Le microbiote intestinal: un écosystème à préserver

Dernière mise à jour 03/09/24 | Article
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Propre à chaque personne, cet ensemble de micro-organismes a une importance capitale pour la santé. Mais sa complexité rend toute intervention difficile.

Autrefois appelé flore intestinale, le microbiote n’est pas uniquement un ensemble de bonnes et mauvaises bactéries. C’est un véritable écosystème dans lequel elles vivent en compagnie de phages (virus) et d’une ribambelle d'autres micro-organismes. «Il n’y a pas de standard de normalité concernant cet écosystème. Chaque personne en a un propre qui dépend de la génétique, de l’alimentation, des habitudes de vie, de l’environnement», explique le Pr Jacques Schrenzel, chef des laboratoires de bactériologie et de recherche génomique aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). 

Éviter la nourriture industrielle

Bien que chaque écosystème soit différent, il existe un moyen efficace, pour tout le monde, d’en prendre soin: manger varié et équilibré, consommer suffisamment de fibres, limiter la consommation d’alcool et faire de l’activité physique. Sans grande surprise, avoir une bonne hygiène de vie fait du bien à l’organisme dans son ensemble, mais aussi au microbiote intestinal. «Les bactéries présentes dans l’intestin sont dépendantes de l’alimentation. La nourriture industrielle, qui contient des conservateurs et des émulsifiants notamment, altère la couche de mucus de l’intestin et donc son microbiote. Il faudrait ainsi éviter ce type d’aliments», poursuit le spécialiste.

Transplanter des selles pour soigner

Le Centre de transplantation de microbiote fécal du CHUV est le seul en Suisse à procéder à des transferts de microbiote intestinal. Un procédé qui consiste à récolter les selles de donateurs sélectionnés pour les transformer en une sorte de médicament, la matière fécale étant riche en micro-organismes présents dans l’intestin. «Cette technique n’est utilisée que pour les gens qui souffrent d’une infection à Clostridium difficile. Cette maladie touche le microbiote intestinal et récidive dans 25% des cas. Elle peut être mortelle. Lorsque les patients en sont à leur troisième épisode, nous procédons à une transplantation fécale, qui donne d’excellents résultats», explique la Dre Tatiana Galpérine, responsable du Centre de transplantation de microbiote fécal du CHUV. Des recherches sont en cours pour utiliser ce type de greffe pour les personnes suivant un traitement oncologique. «Les chimiothérapies modifient énormément le microbiote intestinal et procéder à des transplantations fécales pourrait permettre de mieux tolérer les effets des traitements et même d’améliorer leur efficacité», conclut la spécialiste.

Autre perturbateur de ce précieux écosystème: les antibiotiques. Ceux dits à «spectre étroit» ne tuent que les bactéries responsables d’une maladie, alors que ceux à spectre plus large font des dégâts collatéraux en supprimant aussi une partie des autres. «Cependant, il est faux de penser qu’une antibiothérapie va tuer l’intégralité des bactéries intestinales. On peut comparer cela à un incendie de forêt. Même si tout semble avoir brûlé, certaines graines survivent dans les sols et finissent par repousser», précise le Pr Schrenzel. 

Si la prise de probiotiques peut aider en cas de diarrhées associées à un traitement antibiotique, rien ne sert de se ruer sur des suppléments pour pallier un éventuel manque. «Ces bactéries prises en grande quantité risquent de prendre la place de celles naturellement présentes dans l’intestin de la personne concernée, ce qui peut chambouler son équilibre, poursuit le spécialiste. Le mieux est d’attendre que le microbiote intestinal se régénère seul». 

Phages et autres organismes

Comme mentionnée plus haut, ce dernier ne se limite pas à ses bactéries. «La partie bactérienne est bien connue des scientifiques, mais il y a aussi les phages, les protozoaires et beaucoup d’autres organismes. Ils jouent un rôle sur la santé non seulement par leur présence, mais aussi par les composés qu’ils produisent et qui se retrouvent dans la circulation sanguine. Aujourd’hui, le domaine médical ne connaît pas encore toutes les interactions et actions de chaque micro-organisme. Il est d’ailleurs inutile de faire analyser son propre microbiote par un laboratoire dans un but de diagnostic», précise la Dre Tatiana Galpérine, responsable du Centre de transplantation de microbiote fécal du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). 

À noter qu’un changement d’alimentation, même sur une courte durée, a un impact important sur cet écosystème. «À titre d’exemple, une personne omnivore qui cesse complètement de manger des produits d’origine animale verra une partie de la composition de son microbiote modifiée en quelques jours seulement», conclut la Dre Galpérine. Il est donc recommandé de ne pas changer drastiquement et durablement d’alimentation sans en parler à un spécialiste.

Un autre cerveau, vraiment?

L’intestin est parfois appelé le deuxième cerveau du corps humain. «La raison de cette appellation est que cet organe est innervé par un demi-milliard de neurones. On ne sait pas encore précisément comment ils agissent, mais il est vrai qu’un tel câblage n’est pas anodin», explique le Pr Jacques Schrenzel des HUG. Et la Dre Tatiana Galpérine, du CHUV, de préciser: «Le rôle du microbiote intestinal ne se limite pas à la sphère digestive. Il produit énormément de composés chimiques qui agissent comme médiateurs avec le cerveau. À l’heure actuelle, la science ne sait pas encore très bien comment tout cela fonctionne. Une chose est sûre, même si le microbiote intestinal peut être impliqué dans des pathologies chroniques comme l’obésité ou le diabète, entre autres, il ne suffit pas de modifier sa composition pour endiguer ce type de maladies. Leur cause n’est pas uniquement liée à l’état de l’intestin.» Une étude de l’Institut Pasteur*, réalisée en 2020, montre par exemple un lien – dans un modèle animal – entre le stress et une altération des bactéries intestinales. Ce qui engendre une baisse de certaines molécules lipidiques dans le sang et dans le cerveau, provoquant un état dépressif. La Dre Galpérine rappelle toutefois que «rétablir uniquement cette population bactérienne dans le but de soigner la dépression est illusoire, car cette maladie est multifactorielle.»

* https://www.pasteur.fr/fr/espace-presse/documents-presse/microbiote-intestinal-participe-au-fonctionnement-du-cerveau-regulation-humeurs-0

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Bon à savoir

Le Musée de la main à Lausanne propose une exposition sur les microbes, dont ceux du microbiote intestinal. À voir jusqu’en janvier 2026. Pour en savoir plus: Museedelamain.ch

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Paru dans Le Matin Dimanche le 01/09/2024

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