Cancer de l’enfant: où en sommes-nous
Un sujet difficile, des succès spectaculaires
Abordant un sujet difficile (le cancer chez l’enfant est ressenti comme particulièrement injuste), Maja Beck-Popovic a pu néanmoins donner de bonnes nouvelles à son auditoire, lors de sa conférence (Conférence du cinquantième de la Ligue vaudoise contre le cancer à Nyon le 10 juin 2010). En tant que spécialité, l’oncologie pédiatrique a une cinquantaine d’années; dans cette courte période, elle a enregistré une diminution régulière de la mortalité et l’augmentation correspondante des survies et des guérisons. Cette tendance est spectaculairement illustrée par la leucémie lymphoblastique aiguë de l’enfant: en 1960, la survie était de 10%; en 2010, elle est passée à 80% !
Les clés du succès
Les clés de ce succès? Une combinaison de progrès dans tous les domaines:
- une meilleure connaissance de la maladie qui conduit à une typologie plus fine des aberrations de la croissance cellulaire, donc des facteurs de risque et des degrés de gravité;
- une meilleure compréhension du rôle de la génétique dans le déclenchement, l’agressivité et la réponse aux traitements des différents types de cancer;
- la possibilité (issue des deux progrès précédents), pour certains types de cancer, de trouver leur «talon d’Achille» spécifique – et donc un traitement parfaitement ciblé;
- l’invention de nouveaux médicaments;
- la connaissance approfondie de la manière dont chaque individu réagit à ces médicaments (pharmacogénomique);
- l’usage d’instruments d’observation plus performants que le classique microscope (scanners, IRM, aujourd’hui biologie moléculaire) permettant d’aller «au-delà du visible», donc de détecter plus tôt la maladie, mais aussi de vérifier avec davantage de précision la présence de cellules résiduelles responsables des rechutes;
- enfin et surtout, la mise en œuvre, dès les années 60, des protocoles de recherche clinique et des études «randomisées» – la randomisation est l’administration, par tirage au sort, d’un traitement considéré comme standard et d’un traitement standard incluant une nouveauté thérapeutique. Ces études ont joué un rôle capital à la fois dans le ciblage et dans la standardisation des réponses thérapeutiques.
L’oratrice a ainsi donné l’exemple du succès enregistré dans la lutte contre la tumeur de Wilms, un cancer du rein spécifiquement pédiatrique. Les protocoles de recherche successifs ont permis d’élever considérablement le taux de survie par une combinaison de chirurgie, de radiothérapie et de chimiothérapie. Grâce à ces mêmes protocoles, les oncologues se sont aperçus que la radiothérapie n’était nécessaire que dans les cas avancés – on pouvait donc se passer d’un traitement toujours risqué pour un organisme en croissance. Simultanément, en étudiant le comportement clinique de la maladie, ils ont pu identifier des «sous-espèces» de celle-ci, donc adapter au mieux leur stratégie thérapeutique en fonction de chacune de ces sous-espèces. Enfin, les mêmes protocoles ont permis de savoir avec précision ce que devenaient les enfants guéris et d’identifier d’éventuelles séquelles dues aux traitements administrés.
Une collaboration à l’échelle mondiale
Le cancer de l’enfant est une maladie rare. Mais, souligne la Dresse Beck-Popovic, cette médaille a son revers: aucun centre de recherche local n’aura assez de patients pour mener des recherches cliniques pertinentes. Ainsi, depuis longtemps, les spécialistes collaborent intensivement à une échelle internationale. Il y a aujourd’hui deux grands groupes de collaboration auxquels les oncologues spécialistes du cancer de l’enfant (près de 5’000 dans le monde) sont affiliés: le Children’s Oncology Group, d’obédience américaine, et la Société internationale d’oncologie pédiatrique, d’origine européenne.
La collaboration internationale s’est également généralisée dans l’étude statistique des cancers de l’enfant (à travers les grands «registres» américains et européens), ce qui permet d’en dresser un portrait fiable.
