Elle est superbe, délicieuse et parfumée: l’amanite phalloïde, un poison de champignon

Dernière mise à jour 24/02/14 | Article
Elle est superbe, délicieuse et parfumée: l’amanite phalloïde, un poison de champignon
Le «calice de la mort» se répand à travers le monde. Un nouveau traitement est en cours d’expérimentation.

De tous les champignons venimeux, l'amanite phalloïde, ou «calice de la mort», est sans doute celui qui intoxique et qui tue le plus de personnes chaque année. La bonne nouvelle, c'est qu'un traitement efficace vient visiblement d'être découvert. La mauvaise, c'est que bien peu de médecins le savent.

Toxines fatales

Lorsqu'une personne consomme des Amanita phalloides, les symptômes n'apparaissent généralement qu'entre six et vingt-quatre heures plus tard. Elle souffre alors de crampes abdominales, de vomissements et de diarrhées. Autant de maux qui ne font pas toujours songer aux champignons. Le médecin peut alors diagnostiquer une maladie sans gravité, comme une «grippe intestinale». Pour ne rien arranger, les symptômes peuvent s'apaiser si le malade s'hydrate: il entre alors dans la période du «calme avant la tempête».

Pendant ce temps, le poison du champignon détruit peu à peu son foie. Sa toxine y désactive une enzyme créatrice de nouvelles protéines. Sans cette enzyme, les cellules du foie ne peuvent plus fonctionner normalement: une insuffisance hépatique en résulte. Sans traitement rapide et adapté, l'organe dysfonctionne, et le malade peut vite tomber dans le coma, et mourir.

Il suffit ainsi de quelques bouchées d'amanite phalloïde pour passer de vie à trépas.

Certains amateurs de champignons parmi les plus téméraires disent être parvenus à débarrasser certaines variétés de champignons vénéneux de leurs toxines, comme avec l'amanite tue-mouches, ou Amanita muscaria, célèbre champignon rouge à pois blancs particulièrement apprécié par les aficionados des jeux vidéo Nintendo et par les artistes qui aiment à dépeindre la nature. Un processus d'ébullition complexe permettrait de déguster sans danger les saveurs de noix de ce champignon.

Mais quoi qu'en dise la sagesse populaire, on ne peut faire disparaître de cette manière les toxines les plus dangereuses de l'amanite phalloïde, les «amatoxines». Les amatoxines ne peuvent être détruites par les méthodes de cuisine traditionnelle (ébullition, cuisson au four). De la même manière, il est inutile de congeler ou de faire sécher le champignon: l'amatoxine ne sera pas détruite et pourra faire des ravages une fois consommée.

Le «calice de la mort»

En dépit de ce nom peu réjouissant, l’amanite phalloïde n'a pas mauvais goût. De nombreuses personnes affirment même que c'est le meilleur champignon qu'elles n’aient jamais mangé.

Rien dans son apparence ne laisse penser qu'il peut être mortel: lorsqu'il est encore en bouton, il ressemble fortement à d'autres espèces blanches comestibles au stade précoce. Comme l'Agaricus campestris, par exemple, un champignon des champs très courant. Un «calice de la mort» de taille normale se confond également avec d'autres champignons inoffensifs. En Californie, plusieurs immigrés l'ont déjà confondu avec un autre champignon comestible, la volvaire volvacée (Volvariella volvacea),fréquente en Asie.

Lorsqu'on ingère une portion d'amanite phalloïde, environ 60% des amatoxines se logent directement dans le foie. Qu'elles soient saines ou intoxiquées, les cellules hépatiques rejettent alors ces amatoxines dans la bile. Elles se concentrent alors dans la vésicule biliaire. Après chaque repas, la vésicule biliaire éjecte sa bile dans les intestins, amatoxines comprises (elles sont dans les sels biliaires). Mais à l’extrémité de l'intestin grêle, la plupart de la bile est réabsorbée par le foie. Les amatoxines y pénètrent donc de nouveau via les récepteurs des sels biliaires, et le cycle de l'empoisonnement se perpétue.

