Bisphénol A: Entre précaution et soupçon
Le chaud et le froid soufflent sur le dossier du bisphénol A (BPA) en ce début d’année. En France, l’interdiction d’utiliser cette substance dans les contenants alimentaires est entrée en vigueur le 1er janvier. Mais, peu de temps après, l’EFSA, l’Autorité européenne pour la sécurité alimentaire, a conclu qu’il n’était pas une menace pour les citoyens. A quelle instance se fier?
Rembobinons le film. Le BPA est un additif utilisé pour durcir les plastiques. On le trouve en abondance, notamment dans le revêtement intérieur des canettes de boisson et des boîtes de conserve ou sur le papier thermique des tickets de caisse. Il est si répandu qu’il est mesurable dans l’organisme de plus de 95% des gens.
Ce qui pose problème, c’est que le BPA se comporte comme une hormone dans notre corps. «Il imite l’effet des œstrogènes, les hormones féminisantes, explique Michel Rossier, médecin-chef du service de chimie clinique et toxicologie de l’Hôpital du Valais. Or les récepteurs aux œstrogènes de nos cellules contrôlent l’expression de centaines de gènes.»
On craint donc une baisse de la fertilité masculine, une augmentation du risque de certains cancers, notamment du sein, et une inclinaison à l’obésité, détaille François Pralong, professeur et chef du service d’endocrinologie du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois.
Législation
La Suisse est permissive
En Suisse, le BPA est autorisé, mais il y a un seuil d’exposition à ne pas dépasser, fixé à 10 μg par kilo de poids corporel par jour. Cette valeur correspond au double de ce qu’a recommandé l’EFSA en janvier dernier. Si ce taux est officiellement adopté par l’Europe, «la Suisse en fera autant» dans un délai d’«au moins deux ans», répond-on à l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires.
Difficile recul
Ces dangers sont «clairement avérés chez l’animal et dans des modèles cellulaires, poursuit le médecin. Mais pas chez l’être humain où, pour l’instant, aucune étude n’a démontré clairement la survenue de pathologies en lien avec le BPA.» Il est en effet très ardu, voire impossible, de confirmer la toxicité d’un produit auquel nous sommes exposés à des doses minuscules tout au long de notre vie.
Pression des citoyens
Les soupçons d’un impact sur la santé de l’être humain n’en sont pas moins forts aujourd’hui. Reste à savoir quelle décision doit prendre le législateur. «Certains, comme la France, sont plus directifs et invoquent le principe de précaution», analyse Michel Rossier. D’où l’interdiction totale du BPA. «Ou, poursuit-il, comme en Suisse (lire encadré), on hésite à prendre une telle décision tant que l’on n’a pas formellement démontré que le produit était dangereux pour l’homme.» Pour François Pralong, au vu des données scientifiques, «il faut appliquer le principe de précaution qui demande la plus faible exposition possible des individus au BPA».
Reste que le problème est en réalité de grande ampleur. Les perturbateurs endocriniens –ces produits chimiques comme le BPA que notre corps «prend» pour des hormones– sont légion dans l’industrie: parabènes (cosmétiques), phtalates (plastiques) et autres pesticides. La société civile a du pain sur la planche si elle entend influer sur la régulation de ces substances.