Les caractéristiques générales
Les spécificités du cancer de l’enfant sont d’abord sa rareté (moins de 1% de tous les cancers), ensuite son caractère «accidentel»: la prédisposition génétique ou les facteurs environnementaux sont négligeables. Ses symptômes sont non spécifiques, c’est-à-dire qu’ils se confondent souvent avec les symptômes d’autres maladies pédiatriques. Enfin, trois quarts des enfants en guérissent, tous types confondus.
L’incidence
Chaque année, on dénombre 250 nouveaux cas de cancer de l’enfant en Suisse, 1’800 en France, 12’000 en Europe: tels sont les chiffres essentiels. On constate aussi que le cancer est présent à tous les âges, et qu’il est légèrement plus fréquent chez les garçons que chez les filles (phénomène à ce jour inexplicable, dit Maja Beck-Popovic). Est-il plus fréquent aujourd’hui qu’hier? La réponse est oui. Aux Etats-Unis comme en Europe, on observe une augmentation légère et régulière, mais sans raison identifiée.
Les grandes tendances
Le recensement des données permet également de préciser certaines tendances:
- la mortalité générale a constamment diminué depuis quarante ans, d’une façon moins spectaculaire toutefois pour les tumeurs des organes que pour les cancers du sang et des ganglions (leucémies et lymphomes).
- L’augmentation du taux de survie est observable à peu près dans la même proportion dans chacune des tranches d’âge, mais cela vaut en moyenne, pas pour toutes les catégories de tumeurs.
Les perspectives de progrès
Quelles sont les perspectives de progrès dans la prochaine décennie ? Maja Beck-Popovic insiste: tout dépend du type de cancer. On peut prédire que la survie à cinq ans dépassera 90% pour la leucémie lymphoblastique aiguë, les lymphomes, la tumeur de Wilms et les tumeurs germinales des organes génitaux. Le futur est moins clair pour les autres tumeurs solides des organes, où l’on a connu des progrès plus lents ces vingt dernières années. Cependant, le progrès ne se mesure pas uniquement à l’aune des taux de survie: il consistera aussi, par exemple, à alléger les traitements pour les maladies à bon pronostic, à éviter les médicaments pouvant provoquer des séquelles, à éliminer définitivement la radiothérapie. Il s’agira encore de généraliser davantage l’application des protocoles de traitements pédiatriques aux adolescents et aux jeunes adultes, cette application ayant d’ores et déjà donné des résultats très encourageants.
La guérison est aussi psychologique et sociale
En conclusion, Maja Beck-Popovic a rappelé une évidence: la guérison n’est pas seulement médicale; l’enfant guéri du cancer doit pouvoir développer ensuite, comme les autres, son parcours scolaire, professionnel et familial. D’où l’importance d’une prise en charge globale, impliquant non seulement les équipes soignantes, mais aussi tous les acteurs de l’accompagnement psychosocial.
La Dresse Beck-Popovic est médecin associé et responsable de l’Unité d’hémato-oncologie pédiatrique au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) depuis 1998. Maître d’enseignement et de recherche dès 2003, privat docent dès 2008, elle est membre, entre autres, de la Société internationale d’oncologie pédiatrique et du Groupe suisse d’oncologie pédiatrique. Conférencière d’envergure internationale et auteur de nombreuses publications scientifiques, elle développe au fil de sa carrière un intérêt particulier pour le neuroblastome. |
Pour en savoir plus...
Cet article est extrait d'Entre Nous, no 26 paru en novembre 2010, publication de la Ligue vaudoise contre le cancer. La vidéo de la conférence, accompagnée d’un enregistrement audio du débat avec le public, est disponible sur le site de la Ligue: www.lvc.ch
Article original: http://assets.krebsliga.ch/downloads/lvc_en_nov_2010_def.pdf
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