Le 40% des amatoxines restantes se dirige tout droit vers les reins, ces centres de filtrage du sang de notre organisme. Des reins en bonne santé peuvent extraire les amatoxines du sang et les rediriger dans la vessie. Si les reins ne parviennent pas à bouter l'ensemble du poison hors de l'organisme, les amatoxines continuent d'endommager le foie. A ce stade, les reins ne peuvent continuer à fonctionner que si la victime s'hydrate suffisamment. Faute d’une hydratation constante, les amatoxines s'attaquent également aux reins. Si l'insuffisance rénale s'installe, une défaillance d'organe peut vite suivre. A l’inverse, si le foie et les reins fonctionnent encore normalement, et si le patient est assez hydraté pour uriner régulièrement, il pourra évacuer par ce canal les amatoxines encore intactes –comme autant de minuscules et non moins redoutables calculs rénaux.

L’espoir d’un traitement

Un traitement conçu pour contrer l'effet nocif des amatoxines aurait pour but premier de protéger le foie pendant que les reins éliminent le poison. Une étude clinique menée sur l'ensemble du territoire américain est actuellement en train de tester un nouveau traitement contre ces amatoxines: la silibinine, substance obtenue à partir d'une plante, le chardon-Marie (Silybum marianum). Lorsqu'il est administré par intraveineuse, ce composé chimique se fixe sur les récepteurs qui conduisent les amatoxines au foie. Il les bloque et concentre de ce fait les amatoxines dans le sang, ce qui permet aux reins de les expulser plus rapidement.

L'équipe du Dr Todd Mitchell (Dominican Hospital, Santa Cruz, Californie) a ainsi traité plus de soixante patients souffrant d'empoisonnement aux amatoxines. Tous les malades qui ont conservé leur fonction rénale et qui ont été traités moins de 96 heures après avoir consommé les champignons ont survécu. Les quelques malades qui n’ont pu être pris en charge qu’après ce délai ont succombé au poison.

Cette étude n'a pas encore été publiée (soixante patients ne suffisent pas à confirmer l'apparente efficacité providentielle de la silibinine) mais les chercheurs sont confiants. «Lorsque nous soumettrons nos travaux à la Food and Drug Administration, ils seront très certainement validés sans problème, affirme Todd Mitchell. Le traitement n'a presque aucun effet secondaire, il est très bien toléré, et s'il est utilisé correctement, il est extraordinairement efficace.»

«Après l'ingestion d'amatoxines, les patients souffrent d'insuffisance rénale précoce pour deux raisons, explique le Dr Mitchell. Premier cas de figure: ils se font traiter si tardivement que leurs reins ont déjà cessé de fonctionner. Deuxième cas de figure, plus courant: ils ne sont pas hydratés assez abondamment par leurs médecins traitants.»

Dans les premiers stades de l'empoisonnement aux amatoxines, le traitement médical est souvent inopérant. Les centres antipoison recommandent généralement trois traitements principaux, mais aucun d'entre eux n'est efficace.

Le charbon actif est recommandé pour prévenir l'absorption du poison par l'appareil digestif (et les problèmes hépatiques qui s'ensuivent). C’est là un traitement adapté à la plupart des cas d'empoisonnement. Mais lorsqu'un malade souffrant d'un empoisonnement aux amatoxines est en situation de se faire soigner, ce poison est souvent depuis bien longtemps au-delà de l'appareil digestif. De la même manière, les centres recommandent fréquemment de faire un lavage d'estomac: une procédure qui malmène l’organisme du malade sans débarrasser son foie des amatoxines. Autre méthode souvent prescrite: l'acétylcystéine, une molécule particulièrement efficace dans la prévention des dégâts hépatiques provoqués par l'empoisonnement au paracétamol. Elle est toutefois complètement inutile dans le cadre d'un empoisonnement aux amatoxines, et s'avère même néfaste: elle fluidifie le sang et fausse les résultats des tests d’évaluation de la fonction hépatique.

Ces recommandations aggravent l'état de santé du malade tout en écartant la plus efficace des armes anti-amatoxines: l'hydratation constante.

