Cassée, la voix
Bruyants, voilà un adjectif que les plus mauvaises langues attribuent aux enfants, qui crient leur joie de vivre dans les parcs et les cours d’école. Certains se font pourtant moins entendre que d’autres. Les troubles de la voix affectent 23% des enfants, avec pour 19,3% d’entre eux un impact sur la qualité de vie. Avoir la voix cassée ou rauque, lorsqu’on est un enfant, n’est pas normal. Pourtant cette anomalie est encore trop souvent ignorée ou négligée, malgré son impact sur le quotidien et la vie future. Une plus grande sensibilisation est nécessaire auprès des médecins, des pédiatres, des parents, mais aussi des professionnels (enseignants, par exemple) qui gravitent autour de l’enfant.
Des maux sous-jacents
La dysphonie s’accompagne souvent de lésions bénignes telles que nodules (74,7% des cas), laryngites chroniques (19,5% des cas) ou polypes (5,9% des cas). Les enfants concernés ont entre 5 et 12 ans, avec une majorité de garçons issus de milieux socio-économiques favorisés. Ils sont généralement vifs et impulsifs, parlant beaucoup et fort, aussi bien à la maison qu’à l’école. Certains peuvent être hyperactifs et tous pratiquent des activités sportives à l’extérieur entraînant un effort vocal. On remarque que l’existence d’une fratrie est un facteur favorisant la formation des nodules car il y a alors souvent utilisation d’un volume excessif de la voix dès la présence d’un deuxième enfant, qu’il soit plus jeune ou plus âgé.
L’origine de la dysphonie est multifactorielle: les allergies respiratoires et l’asthme peuvent faire partie des troubles associés. Dans 38,1% des cas, on note une infection des voies aériennes supérieures. Les infections respiratoires y participent car elles affectent les mêmes organes et structures que celles impliquées dans la phonation. L’obstruction nasale, par exemple, est très fréquemment retrouvée. La toux et les raclements de gorge le sont aussi.
Lors d’une dysphonie, la voix est souvent éraillée, rauque, cassée ou enrouée, avec des phases d’aphonie dans 73,5% des cas, c’est-à-dire avec une perte de voix totale ou presque totale qui peut durer de quelques heures à plusieurs jours ou semaines. Les enfants disent devoir faire un effort pour parler et présentent généralement une voix aiguë et instable. En cas d’obstruction nasale, la voix est en revanche plus rauque, soufflée, avec une importante tension au niveau du larynx et une mauvaise résonance nasale.
Une source de handicap
Les enfants concernés se plaignent souvent d’une incapacité à chanter, à faire du solfège, à lire à voix haute en classe et à répondre à la maîtresse par peur que la voix ne se coupe ou qu’on ne les entende pas. Ces enfants ne peuvent pas appeler leurs copains à la récréation ou pendant les matchs de foot et ne peuvent pas se défendre si on les embête. L’impact négatif sur les compétences de communication et les aptitudes psychosociales peut entraîner une baisse de l’estime et de la conscience de soi, avec un risque plus élevé de troubles de l’humeur, d’irritation, de repli sur soi et de frustration.
Ne pas laisser traîner
C’est souvent tardivement que le problème est pris en charge. Or, plus on agit tôt (avant l’adolescence), meilleures sont les chances de récupération. Les parents ont tendance à minimiser, pensant que leur enfant a simplement une voix moins puissante ou différente de la norme ou que cela finira par s’arranger tout seul. Il faut dire que le fonctionnement de l’appareil vocal et l’hygiène vocale sont méconnus dans la population. Mais en cas d’enrouement persistant chez l’enfant, il est important de consulter.
La rééducation vocale peut permettre de retrouver une voix claire et efficace. Parfois elle doit s’accompagner d’autres traitements pour soigner les troubles associés (médicaments, chirurgie). Un examen ORL et si possible une vidéostroboscopie peuvent être indiqués afin d’objectiver les lésions éventuelles. La rééducation vocale comprend un traitement direct et indirect. Elle consiste en des exercices vocaux sur la résonance, la modulation et le changement d’inflexions afin de retrouver une élasticité musculaire. Elle se déroule en présence de l’un des parents ou des deux, et éventuellement de la fratrie. Elle est l’occasion, pour le patient et sa famille, d’acquérir des connaissances de base sur l’hygiène vocale pour que l’enfant adopte de bonnes habitudes et utilise au mieux sa voix en fonction des circonstances. Sa participation et sa motivation au traitement sont gages de réussite. La relation entre le thérapeute, l’enfant et ses parents est elle aussi importante.
Généralement, la thérapie vocale donne de très bons résultats, avec une régression des lésions et une meilleure utilisation des organes phonatoires. Cette prise en charge amène souvent un changement du comportement vocal et de la dynamique familiale avec davantage d’écoute de l’autre, de respect, moins de répétitions, plus de responsabilisations et une amélioration du dialogue au sein de la famille. Quelques séances seulement (six à huit) suffisent à redonner à l’enfant des perspectives d’avenir, à savoir la possibilité d’accéder à tous les métiers qui sont basés sur la communication verbale, sans limitation à cause de sa voix.
Savoir être à l’écoute
À Genève, tandis que 40% des enfants dysphoniques sont adressés en rééducation par leur professeur de solfège, 20% le sont par leur professeur d’instrument de musique, 20% par un membre du corps enseignant, 15% y accèdent parce que leurs parents ou une personne de leur entourage s’inquiètent et 5% seulement sont adressés par des médecins.
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Adapté de: Amberger P. Troubles de la voix chez l’enfant: que faire? Rev Med Suisse 2020;16: 2348-2350.
Paru dans Planète Santé magazine N° 41 – Juin 2021