Améliorer la vue grâce à des injections de gènes

Dernière mise à jour 09/04/24 | Article
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La thérapie génique oculaire a le vent en poupe et pourrait traiter certaines pathologies altérant gravement la vision. Explications.

Revoir après des années de quasi-cécité semble être un miracle digne de ceux qui pourraient se réaliser à Lourdes. Pourtant, celui dont il est question ici se passe à Lausanne, à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin (HOJG). Un jeune homme de 25 ans (lire encadré) a bénéficié d’une thérapie génique (lire encadré) qui devrait permettre une amélioration notable de sa vision.

Comment ça marche?

Introduire un gène sain dans une cellule n’est pas une mince affaire. Tout d’abord, le produit injectable doit être préparé peu de temps avant l’intervention car il contient des éléments «vivants». Ensuite, il faut que le gène arrive à destination. Il ne suffit donc pas de l’injecter dans l’œil en espérant qu’il fasse son boulot. «Nous utilisons des virus porteurs du gène sain. Ces virus vont contaminer les cellules et amener le gène dans leur noyau. Ce dernier est responsable de la production saine de la protéine rétablissant une fonction cellulaire normale», explique le Dr Hoai Viet Tran, spécialiste en oculogénétique et médecin responsable à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin de Lausanne. 

Malheureusement, tous les gènes ne peuvent pas être ainsi introduits dans des virus, car certains sont plus volumineux que d’autres. Une autre approche consiste à travailler directement sur l’ADN des cellules en utilisant deux bouts d’ADN distincts. «L’un agit comme un outil et coupe l’ADN naturel de la cellule. Puis, il insère l’autre bout contenant le gène thérapeutique dans l’ADN d’origine. Cette approche a l’avantage d’être pérenne car la modification se fait directement dans le génome. Dans le cas des virus, l’effet peut s’estomper avec le temps», explique la Pre Gabriele Thumann, du Service d’ophtalmologie des HUG.

Atteint d’une amaurose congénitale de Leber, une maladie ayant causé une malvoyance dès sa naissance, le patient a bénéficié d’une injection de Luxturna, premier traitement par thérapie génique remboursé par l’assurance maladie de base. Ce produit contient un gène sain susceptible de remplacer celui défectueux à l’origine de sa maladie. «Dans le cas de l’amaurose congénitale de Leber, un seul gène dysfonctionne et cela provoque une malvoyance importante. La maladie est sévère, progressive et la vision résiduelle se péjore avec le temps. La fenêtre thérapeutique est ainsi limitée, plus le patient est traité jeune, mieux c’est. En introduisant un produit contenant la version saine du gène défectueux, on parvient à rétablir le fonctionnement presque normal des cellules. Le gène sain agit comme un médicament», explique le Dr Hoai Viet Tran, spécialiste en oculogénétique et médecin responsable à l’HOJG. Un traitement récent que seuls deux centres en Suisse, accrédités par Swissmedic, peuvent administrer, l’un à Bâle, l’autre à Lausanne. 

«L’œil est un organe de petite taille, isolé du corps. Il se prête particulièrement bien à la thérapie génique. Le produit injecté ne se dissémine pas ailleurs dans l’organisme. Cela évite les réactions du système immunitaire», poursuit le spécialiste. La thérapie génique oculaire semble donc la panacée pour plusieurs pathologies héréditaires altérant la vision. D’autres maladies, comme la rétinite pigmentaire 28, font également l’objet de recherches. Des chercheurs de l’HOJG et de l’Université de Genève collaborent actuellement afin de trouver le bon dosage du gène sain capable d’agir pour améliorer la vision des malades de cette forme d’atteinte rétinienne. 

Maladies multifactorielles

«Malheureusement, ce type de thérapie génique dite curative ne fonctionne que pour les maladies causées par un seul gène défectueux. Et elles sont extrêmement rares. La plupart des pathologies ont des causes multifactorielles. Il y a une composante génétique, mais aussi des aspects liés à l’environnement, à l’hygiène de vie du patient, entre autres», explique la Pre Gabriele Thumann, médecin-cheffe du Service d’ophtalmologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Cependant, les gènes peuvent aussi être utilisés comme médicaments pour d’autres maladies. «Il existe un autre type de thérapie génique qui est dite additive. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’injecter un gène sain pour remplacer le défectueux, mais d’ajouter un gène pour obliger les cellules à produire les molécules dont elles ont besoin pour guérir.» L’équipe de recherche de la Pre Thumann s’intéresse ainsi à la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Cette maladie touche 50% des personnes âgées entre 80 et 90 ans et affecte grandement leur vision. À l’heure actuelle, des injections à l’intérieur de l’œil d’un médicament (anti-VGEF) permettent de ralentir la maladie, mais elles doivent être faites régulièrement. «Nous sommes en train de mettre au point une thérapie génique qui permettrait aux cellules de l’œil de produire elles-mêmes la protéine nécessaire pour enrayer la progression de la maladie. La thérapie génique additive transforme ainsi les cellules du corps pour qu’elles deviennent livreuses de médicaments», explique la Pre Thumann. 

Les avantages sont nombreux: finis les effets secondaires des médicaments traditionnels, plus besoin de prendre un traitement à vie, le phénomène de résorption partiel de la substance active par l’estomac est contourné et, surtout, plusieurs maladies pourraient bénéficier de ce type d’approche. «Nous espérons commencer les essais cliniques sur la DMLA d’ici douze à dix-huit mois», se réjouit la spécialiste.

«J’étais sûr qu’un jour il y aurait un traitement pour ma pathologie»

Thimeth Than Thanabalasingam est le premier patient en Suisse romande à avoir profité d’une injection de Luxturna pour contrer sa maladie génétique. C’était le 27 février dernier à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin de Lausanne. Ce jeune juriste, établi à Granges-Marnand (VD), est atteint d’une amaurose congénitale de Leber qui affecte le fonctionnement de sa rétine. «Je suis né comme cela et j’ai grandi avec ce handicap. Avec une bonne luminosité et un bon contraste, je parviens à distinguer les objets. Dans l’obscurité, c’est plus compliqué», explique-t-il. 

Bien que cette maladie cause une vision très réduite dès la naissance, elle a tendance à dégénérer et la vue résiduelle diminue d’autant plus. «J’ai de la chance, car dans mon cas, ma vision est restée stable. Cependant, je suis conscient que la thérapie génique dont je viens de profiter arrive au bon moment», précise le jeune homme de 25 ans. 

Thimeth Than Thanabalasingam a été opéré en ambulatoire d’un œil, l’autre suivra d’ici quelques semaines. «Je suis arrivé à l’hôpital très confiant. Je suis un éternel optimiste et j’ai toujours été convaincu qu’un jour, il y aurait un traitement pour ma pathologie. J’ai une famille formidable, des amis, un boulot, je vis normalement et tout ce qui peut arriver dans les semaines à venir sera un plus.» Les résultats du Luxturna devraient se manifester quatre à six semaines après l’injection. «Je suis heureux de pouvoir partager mon expérience pour inspirer les autres dans ma situation», conclut le futur magistrat.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 31/03/2024