La recherche anticancer, mieux ciblée, a avancé très vite ces dernières années
De quoi on parle?
En quelques années, le développement des thérapies contre le cancer a connu un essor fulgurant. Des centaines d’essais cliniques sont actuellement en cours dans le monde et déjà plus d’une centaine de molécules sont disponibles pour tenter de limiter le développement des tumeurs, faute de toujours pouvoir guérir le patient. De plus en plus précises, ces thérapies nécessitent des investissements importants et restent réservées à des cas cliniques très particuliers. Outre le défi scientifique, élargir l’accès aux traitements à venir sera un des enjeux des prochaines années.
Trastuzumab, imatinib, sunitinib, ipilimumab: ces molécules aux noms peu évocateurs ont en commun d’avoir révolutionné la prise en charge des patients cancéreux ces dernières années. Leurs modes d’action diffèrent mais toutes font partie de ces thérapies plus ciblées et de plus en plus personnalisées qui se développent de manière exponentielle et font naître beaucoup d’espoirs pour lutter contre cette maladie qui tue 16 000 personnes en Suisse chaque année (voir infographie). Tour d’horizon de trois techniques phares qui utilisent le système immunitaire et pourraient modifier les prises en charge de demain.
1. La révolution des anticorps
En plus des traitements chirurgicaux, chimio-, radio- et hormonothérapies, de plus en plus de patients se voient proposer des thérapies qui reposent sur des anticorps, des «anti-ARN», ou encore des vaccins thérapeutiques. Des classes de médicaments qui n’existaient pas il y a encore dix ans. «C’est la biologie qui nous a permis de progresser aussi vite ces dernières années, explique Pierre-Yves Dietrich, chef du service d’oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Tout s’est accéléré quand nous avons mieux compris ce qui se passe dans les cellules cancéreuses. Il reste encore beaucoup à faire, mais en quelques années il y a eu un réel coup d’accélérateur.»
Le trastuzumab reste emblématique de ce tournant dans la prise en charge des cancers. En 2005, trois essais cliniques ont démontré les bénéfices de cet anticorps monoclonal pour certains cancers du sein, dits «HER positifs». Ce type de traitement repose sur un principe simple. D’abord, on analyse le génome de la tumeur pour y déceler des mutations impliquées dans la cancérisation des cellules. Ensuite, on administre un anticorps –répliqué en de très nombreux exemplaires semblables, formant un clone (d’où le terme monoclonal)– qui reconnaît ces mutations. En se fixant sur les cellules tumorales, il ralentit voire stoppe leur croissance.
De plus en plus de mutations génétiques sont connues et donc recherchées dans les tumeurs. Parallèlement, le nombre d’anticorps monoclonaux a largement augmenté. Cette stratégie thérapeutique a permis de considérablement améliorer la survie des patients atteints de cancers du rein, du poumon, du sein, de mélanome ou encore de leucémies. Certains patients voient leur espérance de vie s’allonger de plusieurs années. Mais ces molécules ne permettent pas encore de les guérir. «Par ailleurs, toutes les tumeurs ne présentent pas de mutations connues ou pour lesquelles il existe un anticorps», souligne Lana Kandalaft, directrice du Centre des thérapies expérimentales du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Un vaccin thérapeutique «sur mesure»
Analyser le génome de la tumeur permet d’identifier des mutations qui lui sont propres, et les antigènes spécifiques (néo-antigènes) qu’elle produit. A partir de ces données, un vaccin unique, spécifique pour chaque patient, est mis au point. Il peut être utilisé en combinaison avec d’autres traitements (chimiothérapie, immunothérapie, etc.) ou ultérieurement. «Quand le patient est en rémission, on ne fait rien, on attend et on surveille. On pourrait utiliser ces vaccins à ce moment-là pour limiter les rechutes», commente Lana Kandalaft, qui estime que tous les patients devraient à terme pouvoir accéder à ces vaccins. «Là encore nous sommes face à une technologie prometteuse, mais il faudra encore des années de recherche avant de pouvoir l’intégrer à l’arsenal thérapeutique», modère Pierre-Yves Dietrich.
