Santé au travail: sensibiliser et prévenir
En chiffres
30%: Plus de 30% des personnes actives se sentent épuisées émotionnellement.
14,9%: Le stress engendre une perte de productivité évaluée à 14,9% du temps de travail, dont 5,3% est perdu à cause de l’absentéisme et 9,6% à cause du présentéisme, à savoir des employés qui se rendent au travail coûte que coûte, parfois inutilement ou du moins avec des horaires exagérés.
270000: Plus de 270’000 accidents professionnels sont reconnus chaque année en Suisse par la Suva (la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accident qui couvre également les maladies professionnelles des personnes actives) et 3000 cas de maladies professionnelles sont acceptés par cette même instance.
1,5 à 2 milliards: Les maladies et les accidents professionnels coûtent 1,5 à 2 milliards de francs chaque année en frais médicaux. Ce montant est multiplié par 2, voire par 5, pour ce qui est des frais que les entreprises doivent couvrir à cause d’une perte de productivité, de l’engagement de personnel de substitution, entre autres.
Elle est révolue l’époque où les personnes travaillaient dans un seul but: nourrir leur famille et payer les factures. Aujourd’hui, le travail doit aussi être source de satisfaction personnelle. «Avec le temps, les attentes des travailleurs ont évolué, tout comme celles des employeurs. Les premiers sont plus facilement insatisfaits de leurs conditions de travail alors que les seconds ont tendance à pousser toujours plus vers la performance immédiate», explique le Dr Sébastien Eich, spécialiste en médecine du travail à la SUVA (la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accident qui couvre également les maladies professionnelles des personnes actives).
Une stratégie à établir
Cela peut induire de la souffrance chez les employés, tant physique que mentale. «Il est primordial que les entreprises aient une véritable stratégie de santé au travail avec un plan d’action et un suivi afin de garantir des conditions optimales à leurs employés, continue le spécialiste. La responsabilité d’une santé au travail durable est partagée entre l’employeur et l’employé. L’entreprise doit mettre en place une culture de prévention avec des mesures nécessaires pour protéger ses salariés. Et ces derniers doivent les appliquer en prenant par exemple le repos nécessaire pour être efficients au travail ou en portant le casque de sécurité pour se protéger sur un chantier.» À titre d’exemple, les sacs de 50 kg de ciment sont interdits au profit de ceux de 25 kg, mais cette mesure ne sert à rien si –pour gagner du temps– l’ouvrier en prend deux à la fois!
«À l’exception des grandes entreprises, la plupart, n’y étant pas obligées par la loi, ne disposent pas d’un service interne de santé au travail. L’obligation de faire appel à des spécialistes en sécurité au travail est prévue par une directive fédérale1 en fonction notamment de l’existence de certains dangers et de conditions particulières ainsi que du nombre de collaborateurs», explique la Dre Mariângela de Moraes Pires, médecin inspectrice du travail du canton de Genève. Et de poursuivre: «Quand une situation arrive à l’inspectorat, les problèmes sont souvent complexes et l’impact sur la santé des employés déjà avéré. Une meilleure connaissance des dangers, des risques pour la santé au travail et des mesures de protection est essentielle. La sensibilisation à ce sujet doit commencer déjà dans les écoles professionnelles. Le monde du travail ne cesse d’évoluer et certaines entreprises pensent, à tort, que les risques professionnels inhérents à leurs activités sont tous connus. Elles minimisent alors les problèmes. On l’a vu avec les changements climatiques et les nouveaux dangers liés aux grandes chaleurs, tout comme il y en a qui émergent avec de nouvelles technologies ou les nouvelles formes d’organisation du travail.» La pandémie de Covid en est aussi un exemple. Avant elle, les risques infectieux ne concernaient que certaines professions, en particulier le personnel de la santé et du social, alors qu’à cause du coronavirus, il s’est étendu à toute personne travaillant en contact avec le public. Sans compter les nouveaux risques psychosociaux associés au télétravail, entre autres.
Collaboration essentielle
Mauvaise anticipation des problèmes de santé potentiels, mais aussi perception erronée du travail des spécialistes font partie des écueils à surmonter. «Il y a une méconnaissance du rôle du médecin de santé au travail, déplore la Dre Peggy Krief, médecin adjointe au Département de santé, travail et environnement d’Unisanté à Lausanne. Dans certaines entreprises, l’employeur ne collabore pas avec des spécialistes dans ce domaine de crainte de voir la rentabilité diminuée. C’est un mauvais calcul, car les mesures préventives existantes permettent d’éviter les maladies et l’absentéisme. Il ne faut pas oublier qu’un quart des motifs de consultation chez un médecin de premier recours est lié au travail!»
Si certains problèmes physiques sont relativement faciles à attribuer à un métier, à l’instar des douleurs lombaires des personnes soulevant de lourdes charges, d’autres soucis de santé sont plus vicieux et le lien avec l’activité professionnelle n’est pas toujours évident. C’est le cas des risques psychosociaux et des maladies liées à l’emploi, à ne pas confondre avec les maladies professionnelles répertoriées par la loi sur l’assurance accident. «On parle beaucoup de souffrance au travail, mais on manque de données objectives, déplore la Dre Krief. En Suisse, il n’existe pas de chaire de santé au travail au sein de la santé publique. Les centres universitaires spécialisés sont trop rares. Ils pourraient pourtant rendre visible l’impact des conditions de travail délétères sur la santé et mener des recherches pragmatiques. Cela pourrait permettre aux décideurs politiques de s’y appuyer pour actualiser le système de santé au travail et ainsi répondre aux besoins du terrain. Même les maladies professionnelles sont largement sousestimées par manque de connaissance des médecins, des employeurs et des travailleurs, et également par une pénurie de spécialistes de la santé au travail.»
