Un vaccin anti-cancer pour bientôt?
L’immunothérapie, c’est quoi?
Notre système immunitaire est un bijou de machinerie complexe et compétente. Tout au long de la vie, il combat à lui seul les virus, bactéries et autres pathogènes que nous rencontrons au quotidien. Mais face à des cellules cancéreuses, cette armée complexe se retrouve parfois démunie. Prenant l’apparence de cellules saines, les tumeurs trompent les soldats de notre système immunitaire. La recherche en oncologie a depuis plusieurs années tenté de résoudre ce défi en essayant d’aider notre organisme à combattre lui-même les cellules cancéreuses. Le vaccin utilise des parties des cellules cancéreuses comme antigènes pour inciter le système immunitaire à les attaquer. C’est le principe de l’immunothérapie, nouvelle arme thérapeutique personnalisée qui révolutionne le traitement du cancer.
Le bassin lémanique s’impose comme l’un des lieux clé de la recherche contre le cancer. Parmi les différents axes de travail: la mise au point de vaccins anti-cancer personnalisés. Le Département d’oncologie UNIL-CHUV (Université de Lausanne - Centre hospitalier universitaire vaudois), avec son antenne lausannoise du Ludwig institute for cancer research, vient de démarrer deux essais cliniques sous la houlette de la Pre Lana Kandalaft, cheffe de service du Centre de thérapies expérimentales (CTE) du département en question.
Comment fonctionne un vaccin anti-cancer?
À visée thérapeutique et personnalisé en fonction du patient et de son cancer, le vaccin consiste à éduquer le système immunitaire pour l’aider à lutter contre des cibles spécifiques, propres à la tumeur. C’est le principe de l’immunothérapie. «Le cancer se développe différemment chez chaque individu, explique Lana Kandalaft. Pour un même type de tumeur, les cellules cancéreuses peuvent révéler des mutations très différentes d’une personne à l’autre, d’où l’importance d’un traitement ultra-personnalisé.»
Pour mettre au point ce vaccin, les équipes du CTE doivent, dans un premier temps, parvenir à identifier les antigènes spécifiques des cellules cancéreuses du patient. Puis, dans un second temps, les réintroduire dans l’organisme pour l’entraîner à reconnaître ces cibles et à les combattre. Le vaccin anti-cancer ne s’adresse donc pas à la population générale, mais aux personnes déjà touchées par le cancer.
Essais cliniques
Les deux essais cliniques menés par le CTE portent sur le cancer du pancréas et le cancer du poumon. Un troisième projet débutera prochainement pour le cancer de l’ovaire. «Ces cancers sont très difficiles à traiter, en partie à cause de la physiologie des tumeurs dites "froides", c’est-à-dire qui ne sont pas reconnues par les cellules T*, souligne Lana Kandalaft. Le vaccin permet de changer le milieu des tumeurs pour les transformer en tumeurs dites "chaudes", plus facilement identifiables.»
Via un plateau technique de pointe et à partir soit d’un échantillon d’antigènes transformés en petites protéines (peptides), soit de broyat de la tumeur elle-même prélevée chez le patient, l’équipe de Lana Kandalaft parvient à cultiver en laboratoire des «radars» spécifiques et sans danger pour cibler les cellules cancéreuses. Une fois réintroduits dans le corps du malade, ces derniers vont former les cellules T à reconnaître et attaquer la tumeur.
Sur le papier, les choses semblent faciles. Mais l’efficacité de l’immunothérapie est conditionnée par différents paramètres et de nombreux axes de réflexion sont menés par les équipes de recherche. «La grande difficulté, ajoute Lana Kandalaft, est de parvenir à identifier le meilleur antigène pour chaque tumeur: est-ce un peptide, une association de différents peptides ou un broyat de la tumeur elle-même qui sera le plus efficace pour la combattre? Nous nous interrogeons également sur la combinaison du vaccin avec d’autres traitements contre le cancer ou encore sur le moment idéal pour réaliser l’injection.»
Éviter les rechutes
Après la chirurgie et la chimiothérapie, une fois en phase de rémission, les patients pourraient bénéficier de ce vaccin «sur mesure», de façon à prévenir une récidive de la maladie. «L’espoir de ces essais menés pour l’instant sur certains types de cancers particulièrement agressifs est de parvenir à réduire ce risque de rechute et ainsi de prolonger l’espérance de vie des patients», explique la chercheuse. Avec un taux de survie à 5 ans qui stagne à 26 % pour le cancer du poumon et à 13 % pour celui du pancréas, cette perspective thérapeutique est prometteuse.
Mais si des résultats préliminaires ont pu montrer l’efficacité et la sécurité du vaccin, son développement se heurte néanmoins à certaines limites. Les nerfs de la guerre, comme souvent: le temps et l’argent. L’élaboration d’un vaccin ciblé nécessite des technologies coûteuses et demande du temps humain. Le laboratoire du CTE parvient à produire environ quatre vaccins par mois, mais s’est fixé comme objectif de doubler cette performance à court terme. «Aujourd’hui, les outils se sont perfectionnés, on connaît de mieux en mieux le système immunitaire, on sait fabriquer le traitement et on comprend comment il fonctionne, conclut avec optimisme Lana Kandalaft. Nous n’avons n’a jamais été aussi près de mettre ces vaccins sur le marché.»
Un pont entre le laboratoire et le chevet du patient
Vaste plateforme de recherche intégrée au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) depuis 2014, le Centre de thérapies expérimentales (CTE), mis en place et dirigé par la Pre Lana Kandalaft, opère comme une passerelle entre, d’une part, la recherche en laboratoire autour des thérapies cellulaires personnalisées et, d’autre part, la mise en place de perspectives thérapeutiques concrètes et rapides pour les patients.
Avec 180 collaborateurs, couvrant 750 m2, ce qui en fait l'une des plus grandes installations académiques de fabrication de cellules T en Europe continentale, le CTE s’est imposé comme une référence mondiale dans la transition de programmes de recherche vers de nouveaux traitements et techniques de soin, du laboratoire au patient.______________
* Ou lymphocytes T, «soldats» du système immunitaire.
Paru dans Le Matin Dimanche le 15/05/2022.
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