Le syndrome de Gilbert, méconnu mais répandu
6% de la population serait concernée par le syndrome de Gilbert, mais une vaste proportion serait asymptomatique1
Portant le nom du médecin qui l’a décrite pour la première fois au début du 20e siècle, la maladie de Gilbert est un trouble du métabolisme qui peut rester asymptomatique durant des années. Des symptômes peuvent aussi survenir par poussées avant de disparaître à nouveau. Parfois, ceux-ci sont toutefois plus récurrents et affectent le quotidien. Fatigue, nausées, douleurs abdominales, coloration jaune de la peau et des yeux sont les désagréments le plus fréquemment cités. Certains facteurs sont par ailleurs soupçonnés d’agir comme des déclencheurs de ces symptômes: un jeûne alimentaire, un stress important, une infection, certains médicaments ou encore une mauvaise hygiène alimentaire. Mais aucune étude scientifique rigoureuse n’a permis à ce jour d’établir un lien de cause à effet.
Une enzyme fainéante
La maladie de Gilbert est une anomalie génétiquement transmise qui se caractérise par une dégradation et une élimination insuffisantes de la bilirubine, un pigment biliaire (lire encadré). Ce dysfonctionnement est dû à la déficience de la glucuronosyl-transférase, une enzyme du foie. «Chez les personnes concernées, cette enzyme est simplement plus paresseuse. Mais cela n’a d’impact ni sur la santé, ni sur l’espérance de vie, rassure le Pr Jean-Louis Frossard, médecin-chef du Service de gastro-entérologie et hépatologie des Hôpitaux universitaires de Genève. On parle donc plus volontiers de "syndrome" de Gilbert que de "maladie".»
Le diagnostic se fait le plus souvent au détour d’une évaluation clinique et d’un bilan sanguin hépatique, qui présentera alors une élévation anormale du taux de bilirubine2 dans le sang, jusqu’à cinq fois supérieur à la moyenne. L’élévation du taux de bilirubine pouvant également être la conséquence de pathologies comme une hépatite, une cirrhose, une obstruction biliaire ou un cancer du pancréas, il est important d’exclure rapidement d’autres anomalies sous-jacentes.
Le diagnostic peut éventuellement être confirmé par un test génétique qui indiquera la présence d’une mutation spécifique sur le gène UGT1A1. «Mais ce test n’est pas pris en charge par l’assurance maladie et n’a pas grande utilité, le bilan clinique étant suffisant», tempère le spécialiste.
Conserver une bonne hygiène de vie
S’agissant d’un trouble métabolique, le syndrome de Gilbert ne nécessite donc aucun suivi ni traitement particulier. «Si le taux de bilirubine reste très élevé pendant longtemps, on surveille néanmoins la formation de calculs dans la vésicule biliaire, mais ce sont des cas extrêmement rares», ajoute Jean-Louis Frossard. Certains patients témoignent d’une amélioration des symptômes après l’éviction d’aliments transformés, gras ou sucrés, la réduction du stress et plus globalement l’adoption d’une bonne hygiène de vie. Mais aucune donnée scientifique ne permet de confirmer ce ressenti. Il est à noter qu’une attention particulière doit être apportée en cas de prescription de certains médicaments qui pourraient voir leur effet ralenti par le dysfonctionnement enzymatique.
La bilirubine, c’est quoi?
Les globules rouges de notre sang ont une durée de vie de 120 jours. Lors de leur destruction au niveau de la rate, ils sont en partie transformés en bilirubine (dite «libre» ou «non conjuguée»), un pigment jaune qui sera transporté jusqu’au foie. Là, sous l’action de la glucuronosyl-transférase, une enzyme spécifique, la bilirubine devient «conjuguée», avant d’être excrétée par le foie via les voies biliaires vers le tube digestif où elle donne leur coloration aux selles.
Un taux anormalement élevé de bilirubine totale peut donc être le reflet d’un problème de destruction des globules rouges ou d’un mauvais fonctionnement du foie ou de la vésicule biliaire. Si la bilirubine conjuguée demeure basse, il peut s’agir d’un syndrome de Gilbert. Un bilan sanguin approfondi et des explorations à l’aide de l’imagerie médicale permettront de déceler les causes de ces dysfonctionnements (obstruction, maladie hépatique, etc.).
Un possible effet protecteur
Des travaux semblent montrer qu’une hyperbilirubinémie non conjuguée modérée dans le cadre du syndrome de Gilbert – sans autre trouble associé – pourrait avoir un rôle vasculaire protecteur3 et être associée à un risque moindre de certains cancers.4
Une corrélation qui nécessite encore des études scientifiques solides, mais qui pourrait nous en apprendre plus sur l’action de la bilirubine.
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1 Owens D, Evans J. Population studies on Gilbert's syndrome. Journal of Medical Genetics 1975;12:152-156.
2 On parle ici d’une augmentation de la bilirubine totale, alors que la forme conjuguée demeure basse (lire encadré).
3 Vítek L, Jirsa M, Brodanová M, et al. Gilbert syndrome and ischemic heart disease: a protective effect of elevated bilirubin levels. Atherosclerosis 2002;160(2):449-56. doi: 10.1016/s0021-9150(01)00601-3.
4 Inoguchi T, Nohara Y, Nojiri C, et al. Association of serum bilirubin levels with risk of cancer development and total death. Sci Rep 2021;11:13224.
Paru dans Planète Santé magazine N° 45 – Juin 2022