La santé comme objectif de management
La recherche sur le terrain est un levier possible pour faire évoluer les mentalités. La formation des médecins en est un autre, tout comme des actions de prévention et de sensibilisation. Le Dr Eich insiste: «La protection de la santé des collaborateurs doit être un objectif du management. Il serait souhaitable que les cadres reçoivent une formation de base en santé et sécurité au travail. Il ne faut pas oublier que la principale ressource d’une entreprise, c’est le capital humain. À quoi cela sert-il d’installer une table de ping-pong dans la cafétéria si le travail est mal organisé et que les employés sont constamment sous pression? La santé au travail ne doit pas être un argument marketing, mais devrait faire partie de la culture d’entreprise, tout comme la prévention des accidents et maladies professionnels.»
Certaines grandes entreprises ont un département interne qui gère ces questions et font appel à des médecins du travail (pour évaluer et prévenir les maladies professionnelles et soutenir le retour au travail adapté), à des hygiénistes (pour répertorier les polluants et mettre en place des mesures pour éviter l’exposition) ou encore à des ergonomes (pour adapter les postes et garantir le bien-être des salariés).
Enfin, les autorités compétentes (SUVA, Secrétariat d’État à l’économie, inspectorats cantonaux) doivent remplir leur mission de contrôle afin de s’assurer que tout est mis en œuvre pour préserver la santé des collaborateurs. En 2021, plus de 26 000 entreprises ont reçu des visites de ces autorités. «Si ce chiffre peut paraître faible au regard du nombre total d’entreprises, il est important de rappeler que, au-delà de sa mission de contrôle, l’inspectorat joue également un rôle important de conseil, d’information et de sensibilisation auprès des entreprises, des salariés ainsi que des professionnels de la santé et sécurité au travail, rappelle Mariângela de Moraes Pires. Dans le canton de Genève, un projet pilote2 est en cours pour favoriser l’accès des employeurs, des employés, mais aussi des travailleurs indépendants, à des prestations en santé au travail.»
Risques et facteurs protecteurs
Parmi les maladies professionnelles les plus courantes répertoriées par la SUVA, il y a tout ce qui touche l’ouïe. Les problèmes de peau sont également très fréquents et les atteintes au système pulmonaire arrivent également en haut de la liste. À noter que plusieurs types de cancers, comme ceux de la vessie (pour les personnes qui travaillent dans l’industrie des colorants) ou de la sphère ORL (pour les menuisiers, par exemple, qui inhalent de la poussière de bois), sont enregistrés chaque année. «Moins de 150 cas de nouveaux cancers professionnels sont annoncés chaque année à la SUVA, explique la Dre Peggy Krief, médecin adjointe au Département de santé, travail et environnement d’Unisanté à Lausanne. Cependant, on estime qu’il y en a au moins 2000 chaque année.»
Quant aux troubles musculosquelettiques, ils peuvent toucher une grande partie des personnes actives. La meilleure façon d’éviter ces douleurs est de les prévenir. Aménager le poste de travail pour qu’il soit adapté à chaque collaborateur et connaître l’état de santé de ce dernier afin de s’assurer qu’il puisse remplir le cahier des charges sans se blesser font partie des facteurs protecteurs qui peuvent faire la différence.
Enfin, les risques psychosociaux touchent également tous les corps de métier. Ils peuvent être liés à une mauvaise organisation du travail avec comme conséquence un burnout, une dépression, des insomnies, entre autres. Ils sont également fréquents lors d’une atteinte à l’intégralité corporelle: harcèlement sexuel, mobbing, intimidation. Les conséquences sont parfois lourdes tant pour l’employé (développement de maladies cardiovasculaires, problèmes d’addiction, etc.) que pour l’employeur (absentéisme, coûts de la prise en charge, perte de rentabilité). La Dre Krief rappelle: «Un travailleur qui se sent bien sera davantage motivé que celui qui a le sentiment de n’être qu’un numéro et d’être traité comme du bétail.» Et la Dre Praz-Christinaz, co-présidente du Groupement des médecins du travail vaudois, de poursuivre: «C’est évidemment plus facile de proposer l’achat de tampons auriculaires pour améliorer le confort des personnes qui travaillent dans le bruit que de suggérer des changements d’organisation, voire de dirigeants, lorsque le climat de travail s’est détérioré!»
Dans le cas d’un accident ou d’une maladie physique, le certificat d’incapacité de travail permet au collaborateur de prendre le temps nécessaire pour recouvrer ses aptitudes habituelles. «Le but est toujours de permettre un retour en poste dans de bonnes conditions, continue la spécialiste. Lorsque le problème est d’ordre psychosocial, il est impératif d’éloigner le salarié du climat délétère et d’évaluer ensuite s’il peut retourner au travail, s’il y a la possibilité qu’il reste dans l’entreprise mais dans un autre poste, ou s’il est préférable qu’il la quitte.»
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1 www.ekas.admin.ch/index-fr.php?frameset=27
2 https://www.ge.ch/faire-appel-consultation-interdisciplinaire-sante-au-travail-cist