J’ai froid! Pas toi?
Avoir froid: est-ce dangereux?
Oui et non. La sensation de froid est avant tout protectrice. Et pour cause, en tant qu’êtres homéothermes (par opposition aux espèces animales poïkilothermes, autrement dit «à sang froid», comme les reptiles, qui adaptent leur température à l’environnement), notre température interne doit rester stable et aux alentours de 37°C. Si elle chute sous les 35°C, on parle d’hypothermie et le pronostic vital peut être engagé. A craindre alors: l’arythmie suivie de l’arrêt cardiaque. La température interne critique se situerait aux alentours de 30°C.
Les premiers réflexes à adopter lorsque le froid est ressenti relèvent du bon sens: s’habiller chaudement, se mettre à l’abri, se recroqueviller sur soi-même ou encore sautiller sur place pour produire de la chaleur. Le problème: basiques et évidentes quand tout va bien, ces réactions peuvent être rendues impossibles par des circonstances telles que la chute accidentelle d’une personne isolée, l’exposition au froid dans un contexte d’intoxication médicamenteuse ou d’alcoolisation aigüe. Dans les services d’urgence, ces cas de figure dépassent de loin les cas d’hypothermies liées aux accidents de montagne.
Comment le corps affronte-t-il le froid?
Alerté par les récepteurs du froid situés en particulier sur le visage et les extrémités (mains et pieds), l’hypothalamus déclenche les procédures d’urgence depuis son quartier général, au cœur du cerveau. L’objectif: maintenir à tout prix le centre du corps aux alentours de 37°C. Trois processus entrent en jeu.
Les mains froides sont le reflet du premier d’entre eux: la vasoconstriction. En clair, pour que la chaleur reste dans la région du cœur et des autres organes vitaux, les vaisseaux sanguins des mains, mais également des pieds, se resserrent pour renvoyer le sang et son flot de chaleur dans le corps. Conséquence possible pour nos mains ainsi «sacrifiées» pour les besoins internes: changement de couleur (bleue ou blanche), douleur et faiblesse musculaire en raison d’un afflux moindre de sang. Observé de près, le phénomène est spectaculaire: si la température superficielle des mains se situe aux alentours de 25°C dans une pièce bien chauffée, elle peut perdre 10°C en une poignée de minutes dès le passage à l’extérieur s’il fait froid.
Seconde réaction «inconsciente» décidée depuis le cerveau: les tremblements et les frissons. En sollicitant la force musculaire, ils visent à générer de la chaleur. Le hic: une grande partie de la chaleur ainsi produite part directement vers l’extérieur. Un constat d’autant plus amer que ce mécanisme demande un investissement énergétique important pour l’organisme.
Troisième volet: l’augmentation du métabolisme de base. L’idée est d’activer les ressources énergétiques internes, en puisant en particulier dans la graisse brune. Hélas, il ne s’agit pas de la graisse qui parfois enrobe le ventre, les cuisses ou se dessine en bourrelets, mais d’une graisse moins visible, disséminée sous la peau, en particulier au niveau du thorax.
Pourquoi sommes-nous inégaux face au froid?
La question est vaste, car nous sommes inégaux sur tous les plans: la perception du froid, les possibilités directes que nous avons de nous en protéger et la façon dont notre corps va traduire (ou non) le froid comme une menace. Dans l’équation, une myriade de paramètres: notre sensibilité propre (les récepteurs présents à la surface de la peau, notamment), notre prédisposition génétique, notre métabolisme, l’environnement dans lequel nous évoluons, les expositions volontaires ou non auxquelles nous nous soumettons, mais également notre état de santé (le diabète notamment limite les réactions physiologiques face au froid), notre force musculaire (plus faible chez les nouveaux nés et les personnes âgées), le fait d’être ou non fumeur (le tabac altère les mécanismes veineux en jeu) ou encore notre vulnérabilité à un instant «t».
A noter que l’âge est un facteur particulièrement déterminant: passé les 60 ans, les réactions innées à disposition pour contrer les températures fraîches (vasoconstriction, frissons, élévation du métabolisme) sont moins efficaces.
S’agit-il d’une question de morphologie?
