Un jeune adulte sur deux a déjà souffert de trouble auditif
De quoi on parle?
Les faits
En novembre dernier, la chanteuse belge Lara Fabian a expliqué devoir procéder à un aménagement de sa tournée «Le secret» suite à une perte d’audition, provoquée par un accident survenu quelques mois plus tôt: un technicien avait par erreur envoyé un son très puissant dans ses écouteurs.
Le bilan
Trois mois plus tard, la chanteuse a annoncé que son problème ne s’est pas amélioré et qu’elle doit se résoudre à annuler sa tournée. Elle devra par ailleurs se tenir éloignée de sources de bruit pendant plusieurs semaines pour ménager son oreille interne et espérer retrouver une partie de ses capacités auditives.
Exposition chronique ou traumatismes aigus peuvent causer des perturbations auditives qui vont de l’acouphène passager (lire encadré) à la surdité irréversible. Selon un sondage de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) publié l’an dernier, 90% des Suisses estiment entendre bien ou très bien, mais un tiers avoue avoir rencontré au cours des cinq dernières années un problème auditif temporaire. Chez les 25-35 ans, ils sont plus de la moitié à avoir déjà souffert de perturbations auditives. Médecins et pouvoir publics attirent l’attention, des jeunes en particulier, sur l’importance des mesures de prévention. Il n’existe en effet aucun traitement médicamenteux efficace pour palier une perte auditive.
L’audition est une fonction qui dépend d’une suite de phénomènes physiques complexes (voir infographie). Les sons parviennent au tympan et le font vibrer. Ces vibrations sont ensuite propagées par la chaîne des osselets jusqu’à une petite structure nichée au cœur de l’oreille interne: la cochlée. Celle-ci contient des cellules ciliées (garnies de cils) qui transforment le signal en impulsions électriques envoyées au cerveau via le nerf auditif. «Le corps humain est composé de milliards de cellules, mais nous ne possédons que quelques milliers de ces cellules ciliées, souligne Raphaël Maire, médecin-chef au service d’ORL du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Ces cellules ne peuvent pas se renouveler, donc nous avons un capital auditif à notre naissance et il faut faire avec jusqu’à notre mort.»
L'acouphène n'est pas bénin
Perturbation
Sifflements ou bourdonnements d’oreille, les acouphènes sont les premiers signes d’une souffrance auditive et doivent amener à reposer l’ouïe. «Quand des cellules ciliées sont détruites, le signal électrique transmis au cerveau est perturbé et celui-ci peut produire en retour une sensation auditive erronée, c’est l’acouphène», explique le Dr Raphaël Maire. Disparaissant habituellement après quelques heures, les acouphènes deviennent chroniques si le traumatisme auditif est sévère. En Suisse, un million de personnes ont déjà rencontré ce type de problème. «Les acouphènes peuvent aussi apparaître sous l’effet d’un stress important, après la prise de certains médicaments, ou encore sans raison apparente», rappelle son confrère Nils Guinand. Il n’existe pas de traitement spécifique mais de plus en plus d’associations de patients se constituent pour apporter informations et soutien aux personnes confrontées à ce trouble auditif, qui est souvent vécu comme un réel handicap physique mais aussi psychique.
Traumatismes aigus
Lors de traumatismes auditifs, ce sont ces cellules qui sont atteintes, et le degré de gravité dépend de la fréquence du son, de son intensité et de la durée d’exposition. «Les cellules perdent alors leur fonctionnalité pendant quelques heures, pendant quelques jours ou sont détruites. Les troubles vont de l’acouphène transitoire à la surdité. Plus le son est intense, c’est-à-dire que le nombre de décibels (dB (A)) est élevé, plus les dommages peuvent survenir rapidement», explique Nils Guinand, chef de clinique au service ORL des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Armes à feu, motos ou outils de bricolage produisent des sons brefs mais extrêmement puissants (jusqu’à 160 dB (A) pour une détonation), responsables de traumatismes sonores aigus (TSA), comparables à celui subi par la chanteuse Lara Fabian. De manière plus anecdotique, des cris d’enfants et un éternuement produits à quelques centimètres de l’oreille ont été rapportés comme causes de TSA.
