Probiotiques, une panacée?

Dernière mise à jour 01/03/21 | Article
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En pharmacie comme au rayon «yaourt», les probiotiques ont le vent en poupe. Leur promesse? Chouchouter notre flore intestinale, qu’elle soit mal en point ou trop paresseuse. Sauf que tout est loin d’être aussi simple...

Comment prendre soin de son microbiote

Tout se joue-t-il avant 5 ans dans nos intestins? Tout peut-être pas, mais une grande partie, assurément. Se constituant dès le premier jour de vie, le microbiote intestinal est, pour une large part, directement lié à notre mode de vie. Coup de projecteur sur ses meilleurs alliés, synonymes d’une saine colonisation bactérienne, avec la Dre Sophie Restellini, cheffe de clinique au Service de gastroentérologie et d'hépatologie des HUG.

  • Allaitement maternel.
  • Alimentation la plus variée, saine et non industrialisée possible, dès le plus jeune âge.
  • Recours aux antibiotiques limité au strict nécessaire, surtout pendant l’enfance.
  • Contrôle du niveau de stress.
  • Sommeil de qualité.

Ils s’appellent Lactobacillus spp., Bifidobacterium spp., ou encore Streptococcus spp. Et c’est par millions qu’il s’agit de les ingurgiter, au travers de yaourts, gélules ou barres nutritionnelles. À juste titre? Pour le savoir, détour obligé par la destination de ces invités (bien vivants) aux vertus supposées bienfaitrices: le microbiote intestinal, cet ensemble infiniment complexe de micro-organismes œuvrant dans nos intestins. Si les bactéries y tiennent le haut du pavé – avec une population avoisinant 1013 de représentantes –, virus, levures, champignons ou encore microalgues participent aussi de cet écosystème dont on ignore en réalité tout ou presque.

Et c’est là tout le problème. «Nous n’en sommes qu’aux prémices de nos connaissances», énonce le Dr Stéphane Emonet, médecin-chef du Service des maladies infectieuses de l’Hôpital du Valais. Mais le domaine est en ébullition.» Pour le meilleur et pour le pire, décrit le spécialiste: «Des avancées thérapeutiques réelles cohabitent avec une profusion d’études – beaucoup étant douteuses – et un marketing puissant prônant des alicaments enrichis en probiotiques, dont on ignore souvent l’étendue réelle des effets. Alors, si la plus grande prudence est de mise, la recherche médicale, elle, a un rôle immense à jouer.»

Et les premiers résultats apparaissent, à commencer par un réel changement de paradigme, lié au microbiote lui-même: on sait aujourd’hui que les milliards de micro-organismes qui le constituent – au niveau des intestins, mais également de la peau, de la bouche ou de la sphère génitale – possèdent leur propre patrimoine génétique. «Chacun d’entre nous est ainsi constitué ­à la fois de son génome humain et de celui de l’ensemble de ces micro-organismes. Ce que cela implique est potentiellement fascinant», résume la Dre Tatiana Galperine, cheffe de clinique au Service des maladies infectieuses du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Et le Dr Emonet d’ajouter: «Cela pourrait expliquer des phénomènes qui aujourd’hui nous dépassent, comme la prédisposition au cancer ou à l’obésité, au-delà de nos seuls gènes et modes de vie. Nous avançons en fonction de ce que dévoilent les nouvelles techniques de séquençage à haut débit, à l’instar de ce qui a pu être fait ces quinze dernières années sur le génome humain.» À la clé: la découverte de l’identité des protagonistes en question puis, un jour, de leurs fonctions et interactions. Au vu de ce que l’on entrevoit aujourd’hui, on en devine une portée inouïe.

