une équation possible selon vous?

Bien sûr. On essaie de faire tous les jours une cuisine saine. On a même réadapté tous nos plats pour qu’ils le soient de plus en plus. On ne peut pas se passer de matière grasse, parce que c’est elle qui va fixer le goût, mais on en travaille moins et on la cuisine différemment.

On ne va plus épaissir une sauce avec du beurre, on va utiliser à la place des huiles qui ne sont pas «sur-cuites». Les modes de cuisson ont aussi beaucoup évolué. Avant, tout était poêlé dans le beurre, on apprenait cela à l’école. Maintenant, c’est fini. Par ailleurs, il m’arrive de donner des conférences avec des médecins passionnés de gastronomie. Ils m’expliquent tout ce qui est sain pour le cœur et pour le corps en général. Je m’y intéresse beaucoup et j’apprends.

Comment cette prise de conscience est née chez les grands chefs?

Michel Guérard, qui fait partie de la grande famille des chefs étoilés, a été le premier à lancer cette cuisine moderne, vapeur, saine, avec des justes cuissons. C’est lui qui a commencé à enlever tout ce beurre et toute cette crème réduite.

Il y a dix ans, ce qui symbolisait un grand restaurant, c’était d’être repu à la sortie. On arrivait au repas principal et on n’avait plus faim. Aujourd’hui, c’est fini. Il n’y a pas besoin de mettre cinquante produits différents dans l’assiette. Les gens veulent en goûter cinq ou six, mais sortir de table en étant bien. De plus, la façon même d’élaborer un menu a changé. L’idée est de cuisiner autour d’un produit principal. Ensuite, on essaie de le sublimer avec beaucoup de jus et de sauces à base de légumes.

On ne mange pas tous les jours dans un restaurant gastronomique, est-ce si important que la cuisine y soit diététique?

Détrompez-vous, nous avons une clientèle d’habitués qui viennent et qui reviennent. On me demande souvent quel a été le changement par rapport à mes prédécesseurs. On a beaucoup épuré notre cuisine, en enlevant tout ce qui était mauvais pour la santé. Mais, à un moment, on ne peut pas mettre moins de matière grasse. Je pense qu’on a trouvé un bon compromis.

Cuisiner les produits du terroir et de saison est la règle de base d’un bon cuisinier

Vous l’avez partiellement évoqué, quel rôle les ustensiles ont-ils à jouer pour cuisiner de manière équilibrée?

L’influence asiatique est forte. On travaille avec le wok, qui nous vient des Chinois ou le tépaniaki, un ustensile de cuisson japonais. Le tépaniaki est un plan incliné avec une partie très chaude qui nous sert à saisir le poisson par exemple, et une plus douce pour la cuisson. L’inclinaison de la plaque permet de mettre peu de matière grasse. Il suffit d’un filet d’huile d’olive sur un poisson, sur une noix de Saint-Jacques, sur un filet de volaille ou du homard.

Quant au wok, le principe est de cuire l’élément dans ce qu’il a de plus naturel. On le chauffe à blanc, on y jette un petit mélange de légumes, on y met un filet d’huile d’olive, du sel, du poivre et on mélange bien. Ils vont cuire dans leur eau de végétation, ce qui préserve toutes les vitamines.

Pour faire des sauces et des liaisons, on travaille beaucoup avec la centrifugeuse, pour extraire la pulpe des aliments et la chlorophylle des herbes aromatiques.

Est-il aussi possible d’être plus diététique dans les desserts?

Oui, bien sûr! Nous avons enlevé beaucoup de sucre. Avant, le rapport était de 250 grammes de sucre par litre, maintenant il n’est plus que de 110 grammes. Je me méfie des nouveaux sucres et des succédanés tels que l’aspartame. Nous préférons travailler avec les sucres de fruits. On extrait leur pulpe, on l’étale sur des feuilles de cuisson, on la chauffe à 160°. Cela donne des tuiles, qu’on casse et qu’on utilise pour donner du pep à nos desserts. Ou encore, on poche des fraises, puis on les passe au chinois pour en extraire le jus. Le goût qui en ressort est multiplié par dix.

Quels conseils donneriez-vous aux cuisiniers amateurs?

Manger et travailler des produits de saison et locaux qui ont une meilleure saveur. Depuis Noël, on voit des asperges sur les marchés, des fraises en février, des cerises qui viennent d’Amérique du Sud, c’est complètement ridicule. Pour notre restaurant, je n’achète rien qui vienne de l’autre bout de la planète, à part les épices qui arrivent d’Inde. M. Rochat et moi-même avons rencontré des chefs à Singapour il y a deux ans. Tous nous ont dit: c’est une chance d’avoir des saisons!

Choisir des produits du terroir est une règle de base pour un cuisinier?

Oui. Nous valorisons au maximum les produits du terroir. Nos fraises sont cultivées à Crissier, les cardons poussent dans le jardin d’à côté depuis plus de 50 ans… Notre rêve: cuisiner tout bio et proposer au menu du poisson du lac Léman – de la truite par exemple – mais nous rencontrons des problèmes de quantité. Les terres ici sont très froides. Selon moi, le terroir s’étend du Jura aux limitrophes de la Suisse. On n’est pas loin de la mer, à une heure d’avion de La Rochelle. Nos produits sont extrêmement frais. Pour preuve, les poissons, coquillages et crustacés que nous avons aujourd’hui en cuisine sont passés à la criée hier soir. La vallée du Rhône, d’où proviennent beaucoup de nos fruits et légumes, n’est qu’à trois heures de camion. Je me méfie en revanche de tout ce qui vient d’Asie et je bannis certains produits, comme les thonidés, qui sont très chargés en mercure. Quand je travaillais à Monaco, nous les voyions suivre les yachts de luxe pour manger les déchets jetés à la mer.