Ces chocs sonores peuvent détruire de nombreuses cellules ciliées. «Les TSA restent heureusement peu fréquents, relève Raphaël Maire, mais chaque année nous recevons plusieurs personnes qui souffrent d’une atteinte auditive importante, et souvent malheureusement irréversible.»
Si une gêne auditive persiste (bourdonnement, sifflement, impression de coton dans les oreilles) entre 12 et 24 heures après une exposition, il faut consulter pour évaluer le traumatisme subi et entreprendre des soins. «Aucun traitement n’est aujourd’hui efficace pour régénérer les cellules ciliées détruites, prévient le médecin. Mais certains, à base de cortisone, ou de produits vasodilatateurs (dilatation des vaisseaux sanguins), peuvent être prescrits pour aider les cellules encore vivantes à récupérer.»
Lésions d’origine professionnelle en baisse
Des dégâts similaires peuvent survenir lorsque l’oreille est exposée plusieurs heures d’affilée à une source de bruit intense. Dans le cadre d’une activité professionnelle, la limite a été fixée à 85 dB (A) pendant 8 heures, cinq jours par semaine. Si l’environnement est plus bruyant (chantier, scierie, carrosserie, etc.), le port de protections auditives est obligatoire. Au cours des dernières années, les lésions d’origine professionnelle ont nettement diminué, et ce sont aujourd’hui les activités de loisirs qui soulèvent le plus d’inquiétudes, principalement celles liées à l’écoute de musique amplifiée.
Dans une salle de concert ou une discothèque, le niveau sonore ne doit légalement plus dépasser 100 dB (A). Il ne faudrait cependant pas s’exposer plus de 20 minutes par semaine à une telle intensité. «Il est fortement conseillé de mettre les protections auditives mises à disposition, conseille Nils Guinand. Les bouchons d’oreilles les plus simples réduisent déjà le niveau sonore de 20 dB (A), ce qui est un gain considérable pour l’oreille.»
L’échelle des décibels est logarithmique: trois décibels en moins, cela correspond à une intensité divisée par deux. Il est aussi important de s’accorder des pauses (30 minutes toutes les deux heures) et de laisser le système auditif au repos après une soirée bruyante, afin que les cellules récupèrent et retrouvent leur fonctionnalité. Pour deux heures passées à 105 dB (A) il faut compter 16 heures de silence. «Une soirée en discothèque, c’est l’équivalent pour l’oreille interne d’un marathon pour les muscles!» résume Raphaël Maire.
Les lecteurs MP3, un danger à long terme
Loisirs
Ecouter de la musique avec un casque régulièrement et à un niveau élevé peut provoquer à long terme des troubles de l’audition irréversibles. Des mesures réalisées par la Suva indiquent que la plupart des lecteurs MP3 et iPod sont capables de délivrer des niveaux sonores allant jusqu’à 110 dB (A). Une intensité telle qu’il ne faudrait pas écouter plus d’une heure de musique par semaine. Or une majorité d’utilisateurs déclarent utiliser leur lecteur MP3 une heure ou plus par jour, et les plus gros utilisateurs sont aussi ceux qui montent le plus le volume. «Il faut être attentif car le phénomène est insidieux, explique le Dr Nils Guinand. L’atteinte auditive va se faire progressivement au fil des années, elle touche en premier lieu les hautes fréquences (de 4000 à 6000 hertz).
Malheureusement, quand on remarque que l’on a du mal à comprendre une conversation, les dégâts sont souvent déjà importants et irréversibles.» Les spécialistes recommandent de ne pas dépasser 60% du volume maximal, l’écoute est alors sans danger pour le système auditif. Les personnes qui travaillent dans une ambiance bruyante doivent toutefois être vigilantes: une double exposition peut accélérer la surcharge de l’ouïe.