Bonne santé du microbiote

Deux expériences pour l’illustrer. La première résumée par le Dr Emonet: «Une étude a comparé des souris vaillantes et des souris craintives dans une cage organisée autour d’un escalier qu’il s’agissait de descendre. Les premières ne mettaient qu’une seconde à le faire, les secondes hésitaient. Puis les chercheurs ont procédé à un transfert de microbiote des unes aux autres. Constat: les souris craintives sont devenues vaillantes, et vice versa. En jeu, probablement, certaines bactéries que l’on sait productrices d’endorphines (hormones dites "du plaisir", ndlr).» La seconde expérience est tout aussi stupéfiante: le transfert de microbiote de souris obèses ou maigres a pu transformer la silhouette de receveuses à l’exacte image de leurs donneuses.

Maturation du système immunitaire, processus de digestion, protection face aux pathogènes: le champ d’action du microbiote intestinal semble vaste et sa composition hautement personnelle. Et pour cause, si nous naissons sans cette flore, celle-ci se construit dès la naissance, et surtout pendant les premières années de vie. Entrent ainsi en jeu: exposition aux antibiotiques durant l’enfance, alimentation, hygiène de vie, infections, âge, etc. Fait supplémentaire: «Notre microbiote intestinal est régi par un phénomène de résilience, indique la Dre Sophie Restellini, cheffe de clinique au Service de gastroentérologie et d'hépatologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). En effet, sa diversité se rétablit généralement d’elle-même après une agression, comme la prise d’un traitement antibiotique par exemple». Et d’ajouter: «La diversité des micro-organismes présents dans les intestins est l’un des indicateurs de la bonne santé du microbiote. Moins il est riche et varié, moins il sera résilient.»

Au vu de ce contexte complexe, foisonnant, aux inconnues multiples, la prise de probiotiques pour soulager un inconfort intestinal, une pathologie avérée ou dans un but de «bien-être» pourrait faire figure de bricolage… «Les raisons d’être perplexe sont nombreuses, note la Pre Laurence Genton, médecin adjointe agrégée au Service d'endocrinologie, diabétologie, nutrition et éducation thérapeutique des HUG. Comment envisager la prescription de probiotiques identiques ­pour tous sans savoir de quel terrain ou problème on part et en sachant que nous avons tous un microbiote différent? Comment être sûr que l’on ne va pas engendrer un déséquilibre dans cet écosystème que l’on connaît encore si partiellement?» Et l’experte d’évoquer un mystère qui va plus loin encore: «Les recherches actuelles se concentrent surtout sur les selles, témoins de ce qui se passe dans le côlon. Mais les bactéries qui s’y trouvent sont-elles les plus importantes ou s’agit-il au contraire de celles qui ont été éliminées, faute d’utilité, par le corps? Qu’en est-il du microbiote de l’intestin grêle et de l’estomac? Et si les acteurs clés n’étaient pas les bactéries elles-mêmes mais leurs produits, les métabolites?»

Trois indications médicales identifiées

De quoi s’y reprendre à deux fois avant d’avaler le probiotique conseillé par le médecin ou la cuillère de yaourt enrichi en bactéries… Et pourtant certains probiotiques sortent du lot. Entre ici en jeu la distinction au cœur de la problématique: ce qui est médicalement prouvé et ce qui ne l’est pas. «Trois indications médicales sont aujourd’hui identifiées, énonce le Dr Emonet. Il s’agit de la prévention de la colite à Clostridioides difficile – infection intestinale sévère et souvent récidivante –,des diarrhées dues aux antibiotiques et de celles dites "du voyageur". Cela ne signifie pas que toute personne à qui l’on prescrit un antibiotique doit le doubler d’un probiotique, mais qu’un bénéfice peut en découler. La situation reste à discuter au cas par cas avec son médecin. Pour les formes récidivantes des infections à Clostridioides difficile, les recommandations sont nettes et prônent également le recours à un traitement aussi novateur que radical: la transplantation de microbiote fécal (TMF) (lire encadré).» Il n’est plus question ici d’ingérer telle ou telle bactérie supposée bienfaitrice mais de remplacer, à un instant «t», l’ensemble du microbiote intestinal d’une personne malade par celui d’un donneur sain. «Il ne s’agit pas encore d’un traitement standardisé, mais les résultats sont spectaculaires, souligne le Pr Matthias Cavassini, responsable de la Consultation ambulatoire de maladies infectieuses du CHUV. Pour les formes récidivantes de ce type d’infection, les taux de succès de l’antibiothérapie atteignent à peine 30%, tandis qu’ils frôlent les 90% avec la TMF.»