2. Réveiller le système immunitaire
Utiliser le système immunitaire pour lutter contre le cancer est une stratégie sur laquelle les scientifiques planchaient depuis près d’un demi-siècle. Depuis quelques années seulement, ils ont réussi à manipuler les cellules immunitaires afin qu’elles soient plus efficaces pour détruire les cellules cancéreuses. «Les immunothérapies, c’est LA voie où il faut continuer à investir, s’enthousiasme Lana Kandalaft. Le cancer est un étranger dans l’organisme et celui-ci doit apprendre à le combattre comme il le fait avec les virus ou les bactéries!»
En comprenant mieux les interactions entre les cellules tumorales et le système immunitaire, les scientifiques ont notamment mis au point des anticorps qui cette fois ne ciblent pas la tumeur mais les lymphocytes T. Ceux-ci sont en charge de détruire les agents pathogènes, les cellules anormales ou cancéreuses. «On a pu démontrer que les cellules cancéreuses ne sont pas attaquées par les cellules T car elles modifient leur fonctionnement, explique Lana Kandalaft. Les anticorps dits "checkpoint inhibitors" vont lever ce blocage et redonner aux lymphocytes T leur capacité de détruire les cellules tumorales.» Ces molécules ont été récemment testées dans des essais cliniques ciblant divers types de tumeurs et leur efficacité a été démontrée notamment pour certains mélanomes.
«On ne considère plus les traitements par organe, mais selon les mécanismes d’action des cellules cancéreuses. La recherche est donc beaucoup plus transversale, commente Pierre-Yves Dietrich. Par exemple, les avancées qui sont faites dans le cancer du sein peuvent bénéficier aussi à la prise en charge de certains cancers de l’estomac.» Aux Etats-Unis, le nivolumab, connu pour être efficace dans le traitement du mélanome, vient de recevoir une autorisation rapide (lire encadré) de la part de la Food and Drug Administration (FDA) pour être utilisé dans certains cas de cancers du poumon, habituellement très difficiles à traiter.
3. Mieux armer les cellules T
D’autres techniques utilisent également les lymphocytes T. Contrairement à la méthode des «checkpoints inhibitors» qui visent à ouvrir la porte aux lymphocites T, il s’agit cette fois d’une technique de thérapie cellulaire qui vise à apprendre à ces cellules immunitaires à combattre les cellules malades. Les cellules sont prélevées et cultivées hors de l’organisme où elles sont modifiées et entraînées à combattre la tumeur. Les cellules sont ensuite réinjectées. De manière expérimentale, la méthode a donné des résultats prometteurs chez des patients atteints de leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) résistantes. Les centres de thérapie cellulaire des HUG et du CHUV espèrent pouvoir développer cette approche localement. Mais «c’est une technique très complexe, et il faudra attendre encore plusieurs années avant qu’elle ne puisse être proposée à des patients», prévient Pierre-Yves Dietrich.
Les agences sanitaires doivent s’adapter
Les molécules innovantes se développent à un rythme sans précédent, ce qui surcharge les procédures d’autorisation par les agences sanitaires. «Le temps est très, très long entre le moment où une molécule est créée et celui où elle est approuvée, explique Lana Kandalaft. Il y a les tests sur les animaux, puis différentes phases d’essais cliniques chez l’homme, ce qui peut prendre des années. Les autorités de santé ont compris qu’il fallait qu’elles s’adaptent en délivrant des autorisations plus rapidement.» Pas question bien entendu de privilégier la rapidité au détriment de la sécurité des patients. Mais quand une nouvelle molécule se montre plus efficace que le traitement standard dans une étude clinique, il est possible de la suspendre afin de faire bénéficier tous les patients de cette molécule. Aux Etats-Unis, l’autorité de santé (FDA) peut accélérer la commercialisation de thérapies particulièrement efficaces pour permettre au plus grand nombre d’en bénéficier. «Ces procédures dites de "fast track" sont très importantes, car quand la FDA donne son accord, c’est souvent un bon marqueur pour accélérer les procédures en Europe», souligne Lana Kandalaft.
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