Ada Marra: «Il faut que je sois au bord de la mort pour aller chez le médecin»

Dernière mise à jour 26/11/18 | Questions/Réponses
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La santé, pour elle, n’est pas tant une question personnelle que collective. Elle avoue ne jamais faire de sport et boire des litres de soda. Mais elle a fait de l’aide aux personnes en situation de précarité son cheval de bataille. Rencontre avec la conseillère nationale Ada Marra, femme engagée et passionnée.

Bio express

1973 Naissance à Lausanne, de parents immigrés italiens.

1997 Entre au parti socialiste suisse et en devient secrétaire générale pendant sept ans.

2007 Elue conseillère nationale pour le Canton de Vaud.

12 février 2017 Adoption à la majorité de l’arrêté concernant la naturalisation facilitée des étrangers de la troisième génération, neuf ans après le dépôt de son initiative parlementaire.

2017 Parution de son livre Tu parles bien français pour une italienne! aux Ed. Georg.

Planète Santé: La Suisse est l’un des pays où on vit et où on se soigne le mieux. D’où tient-elle cette place de leader?

Ada Marra: Même si on peut évidemment toujours faire mieux, notre pays dispose de beaucoup de moyens pour développer de nouvelles approches et financer la recherche. Le pouvoir d’achat des Suisses est incomparable à celui d’autres pays, même à côté de chez nous. Cela étant, on s’achemine quand même malheureusement vers une médecine «à deux vitesses». Au niveau des cantons, d’une part. Est-ce normal que la prise en charge des prestations dans un même contexte soit si différente entre deux cantons? Et d’autre part, d’un point de vue socio-économique, avec des gens qui pourront se payer des soins et d’autres pas. Car quand on est dans la précarité, se soigner n’est pas une priorité.

En effet, certaines personnes n’ont pas les moyens de se soigner, ou font passer leur santé après le reste. Cela risque-t-il de s’aggraver à l'avenir?

Oui, car on est dans une société où il y a un accaparement des richesses par une minorité de personnes, tandis que le reste de la population doit se débrouiller. Une étude récente a montré que lorsqu’une facture imprévue de 2000 CHF arrive, un foyer de la classe moyenne sur cinq ne peut pas la payer. Les gens doivent de plus en plus faire des arbitrages sur leurs priorités en matière de dépenses.

Quel est selon vous le principal enjeu de demain en matière de santé?

C’est indéniablement le vieillissement de la population. Comment soignera-t-on demain ces personnes plus âgées et plus malades? Pour ma part, je crois beaucoup aux institutions peu médicalisées –comme il en existe déjà quelques-unes dans le canton de Vaud–, avec des lieux de vie communs mais aussi des chambres individuelles. Des espaces de vie agréables avec une autonomie mais aussi un partage, et une assistance si besoin. L’autre défi, c’est de quitter le monde de plus en plus technique du domaine médical pour remettre la personne au milieu du processus de guérison. Ré-humaniser les soins.

Une solution miracle pourrait-elle permettre de régler la question des coûts de santé? Une nouvelle hausse de 4% a été annoncée pour 2019…

Non, il n’y a pas de solution miracle. Les coûts de la santé augmentent d’année en année. Il convient aujourd’hui de se demander dans quelle société nous voulons vivre: est-ce que nous voulons vivre le plus longtemps possible? Tout anticiper? Avec quels moyens? Au-delà de ce constat, je tiens à insister sur une chose: certes, les coûts de la santé augmentent, mais les primes d’assurance maladie augmentent plus vite que ces derniers. L’assuré est le dindon de la farce.

Pensez-vous que l’on «surmédicalise» trop?

Oui, et tant mieux, d’un côté. Heureusement que les choses ont évolué depuis cent ans. D’un autre côté, certains gestes médicaux sont inutiles. Ça ne veut pas dire qu’on ne doit pas se soigner, bien au contraire, on doit même démocratiser la santé et comprendre que ce n’est pas un bien mercantile. Le risque zéro en matière de santé n’existe pas, mais on veut nous faire croire le contraire et on «surprescrit» des gestes médicaux, des examens, des soins. On vit dans une certaine illusion par rapport à ça.

Quel rapport entretenez-vous avec votre propre santé?