Qu’en est-il des autres axes de recherche? Les études se multiplient pour des pathologies aussi diverses que les allergies, l’asthme, les maladies auto-immunes, le diabète ou encore la mucoviscidose. «Si, pour certaines, les premiers résultats sont encourageants, ils ne sont pas encore suffisants pour intégrer les probiotiques à la prise en charge, indique le Dr Emonet. Sans oublier les effets secondaires: ce que l’on en sait aujourd’hui est plutôt rassurant, mais là encore, nous nous heurtons à un manque de connaissances.»

La seule et plus grande contre-indication connue à ce jour concerne les patients sévèrement immunosupprimés ou porteurs de valves cardiaques. «Les probiotiques étant par définition constitués de micro-organismes vivants, un passage dans le sang est possible. Sans gravité la plupart du temps, ce phénomène peut avoir des conséquences dramatiques chez ces patients plus fragiles», avertit le Pr Cavassini.

Au quotidien, que faire de ces probiotiques trônant dans nos tiroirs et pharmacies, censés apporter un confort intestinal par exemple? «Les mystères entourant le microbiote invitent à la réserve, estime la Dre Restellini. Mais si l’on ressent un bénéfice, moins de ballonnements par exemple, il n’y a alors pas de contre-indication majeure si l’on est par ailleurs en bonne santé et que la prise est envisagée sur du court terme. Mais si aucun soulagement n’apparaît après quelques semaines, mieux vaut arrêter et s’épargner ainsi des dépenses inutiles.»

Quant aux yaourts au «bifidus actif» et autres barres aux probiotiques: sont-ils de réels alliés de notre santé? «Rien n’est moins sûr, considère le Dr Emonet. Prenons les yaourts: enrichis en probiotiques facilitant la digestion du lactose (sucre contenu dans le lait), ils peuvent effectivement faciliter ce processus. Mais est-il si anodin de les consommer? Que sait-on de leur impact sur la prise de poids par exemple?». Et de conclure: «L’univers du microbiote en général et des probiotiques est un champ passionnant et infini qui appelle aujourd’hui à autant d’humilité que de prudence.»

Zoom sur la transplantation de microbiote fécal

Oui, oui, on parle bien de cela: utiliser la matière fécale d’un donneur – chargé des milliards de micro-organismes qu’il contient – à des fins thérapeutiques. Un procédé novateur et prometteur, pour lequel tout ou presque est encore à élaborer pour qu’il devienne un traitement «comme un autre». Décryptage en 5 points avec la Dre Tatiana Galperine, cheffe de clinique au Service des maladies infectieuses et responsable de la création du Centre de transplantation de microbiote fécal au CHUV.

  • Une seule indication validée scientifiquement à ce jour: l’infection récidivante à Clostridioides difficile, unebactérie occasionnant une infection intestinale potentiellement grave. Le problème: un risque élevé de récidive nécessitant des hospitalisations successives.
  • Des freins réglementaires: ni tissu, ni organe,la matière fécale donneuse est aujourd’hui considérée comme un médicament «non standardisé» selon Swissmedic. Conséquence: ni tarification, ni remboursement à ce jour.
  • Un seul centre homologué pour la production de transplantation de microbiote fécal (TMF) en Suisse depuis 2019: le CHUV, qui vise à devenir Centre de référence dans les années à venir.
  • Un protocole bien établi: complexe et exigeante, chacune des étapes du processus, depuis la phase de don jusqu’à l’administration en passant par l’élaboration de la forme «administrable» (sonde nasogastrique, colonoscopie ou encore comprimé), suit, au CHUV, un protocole extrêmement contrôlé.
  • Une multitude de questions encore en suspens: quels sont les effets à long terme de la TMF? Quelles en seraient les autres indications potentielles? De puissantes recherches mêlant intelligence artificielle et big data sont en cours.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 21/02/2021.

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