L’acouphène, un trouble pénible qui ne se soigne pas
De quoi on parle?
Les faits
Noel Gallagher, ex-guitariste du groupe de rock britannique Oasis, souffre d’acouphènes.
Le bilan
Les médecins lui ont fait passer un scanner du cerveau – dont ils n’ont pas divulgué les résultats. Quoi qu’il en soit, après vingt ans à jouer de la guitare électrique, le musicien est contraint de baisser le volume.
Entendre un son qui n’existe pas est un phénomène paradoxal, mais bien réel. Il est même fréquent, puisque 20% de la population mondiale en a, un jour, fait l’expérience. Ces bruits fantômes, qu’on appelle acouphènes, sont perçus en l’absence de toute stimulation auditive externe, soit dans une seule oreille, soit dans les deux. De 3 à 5% de la population en souffrent de façon permanente. Ces personnes décrivent ces bruits tantôt comme un sifflement de bouilloire, un cliquetis, un jet de vapeur, une chute d’eau, un bourdonnement, un grésillement, un bruit blanc, un son aigu, grave ou multi fréquentiel. Le plus souvent subjectif, l’acouphène n’est associé à aucune lésion spécifique. Difficile, dans ces conditions, d’expliquer pourquoi il s’exprime sous une forme ou une autre. Pour le Dr Raphaël Maire, médecin-chef au Service ORL au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), la nature du son perçu – plutôt un cliquetis ou plutôt un bourdonnement –serai différente selon la ou les cellules du nerf auditif touchées.
Mais d’où viennent alors les acouphènes? Leur apparition peut être due au vieillissement, à une maladie infectieuse, à l’usage de médicaments toxiques pour l’oreille (certains antibiotiques, traitements chimiothérapiques, pour les maladies nerveuses ou infectieuses), à l’alcool ou encore au tabac. Mais le plus souvent, elle est liée à un traumatisme auditif, causé par l’exposition unique (une déflagration, par exemple) ou répétée à des sons de grande intensité. C’est précisément le cas du Britannique Noel Gallagher, ex-guitariste du groupe de rock Oasis, exposé des années durant à des niveaux importants de décibels. Tout musicien, quel que soit son registre, encourt ce danger, mais pas seulement. L’environnement professionnel (chantier, industrie, menuiserie, scierie, etc.) ou les loisirs (un concert, une soirée en discothèque) sont également des sources de dégâts auditifs, potentiellement irréversibles, en l’absence de protections adéquates.
Une touche de piano abîmée
Et contrairement à ce que l’on croit, l’acouphène n’est pas une cause de surdité, mais une de ses conséquences. En effet, tout traumatisme acoustique peut entraîner une atteinte de l’oreille interne, avec perte de l’audition, partielle – parfois imperceptible – ou totale. L’agression engendre un dysfonctionnement du système nerveux auditif. Raphaël Maire nous en explique les mécanismes: «Lors d’une stimulation acoustique intense, les cellules ciliées, responsables de la transmission des sons à l’oreille interne, sont endommagées et ne peuvent plus assurer leur rôle. Les neurones du nerf auditif auxquels elles sont connectées se retrouvent alors livrés à eux-mêmes et se mettent à résonner tout seuls, en permanence.» Un peu à la manière d’une touche de piano abîmée, qui ne produirait plus aucun son, tandis que des cordes de l’instrument vibreraient toutes seules.
D’autres processus, relevant du système nerveux central et des centres émotionnels (amygdales, système limbique), seraient également impliqués et auraient une incidence sur le vécu des symptômes: «Ces connexions expliqueraient pourquoi les patients en souffrent à des degrés différents», poursuit Raphaël Maire. Car ces bruits parasites représentent parfois une véritable épreuve psychologique, d’autant plus si on leur porte de l’attention. Des facteurs propres à chaque individu, tels que sa personnalité (anxiété, volonté de tout contrôler, par exemple), son contexte de vie (difficultés professionnelles ou conjugales), son état de santé physique (fatigue) et psychologique peuvent exacerber ces troubles.
Un traitement psychologique
Une épreuve qui peut s’avérer d’autant plus pénible qu’aucun médicament ne fait disparaître les acouphènes. «Comme on ne sait pas dans quel étage des voies auditives ces gênes s’installent, on ne peut pas agir. De plus, on comprend encore mal pourquoi elles persistent, indique le Dr Izabel Kos, responsable de l’Unité d’otologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). C’est la raison pour laquelle il est vain de chercher à tout prix un traitement qui, en fait, n’existe pas.» A la place, il vaut mieux éviter de focaliser son attention sur ce problème pour ne pa saugmenter leur impact sur le quotidien, poursuit la spécialiste: «Il faut traiter l’acouphène par le mépris, lui dire: tu ne vas pas me contrôler, tu ne vas pas pourrir ma vie.» C’est d’ailleurs en grande partie sur cette attitude que repose la prise en charge thérapeutique de ce symptôme, une fois que des causes biologiques ont été exclues. «Très souvent, précise-t-elle, l’acouphène est l’arbre qui cache la forêt. Dans notre consultation médico-psychologique, nous aidons les patients à comprendre pourquoi ils se laissent envahir et nous les encourageons à puiser dans leurs ressources personnelles pour y faire face.» Comprendre médicalement la nature du mal, entrevoir qu’il ne s’en ira jamais,apprendre à se détendre, prendre conscience de son propre fonctionnement peuvent contribuer à une meilleure acceptation de la situation. Le recours à une thérapie auditive d’habituation avec un générateur de bruit blanc, qui émet un son qui entre en compétition avec l’acouphène, est une autre façon de dériver l’attention sur une stimulation auditive différente.
De nombreuses recherches étudient de nouvelles perspectives thérapeutiques, mais pour l’heure, les pistes restent limitées. Au CHUV, un essai clinique en double aveugle – la moitié des patients reçoit le traitement, l’autre moitié un placebo – incluant une quarantaine de volontaires teste les effets de la neurostimulation transcrânienne. Cette technique consiste à envoyer des stimulations électriques dans le cerveau dans le but d’harmoniser son activité bioélectrique. Est-ce que cela aura un impact sur les acouphènes? Les résultats sont attendus pour ce printemps.
Comment éviter les «bruits fantômes»
Prévention
Les dégâts causés à l’oreille interne peuvent être irréversibles. Il est donc nécessaire de se protéger des agressions acoustiques.
Porter des protections auditives dans les endroits bruyants. Plus le niveau sonore est élevé, plus la durée de l’exposition doit être courte. Les concerts, les sorties en discothèque, les travaux de bricolage, les trajets à moto, les manifestations sportives représentent des situations à risque.
Reposer son ouïe régulièrement, en faisant des pauses et en s’éloignant de tout bruit. Une oreille supporte chaque semaine dix heures d’écoute de musique à 93 décibels, cinq heures à 96 décibels ou deux heures à 100 décibels, selon l’Office fédéral de la santé publique.
Eviter les endroits fermés et bruyants, surtout lorsqu’on a bu de l’alcool, qui a un effet anesthésiant et empêche les réactions normales de protection.
Renoncer au tabac, qui nuit aux oreilles, tributaires d’une bonne oxygénation.
Se tenir éloigné des détonations des feux d’artifice, particulièrement dangereux. Une seule déflagration suffit à endommager l’oreille irrémédiablement.
Prendre au sérieux les signes d’alerte (sifflements, sentiment de surdité, bruits parasites). En cas de choc acoustique ou d’apparition brusque de ces symptômes, consulter rapidement son médecin.