Je me sens très concernée par la santé d’un point de vue politique, c’est-à-dire au travers des associations qui luttent contre la précarité, car je vois bien l’incidence qu’elle peut avoir, les facteurs qui peuvent la péjorer. Mais d’un point de vue personnel et privé, je ne me sens pas vraiment concernée. Il faut que je sois au bord de la mort pour aller chez le médecin ! C’est familial, on nous a élevés comme ça. Mais je ne suis pas un exemple à suivre.

Quel est votre plaisir coupable?

Depuis à peu près sept ans, je bois en moyenne 50 cl par jour de soda au cola light. C’est beaucoup trop. Mon corps et mes veines en pâtissent. C’est une vraie addiction!

Vous semblez aussi «accro» à votre travail, votre engagement associatif, les réseaux sociaux. Diriez-vous que le travail, c’est la santé?

Non, pas du tout. Personnellement, j’ai la chance de faire partie des gens dont le métier est une passion. Alors, pour moi, oui, c’est la santé. Mais il y a plein de personnes qui ont malheureusement un travail aliénant, stressant. Je ne suis pas dans la sacralisation du travail, je ne suis pas du tout stakhanoviste!

Êtes-vous une femme stressée?

C’est vrai que la politique est très stressante. C’est passionnant, mais ça peut être très violent aussi. On vit de fortes trahisons, mais aussi des rencontres incroyables.

Comment peut-on se protéger des coups que l’on reçoit, de ses collègues ou du public, sur les réseaux sociaux notamment?

On ne peut pas toujours. Des fois, on est pris au dépourvu. Il y a des gens qui arrivent à mettre plus ou moins de distance, mais moi je n’en fais pas partie. En politique, il faut avoir des soupapes pour se recentrer.

Comme beaucoup de politiques, dormez-vous très peu?

Oui, je dors très peu… et très mal. J’aimerais dormir plus et mieux, mais je n’y arrive pas.

Avez-vous le temps de pratiquer une activité physique?

Non, jamais! Ma devise, c’est la même que Churchill: «No Sport». Parfois, tout d’un coup, il me prend une envie d’aller nager par exemple ou de faire du vélo d’appartement. J’en fais à fond pendant trois mois puis j’arrête pendant trois ans ! Par contre, j’ai une hygiène de vie plutôt saine: je ne bois pas, je ne fume pas, je ne me drogue pas… alors je me dis que ça compense.

Vous avez la nationalité italienne et vous êtes très attachée à ce pays. On dit que la nourriture méditerranéenne est gage de longévité… vous êtes d’accord?

Oui, la diète méditerranéenne –avec ses légumes, ses matières grasses– est très saine évidemment. Mais moi je suis aussi Suisse! Et j’adore la fondue, la raclette, les meringues.

Avez-vous recours aux médecines alternatives?

Je n’y connais pas grand-chose, mais je n’y suis pas du tout fermée. J’ai déjà fait des séances d’acupuncture et j’ai trouvé ça super. Je pense que le côté positif des médecines alternatives est de nous reconnecter à notre corps, à la nature, à notre environnement. Dans cette espèce de course à l’individualisme, à l’homme augmenté, face à cette tentation de la surperformance, de la technologie, de l’hygiénisme, etc., on oublie d’où on vient: de la nature. On a tendance à croire qu’on est des dieux, qu’on maîtrise tout, y compris la santé. Mais il faut parfois ralentir le rythme, retrouver un dialogue avec la nature. Se couper de la technologie et du mythe du «surhomme».

Votre frère, Luigi Marra, anime sur RTS l’émission «Dans la tête de». Un de ses sujets vous a-t-il particulièrement marquée?

Oui, l’une des émissions m’avait frappée, elle portait sur les TOCS: des gens qui gardent tout, qui amassent tout, ce qui se traduit parfois par de grandes angoisses. Personnellement, je n’ai pas de TOCS mais je connais des gens qui en ont. C’est très compliqué pour eux, évidemment, mais aussi très difficile pour leur entourage. Ça soulève d’ailleurs un sujet qui me paraît central, dont on parle très peu: les proches aidants. Je suis admirative de ces gens dans l’ombre, qui gèrent et accompagnent les malades.

Quelle est votre citation préférée?

Celle de ma grand-mère en dialecte du Salento (Italie): «Se è turtura all’acqua torna». Qui signifie: «Si c’est une hirondelle, elle reviendra au point d’eau». J’aime cette idée qu’il faut parfois faire confiance aux choses qui nous échappent, que nous ne contrôlons pas.

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Paru dans Planète Santé magazine N° 31 - Octobre 2018

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