Un champignon qui gagne du terrain

La rareté relative des intoxications liées aux champignons compte parmi les facteurs qui compliquent le diagnostic et le traitement de l'empoisonnement aux amatoxines. Le Dr Mitchell explique que lorsqu'un médecin rencontre un cas d'empoisonnement aux amatoxines, il y a une très forte probabilité pour qu'il n'en traite aucun autre au cours de sa carrière. Mais il est aussi fort possible que les choses changent.

Le calice de la mort est une espèce envahissante originaire d'Europe, aujourd'hui présente sur tous les continents à l'exception de l'Antarctique. S'il est devenu grand voyageur, c'est à cause de l'Homme, qui a répandu ses spores comme des confettis aux quatre coins du globe.

L'amanite phalloïde est un champignon ectomycorhizien: elle vit en symbiose avec les racines des arbres. Le champignon s'étend depuis les racines pour former un réseau sous-terrain appelé mycélium (beaucoup plus fin que les racines elles-mêmes). Le mycélium peut atteindre certains nutriments (notamment l'azote et le phosphore) plus facilement que les racines, et il échange ces nutriments avec l'arbre contre le sucré généré par la photosynthèse.

Un champignon est le fruit de l'amour de deux mycéliums sexuellement compatibles. Une fois son développement achevé, il produira de minuscules spores qui se dispersent aisément et peuvent devenir de nouveaux mycéliums.

Au XIXe siècle, de nombreux voyageurs ont essayé de faire prendre racine à leurs arbres préférés sur de nouveaux continents. Ils ont planté des graines, qui mourraient immanquablement peu après. Jusqu'à ce que quelqu'un ait la brillante idée d'emmener de jeunes plants dans des pots contenant leur terre d'origine. La méthode fonctionna comme un charme. Les arbres ont pris leur essor avec une formidable vitalité. Mais on était loin de se douter que la terre en question allait bientôt permettre à des spores fongiques, entre autres micro-organismes, de se répandre sur le territoire.

A la moitié du XXe siècle, quelques chercheurs ont remarqué l'apparition de plusieurs espèces de champignons dans de nouvelles régions; ils ne disposaient toutefois d'aucun point de comparaison historique leur permettant d'en savoir plus sur la diversité fongique. Ils ne pouvaient donc rien prouver. La plupart des chercheurs ont simplement estimé que le «calice de la mort» était à la fois originaire d'Europe et des Etats-Unis.

La première fois qu'Anne Pringle s'est intéressée à l'amanite phalloïde, elle était post-doctorante et étudiait les champignons à Berkeley. Il me faut préciser, par souci de transparence, qu'elle est ensuite devenue mon professeur référent à l'université. Elle ramassait les champignons dans le canyon qui se trouvait non loin de sa maison afin d'en savoir plus sur la flore mycologique de cette région. Elle montra un échantillon à un professeur référent, Tom Bruns, qui l'identifia immédiatement: amanite phalloïde. Il lui fit alors part d’une séduisante rumeur dont bruissait alors la communauté des mycologues amateurs: le «calice de la mort» ne serait en réalité pas originaire de Californie.

Pringle admit que l'idée était intéressante, mais elle n'y prêta pas grand intérêt. Elle finit par changer d'avis lorsque Bruns se mit à lui laisser entendre qu'elle ferait bien de se pencher sur la question –il le fit à grand renfort de messages sans grande subtilité (tels que des dessins de crânes et de tibias en croix).

Pringle a rapidement réalisé que les descriptions de l'amanite phalloïde sur lesquelles les scientifiques du début du XXe siècle s'appuyaient étaient si variées qu'elles correspondaient à plusieurs espèces différentes. En réalisant un séquençage de l'ADN de vieux spécimens asséchés glanés dans des collections américaines, elle découvrit bientôt que tous les spécimens identifiés avant 1938 n'étaient pas des amanites phalloïdes. Nombre d'espèces de champignons américains figuraient depuis longtemps dans les herbiers, mais le premier «calice de la mort» y a fait son apparition en 1938, et il se fait de plus en plus courant depuis.