Oui et non. Loutres et otaries ont tout compris en glissant sous leur peau une confortable couche de graisse isolante. Alors, plus modestement, nos zones d’embonpoint peuvent être protectrices, jusqu’à un certain point. Une personne par exemple très grande présente logiquement une surface d’exposition plus étendue au froid, au vent, aux intempéries, la confrontant à des pertes de chaleur plus importantes. Rentrent également en ligne de compte la masse musculaire, le métabolisme de base de l’organisme (autrement dit les calories «de base» brûlées pour le seul fonctionnement du corps), le degré d’activité physique. Il n’existe donc a priori aucune équation permettant de dresser le profil idéal pour contrer les affres du froid.
Se jeter dans le lac ou se promener en T-shirt tout l’hiver change-t-il notre rapport au froid?
Oui! Si les Esquimaux ou les pêcheurs canadiens des lacs du Grand Nord sont dotés de réactions physiologiques hors normes (mécanisme de vasoconstriction / vasodilatation unique leur permettant de pêcher à mains nues dans l’eau glacée par exemple), il nous est possible, à notre niveau, de nous acclimater au froid, dans une certaine mesure. L’idée: aider le corps (et l’hypothalamus) à activer moins tôt les mécanismes de défense (vasoconstriction, frissons, élévation du métabolisme de base). Des études ont par exemple montré que plonger la tête (particulièrement riche en récepteurs au froid) ou les pieds quelques minutes dans une eau à 14°C, de façon répétée dans le cadre d’un exercice encadré, permet d’entraîner le corps à moins souffrir du froid. De façon plus spontanée et sous réserve également d’une santé le permettant, douches froides et baignades hivernales en extérieur aident le corps à moins percevoir le froid comme menaçant.
Est-il possible d’emmagasiner la chaleur en partant un mois aux Caraïbes?
Hélas non. Si l’acclimatation au froid est possible en s’y exposant de façon méticuleuse et répétée, il est en revanche impossible de stocker des îlots de chaleur en soi en s’échappant sous les Tropiques pendant l’hiver. Au contraire, la sensation de froid risque d’être plus vive au retour.
Est-ce que manger plus sert à quelque chose?
Pas vraiment. En augmentant la masse graisseuse, une alimentation particulièrement riche peut générer une relative isolation face au froid. Mais le schéma est pour le moins aléatoire et ne peut être prodigué comme un conseil en soi. En revanche, une alimentation saine et suffisante permet de contrer le froid en apportant l’énergie nécessaire aux muscles pour agir quand cela est nécessaire (mouvements volontaires, réaction par les frissons, etc.).
L’alcool aide-t-il à se réchauffer?
En provoquant une vasodilatation (expansion des vaisseaux sanguins augmentant l’afflux de sang), l’alcool apporte une sensation de chaleur, notamment au niveau du visage et des extrémités. Le danger: dans un environnement froid, cette réaction va à l’encontre de la vasoconstriction souhaitée par le corps pour limiter la déperdition de chaleur et maintenir le centre du corps à la bonne température. Si l’état d’ébriété rend par ailleurs impossibles les réflexes de base (mise à l’abri, activation du corps, etc.) et leurre la personne sur sa température, le danger pour la vie devient réel.
L’hiver s’invite au bloc opératoire
Le froid peut tuer, mais il peut aussi sauver. Depuis plus d’une dizaine d’années, les températures basses sont utilisées aux soins intensifs et au bloc opératoire, notamment dans la prise en charge de patients victimes d’arrêt cardiaque ou lors d’opérations chirurgicales sur le cœur. C’est ainsi qu’en refroidissant le corps tout entier jusqu’à 30°C, le métabolisme cellulaire est ralenti et l’énergie est «économisée» pour faciliter la récupération des organes, par exemple au niveau du cerveau. Après avoir dévié la circulation sanguine vers un circuit externe et suite à l’administration d’une solution froide (8°C) dans les artères coronaires, l’activité du cœur peut être momentanément interrompue. «Ainsi mis dans un état de repos relatif, le cœur peut mieux supporter une intervention ou la diminution temporaire d’oxygène par exemple, explique le Pr Marc Licker, responsable du secteur d’anesthésie cardiovasculaire et thoracique aux Hôpitaux universitaires de Genève. On observe également une meilleure récupération après l’opération. La technique demande toutefois un contrôle précis et une sédation extrêmement stricte.»
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Paru dans Le Matin Dimanche le 12/01/2020.