Ce froid qui tue
Plus près de chez nous en novembre dernier, deux alpinistes avaient péri de froid dans le massif du Mont-Blanc. La mort par hypothermie effraie, bouleverse et interroge. Que se passe-t-il physiologiquement lorsque le froid est si intense qu’il nous fait perdre la vie? Le Dr Mauro Oddo, Médecin adjoint au Service de Médecine Intensive Adulte au CHUV, spécialiste des questions de régulation et de modulation thermique chez l’homme nous l’explique: «L’exposition prolongée à de très basses températures provoque un stress à la fois métabolique et psychologique important. Le corps lutte contre la sensation de froid, tandis que la victime angoisse à l’idée de ne pas être secourue et de mourir». En raison de cette phase de stress intense, la mort par hypothermie ne saurait être qualifiée de douce ou de paisible, même si la victime, de moins en moins réactive, s’endort progressivement.
Une mort accidentelle
L’hypothermie dite «accidentelle» est un risque lié à la haute montagne, aux naufrages (en mer ou dans un lac), mais pas seulement. Elle survient aussi en milieu urbain, intimement liée alors à la précarité sociale. Les personnes âgées, celles qui abusent de substances (drogue, alcool), les patients atteints de troubles psychiques, les sans domicile fixe ou encore les fêtards ivres qui s’endorment sur le trottoir y sont particulièrement exposés.
«La prise en charge, au même titre que les conséquences de l’hypothermie dépendent des conditions climatiques, de la sévérité et de la durée de l’hypothermie ainsi que de l'état de santé général du patient», explique le Dr Oddo. La température normale du corps humain se situant entre 35 et 37° Celsius, l’état d’hypothermie est déclaré en dessous de 35° C. L’hypothermie est modérée entre 32° et 35°, importante entre 28° et 32° et sévère en dessous de 28°. En dessous de 20°C, la survie est rare, mais des cas de survie ont été reportés chez des sujets jeunes hypothermes à 17°C.
Comment le corps tente de vaincre le froid
Pour lutter contre le froid, le corps active en premier lieu ses défenses thermorégulatrices: frissons, chair de poule, dents qui claquent, augmentation de la pression artérielle, des fréquences cardiaques et respiratoires et vasoconstriction (le sang est envoyé vers le cœur pour préserver les organes vitaux), expliquant les extrémités froides, pâles, voire bleutées.
Les défenses thermorégulatrices, notamment les frissons, augmentent le métabolisme de manière importante, entraînant une grande fatigue et un épuisement progressif. La capacité de l’organisme à retarder l’entrée dans un état d’hypothermie modéré ou avancé, autrement dit la résistance au froid, dépend essentiellement des conditions du milieu (altitude, humidité, eau froide, température, vent, possibilité de s’abriter, de se mouvoir, etc.) et des ressources personnelles (l’état de santé, la condition physique, la présence de lésions associées comme des fractures par exemple, l’âge, etc.). «Les personnes âgées, les malades chroniques, celles qui sont intoxiquées à des médicaments, qui abusent de l’alcool ou de drogues sont beaucoup moins en mesure de déployer ces réponses et vont souffrir plus rapidement du froid» précise le Dr Oddo. «En haute montagne, l’impossibilité de s’abriter correctement, le contact direct avec la neige et l’humidité précipite bien souvent l’entrée en hypothermie», poursuit Dominique Michellod, guide et ambulancier à la Maison François-Xavier Bagnoud du sauvetage à Sion.
Car peu à peu, les défenses thermorégulatrices s’épuisent. Les réflexes diminuent, les fréquences cardiaque et respiratoire baissent, les pupilles se dilatent, le corps ne frissonne plus. En état d’hypothermie légère et modérée déjà, l’état de conscience commence à s’altérer allant d’une simple baisse de la vigilance à un état léthargique. Plus l’état d’hypothermie est profond, plus le cerveau et le système cardio-circulatoire sont menacés, avec le risque de complications cardiaques (troubles du rythme, fibrillation ventriculaire), de troubles de la coagulation (saignements), etc. A terme, la victime cesse de respirer, son cœur ne bat plus, son activité cérébrale ralentit, ses pupilles ne sont plus réactives et le coma survient. Les risques de complications cardiaques fatales sont alors élevés.
L’intervention rapide des secours est donc capitale. En premier lieu, on cherchera à extraire le plus rapidement possible les victimes du milieu hostile pour les amener dans une ambiance tempérée et les protéger du froid, en les recouvrant de couvertures isolantes. Le plus important est ensuite de réchauffer d’abord l’intérieur (le «core») avec des perfusions ou des liquides chauds par exemple, et ensuite seulement les parties externes. En effet, on veut éviter à tout prix que le sang froid de la périphérie n’atteigne les organes vitaux, qui eux sont encore froid, pour ne pas augmenter le risque d’arythmies. L’objectif est d’atteindre rapidement une température supérieure à 34°C. En cas d’hypothermie sévère, le réchauffement est effectué par mise en place d’un système de circulation extra-corporelle, comme celui employé pour la chirurgie cardiaque.
A savoir qu’une température corporelle inférieure à 32° fait déjà courir un risque vital, essentiellement à cause du danger d’arythmie maligne, pouvant entraîner un arrêt cardiaque. Mais, selon les circonstances, on peut sortir indemne et sans séquelle d’une hypothermique sévère. Car l’hypothermie a un effet neuroprotecteur. C’est la raison pour laquelle, selon la situation clinique, les médecins, avant de déclarer le décès d’un patient en hypothermie, procèdent à différents examens et, surtout, le réchauffent.