Pringle a également séquencé l'ADN d'amanites phalloïdes sauvages récoltés aux Etats-Unis et en Europe. Les variations génétiques étaient beaucoup moins importantes chez les «calices de la mort» américains. Ce qui tendait à indiquer que l'espèce était originaire d'Europe, et qu'elle avait connu un «goulot d'étranglement génétique» en Amérique: l'ensemble du continent avait été colonisé par une poignée de spécimens.

Comment expliquer l'erreur de la quasi-totalité de la communauté scientifique? Avant la découverte de Pringle, les espèces de champignons envahissantes connues étaient exclusivement répertoriées en tant que catégories de maladies animales ou végétales. On pense notamment à l'espèce qui a provoqué la quasi-disparition du châtaignier d'Amérique. Ces champignons pouvaient généralement être identifiés à l'œil nu sur leurs cibles, et ils provoquaient des symptômes aisément identifiables.

Le «calice de la mort» ne peut survivre sans son arbre-hôte. Pour accomplir son invasion, il s'est lancé dans un processus extrêmement rare: il a abandonné son hôte d'origine pour un autre. L'amanite phalloïde ne pouvait jusqu'alors pousser que sur les racines de chênes européens, mais il est parvenu à s'implanter sur le Quercus agrifolia californien,espèce de chêne radicalement différente. Et il ne s'est pas arrêté à cet exploit: on a également retrouvé des spécimens d'amanite phalloïde sur des pins américains.

Quitter un chêne caduc pour tomber dans les bras d'un conifère: voilà bien un –très– grand pas pour le champignon. La découverte de Pringle a ébranlé la façon dont les scientifiques concevaient le concept de symbiote.

Les péripéties du «calice de la mort» m'ont intéressé; c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai rejoint le laboratoire de Pringle. Je réalise actuellement une analyse documentaire des travaux de recherche consacrés à l'amanite phalloïde, et j'espère pouvoir faire toute la lumière sur le mécanisme cellulaire qui lui a permis de changer d'hôte.

Le «calice de la mort» est aujourd'hui présent dans de nombreuses régions américaines. Etant donné les conditions météorologiques de son aire de répartition d'origine, il semble s'être répandu aussi loin que le climat le lui permettait sur la côte est des Etats-Unis. Il existe toutefois des régions du Nord-Ouest Pacifique et du Canada dans lesquelles il n'a pas été observé, malgré des conditions météorologiques favorables à son développement. Le champignon a gagné l'Ohio, et s'étend peu à peu vers le sud, en direction du Mexique.

Hydratation et silibinine

Un champignon aux origines longtemps mal déterminées, et qui continue de se répandre: rien d'étonnant à ce qu’aujourd’hui les promeneurs le cueillent et le consomment par erreur. Et il n'est guère plus étonnant de voir des amateurs le consommer intentionnellement: les calices sont gros et charnus, sont souvent abondants et sont dotés d'une odeur particulièrement attirante.

Aux Etats-Unis, des cueilleurs expérimentés, pourtant conscients de la confusion historique entourant les origines du calice et de sa ressemblance avec des espèces comestibles, ont été victimes d'intoxications à Amanita phalloides. Ce calice est redoutable, et il peut pousser non loin d'espèces inoffensives; un seul spécimen récolté dans la pénombre du crépuscule peut donc vous envoyer aux urgences.

Si vous pensez avoir consommé des champignons vénéneux, et si votre médecin est anglophone, demandez-lui d'appeler le Dr Mitchell à Santa Cruz et de lui demander de vous faire participer à l'étude du traitement à base de chardon-Marie. Il peut expédier de la silibinine à quiconque lui en fait la demande, n'importe où dans le monde.

Pour l’heure, souvenez-vous d'une chose: la survie passe par l'hydratation.

Article original: http://www.slate.com/articles/health_and_science/medical_examiner/2014/02/most_dangerous_mushroom_death_cap_is_spreading_but_poisoning_can_be_treated.single.html

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