Le poids des écrans sur le sommeil des ados
Discuter en ligne avec des amis, regarder les derniers épisodes d’une série ou encore faire ses devoirs: pour un adolescent, les occasions d’utiliser des supports numériques (smartphones, tablettes, ordinateurs) sont nombreuses, et les heures passées devant un écran peuvent vite s’accumuler.
Les potentiels effets de cette consommation croissante de médias numériques sur la santé des jeunes sont de plus en plus étudiés. En Suisse, il existe encore peu de données sur le sujet. Face à ce constat, une équipe de chercheurs du Département de neurosciences de l’Université de Genève (UNIGE), dirigée par la Pr Sophie Schwartz, en collaboration avec le Dr Stephen Perrig du Laboratoire du sommeil des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), ainsi que le Dr Dagmar Haller-Hester de l'Unité santé jeunes des HUG, a mené durant deux ans une étude pour évaluer les habitudes de jeunes Suisses scolarisés et l’impact des écrans sur leur sommeil.
«Ce projet est original car il ne s’agit pas d’un simple recueil de données scientifiques. Il a aussi un objectif pédagogique de sensibilisation des adolescents et de leur entourage quant à l’impact du sommeil sur la santé, sur les performances et le bien-être à l’éveil», explique Céline Brockmann, cheffe de projet au Bioscope de l’UNIGE, également partie prenante dans l’étude. Dormir est vital pour l’être humain à tout âge, mais le sommeil revêt une importance encore plus grande durant l’enfance. Et les besoins restent élevés chez les adolescents et les jeunes adultes, dont le cerveau continue à se développer. Cependant, les neuf heures de sommeil qui leur sont recommandées sont rarement atteintes.
Impliquer les adolescents
Pour évaluer l’impact de l’utilisation des supports numériques sur le sommeil des jeunes, Virginie Sterpenich et Aurore Perrault, collaboratrices principales sur ce projet, ont recueilli des données chez 315 élèves, de 12 à 19 ans, scolarisés dans le canton de Genève. Chaque élève a rempli durant quatre semaines un «agenda du sommeil», disponible sous format papier… ou numérique! «L’application pour smartphone que nous avons développée a eu beaucoup de succès, c’est vrai, mais les plus jeunes ont tout de même préféré le cahier classique», raconte Aurore Perrault.
A cela s’ajoutait une mesure de l’alternance des périodes veille-sommeil réalisée grâce à un acétimètre porté au poignet par les enfants durant la nuit. «C’est un dispositif très simple qui permet surtout d’évaluer la qualité du sommeil: plus il y a de mouvements enregistrés, moins le sommeil a été profond», explique Virginie Sterpenich. Des dosages de mélatonine (une hormone régulatrice des cycles veille-sommeil) ont également été réalisés, ainsi que des analyses génétiques. «Dans l’idée d’être le plus pédagogique possible, nous avons impliqué au maximum les jeunes dans notre protocole de recherche», souligne Virginie Sterpenich. Les élèves ont ainsi réalisé eux-mêmes les prélèvements de salive nécessaires aux analyses.
«Nous voulions aussi évaluer l’efficacité d’une mesure simple visant à réguler l’utilisation des écrans», explique Sophie Schwartz. Le même protocole a donc été répété lors d’une seconde phase d’expérimentation, où les élèves ne devaient plus utiliser aucun écran après 21 heures.
Analyses en cours
Les conclusions de l’étude ne seront publiées que dans plusieurs mois, mais les premières analyses permettent déjà de dégager des tendances. En moyenne, durant la semaine, les ados ne dorment que huit heures pour les plus jeunes et sept pour les plus âgés, ce qui est insuffisant. Et l’utilisation de médias numériques après 21 h – 1h30 en moyenne – concourt à repousser l’heure du coucher. «L’adolescent est biologiquement programmé pour s’endormir plus tard que les adultes, explique Sophie Schwartz. Mais la lumière des écrans modifie le rythme de sécrétion de la mélatonine, ce qui repousse l’heure du coucher.»
«L’état émotionnel des ados est significativement moins bon quand ils passent beaucoup de temps devant des écrans, ajoute Virginie Sterpenich. Ce qui est important, c’est que les élèves aient pu faire le lien expérimentalement entre leurs habitudes et les conséquences directes sur leur bien-être.» Certains adolescents auraient confié aux scientifiques que cette «expérience avait changé leur vie». «Il est difficile d’évaluer l’efficacité pédagogique du projet, mais nous espérons qu’il permette effectivement de mieux faire passer le message», commente Céline Brockmann. Une mallette pédagogique, version simplifiée de l’étude scientifique, sera à terme disponible pour les enseignants genevois qui voudraient aborder avec leurs classes la thématique du sommeil.
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