Aujourd’hui, il est beaucoup question des sensibilités alimentaires des uns et des autres. Y êtes-vous attentif au restaurant?

Oui, on a dû s’y adapter. Avant la commande, le maître d’hôtel demande aux clients s’ils souffrent d’une allergie ou d’une intolérance quelconque (au gluten ou au céleri par exemple). Le cas échéant, nous en tenons compte. Depuis le mois de novembre, nous proposons un menu totalement végétarien.

Cet hiver, on a assisté à plusieurs scandales alimentaires: de la viande de cheval dans les lasagnes congelées, des matières fécales dans les desserts proposés chez Ikea… Quel regard portez-vous sur ces événements?

“On ne peut pas se passer de matière grasse, parce que c’est elle qui va fixer le goût, mais on en travaille moins et on la cuisine différemment”

Je ne suis pas surpris. Je suis plutôt étonné qu’on n’ait trouvé que du cheval dans les lasagnes. Dans les pays de l’Est, il y a de grands élevages de gibier. Je suis sûr qu’il y en a aussi dans ces plats préparés. Nous indiquons depuis longtemps la provenance de nos produits sur la carte, les gens y sont plus sensibles aujourd’hui.

Dans 90% des cas, nous mettons un visage et un nom derrière le produit.

Vous animez des ateliers de cuisine, est-ce pour coller à l’air du temps?

Non, nous tenons à passer des messages: d’abord que cuisiner de saison est une chance. Nous insistons sur l’importance de faire les choses soi-même (les plats préparés sont gorgés d’huile de palme, de sirops en tout genre), de bien lire les étiquettes et d’être attentif à la traçabilité des produits. Nous enseignons des techniques, en adaptant nos recettes au matériel que l’on trouve chez les particuliers (les paniers vapeur, les couscoussiers), même si ce matériel est de plus en plus performant. Nous transmettons aussi un style et une façon d’être. Pour les recettes elles-mêmes, certains clients, des sportifs par exemple, ont des demandes particulières comme apprendre à faire des desserts (des cakes) qui augmentent leur endurance.

Vous avez travaillé avec des sportifs de haut niveau, racontez-nous.

Oui, j’ai mis au point des menus spécifiques pour des gens comme Mike Horn, les frères Ravussin, Jean Troillet ou Géraldine Fasnacht. Les Ravussin sont venus me voir avec un nutritionniste afin d’établir un planning de menus pour toute la durée de leur expédition en mer. L’idée étant de définir un apport calorique quotidien tout en tenant compte de leurs contraintes comme le poids total de la nourriture sur le bateau. J’ai alors mis au point des mets d’aliments déshydratés, à base de viande, ainsi qu’une quinzaine de sauces pour accompagner les repas. Pour Mike Horn, j’ai réalisé des recettes de cakes hypercaloriques, avec de l’alcool, du miel, des fruits confits.

Les enfants aussi ont droit à leur atelier. Qu’y apprennent-ils?

D’abord nous leur montrons la cuisine. Ensuite, nous leur présentons les meilleurs produits de la saison, et nous leur faisons goûter des jus de fruits et de légumes. Généralement, ils mangent de tout. Nous préparons dans la cuisine du restaurant deux recettes salées, que nous dégustons tous ensemble, puis deux recettes sucrées – par exemple des cupcakes avec des fruits de saison – qu’ils emporteront à la maison.

Êtes-vous plutôt beurre ou huile?

Le beurre est l’emblème du Poitou, la région de France dont je suis natif. J’ai été élevé au beurre, mais je préfère cuisiner avec des huiles. L’huile d’olive bien sûr, mais d’autres également: colza, noisette, oeillettes, etc.

Viande ou poisson?

Je suis très poisson, de mer de préférence, parce que je trouve que c’est plus sain. Au restaurant, pour le personnel, on en cuisine quatre fois par semaine. Pour s’assurer de la qualité des produits de la mer, on peut s’approvisionner dans des épiceries fines et chez un poissonnier.

Cuit ou cru?

Pour moi, la cuisine, ce sont des aliments cuits. Je me méfie de tout ce qui est cru pour des raisons sanitaires (présence de bactéries, etc.).

Frais ou congelé?

Frais, obligatoirement. Même pour le personnel, qui mange les mêmes produits que ceux que nous servons à nos clients. C’est une tradition instaurée de longue date dans la maison. On ne peut pas exiger de nos cuisiniers de bien travailler s’ils ne mangent pas bien. A la maison, je trouve normal que les gens congèlent des aliments, en cas de surproduction ou parce qu’ils travaillent. Mais il faut savoir que la congélation altère les produits.

Cuisson vapeur ou à la poêle?

De la cuisine vapeur tous les jours, c’est un peu triste. Poêler une Saint-Jacques, lui donne une belle apparence et un goût sublimé. On peut exaucer les papilles en colorant les sucs. Mais on peut également utiliser les deux techniques: marquer un filet de veau sur le gril, le rouler ensuite dans un film alimentaire et terminer la cuisson à la vapeur.

Terre ou mer?

J’aime la mer, cela me relie à mon enfance. Ce que l’on mange quand on est enfant nous marque pour toujours: le poulet au citron de ma mère ou les carottes arrachées dans le jardin. Dans l’élaboration, c’était simple, mais les produits étaient bons.

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