Apprendre à paresser pour se sentir mieux
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Pour quiconque a grandi dans la culture occidentale, il n’y a guère de doute: la paresse est un défaut, voire un vice ou, pire encore, un péché! Les sociétés qui ont érigé la productivité comme valeur centrale ont de facto mis la paresse dans les pires comportements qui soient. Mais paradoxalement, elle est aussi associée, et ce depuis des siècles, à un luxe que seuls peuvent s’offrir les plus favorisés, des aristocrates aux héritiers, en passant par les heureux gagnants d’une quelconque loterie. Nous apprenons depuis tout petits à éradiquer la paresse de nos vies, mais elle reste un objet de convoitise pour nombre d’entre nous. Et si nous acceptions de cesser de lutter contre la paresse pour mieux comprendre ce que cet appel à la langueur, à la flânerie, au temps que l’on se réapproprie dit de notre rythme de vie et découvrir les bénéfices qu’elle peut nous apporter?
L’art de la sieste
La sieste est encore souvent associée à la paresse. Elle représente pourtant un véritable atout quand la nuit a été trop courte ou le sommeil de mauvaise qualité. Pour apporter un petit coup de fouet, elle doit être plutôt courte (quinze à vingt minutes) et se dérouler en début d’après-midi. «Une sieste longue est aussi récupératrice, mais après une phase de sommeil profond, le réveil peut être plus difficile», prévient le Pr Raphaël Heinzer, médecin-chef du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil (CIRS) du CHUV. Les données de la cohorte lausannoise CoLaus ont aussi montré que les risques de maladies cardiovasculaires diminuent chez les personnes qui font deux siestes par semaine. À l’inverse, un besoin fréquent de dormir en journée doit alerter. Il peut être le signe d’une qualité de sommeil altérée, éventuellement en lien avec un problème de santé (apnées du sommeil, trouble anxieux ou dépressif, etc.).
Habiter le présent
La génération Z, qui désigne les jeunes nés entre 1997 et 2012 environ, est régulièrement pointée du doigt par le monde des études et du travail. Professeurs, managers ou collègues plus âgés n’ont de cesse de se plaindre de leur supposée paresse. «La question de la paresse est indissociable de notre rapport au travail et ce dernier semble bien plus sain chez ces jeunes que dans les générations précédentes, commente Émilie Perrollaz, infirmière spécialisée en santé mentale, praticienne en sophrologie et hypnose. Ils sont moins enclins à sacrifier leur équilibre personnel pour leur travail alors que les plus âgés sont encore dans l’idée de donner beaucoup durant leur vie active et de profiter plus tard, à la retraite par exemple. C’est un rapport au temps totalement différent, et les jeunes semblent davantage capables d’habiter le présent.»
Face à un avenir plus incertain, voire plus anxiogène, qu’il ne l’était pour leurs parents ou grands-parents et dans une société où la méritocratie peine à convaincre, les «zoomers» se détachent plus facilement des injonctions de la société. Ils sont plus disposés à prendre du temps pour «être» plutôt que pour «faire». Justement, leurs aînés ne seraient-ils pas envieux de cette capacité qu’eux-mêmes n’ont pas, ou qu’ils peinent à mettre en œuvre? «Pour ma part, je dois planifier des moments de "rien", sinon, comme beaucoup, je remplis mon temps avec mille et une choses, confesse Émilie Perrollaz. Mais il est crucial de comprendre, et d’accepter, que nos ressources ne sont pas illimitées et qu’elles dépendent de ces moments de détente, de repos et de paresse!» Avoir un agenda plein à craquer, que ce soit pour le travail ou les loisirs, semble devenu la norme. C’est même rassurant pour certains qui ont du mal à gérer le moindre vide. «Notre rapport à notre propre finitude conditionne notre relation au temps, relève la thérapeute. Il y a parfois la peur de ne pas avoir le temps de tout explorer, mais aussi celle de se retrouver face à soi-même.»
Un besoin, pas un luxe
Pourtant, courir du matin au soir est une source de stress et, subi de manière chronique, celui-ci peut avoir des conséquences délétères sur nos organes et le fonctionnement de notre corps.
On l’a presque oublié, mais souffler, ralentir, remettre des temps de pause dans le planning n’est pas un luxe; c’est un besoin physiologique. Un moment de paresse permet de recharger les batteries, physiques et mentales. Cependant, ne comptez pas sur les grasses matinées une fois de temps en temps ou les quelques jours de repos posés juste avant l’épuisement: pour la paresse comme pour l’activité physique, c’est la régularité qui paie. «Il y a eu de nombreuses études sur le sujet et on sait maintenant que faire le yoyo entre dette de sommeil toute la semaine et rattrapage le week-end n’est pas idéal, confirme le Pr Raphaël Heinzer, médecin-chef du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil (CIRS) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Il faut s’écouter pour déterminer le nombre d’heures de sommeil dont on a besoin et respecter son rythme physiologique.»
Longtemps considéré comme un temps mort, le sommeil est plus que jamais une variable d’ajustement dans nos vies. On sait désormais qu’il est le siège de nombreux mécanismes nécessaires à notre bien-être. «C’est notamment un temps qui permet d’évacuer, grâce au système dit glymphatique, les "déchets" produits par le cerveau», précise le Pr Heinzer. Et pour garantir une bonne qualité de sommeil, les moments de paresse ne devraient pas être consacrés à trop d’activités sur les écrans, surtout en soirée!
Ceux et celles qui ont encore besoin de se déculpabiliser devraient se souvenir qu’un esprit et un corps fatigués ne sont ni créatifs, ni productifs. Dans cette idée de se ménager pour tenir sur la longueur, l’autrice américaine Jennifer McCartney milite pour la politique du «juste assez». Le titre de son ouvrage, The joy of doing just enough, traduit dans plus de 25 langues, est devenu, de manière intéressante, en français, De la joie d’être paresseux*. Sur un ton joyeusement provocateur, l’autrice y fait la démonstration que la paresse n’est rien de moins que «la meilleure méthode de travail», que ce soit à la maison ou dans l’espace professionnel.
Procrastiner n’est pas paresser
Attendre le dernier moment pour s’atteler aux tâches complexes, ou à fort enjeu, est un mode de fonctionnement répandu, souvent pris à tort pour de la paresse. Les procrastinateurs remettent à plus tard, mais ne font pas rien! La culpabilité, parfois intense, les pousse à faire trois fournées de cookies au lieu d’attaquer leur dissertation ou bien à repeindre le salon plutôt que de faire la déclaration d’impôts. Une manière de se dire qu’on n’a «pas perdu son temps». La procrastination est souvent révélatrice que la tâche en attente génère des émotions négatives (peur d’échouer, de ne pas être à la hauteur, impression de non-sens, etc.). Reporter est une tentative de mettre à distance cet inconfort émotionnel. La procrastination peut ainsi être le symptôme d’un trouble anxieux. Si elle perturbe le quotidien ou provoque un mal-être important, il peut être utile de se faire aider pour acquérir des outils de gestion émotionnelle.
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* Éd. Fayard, 2019.
Paru dans Le Matin Dimanche le 12/01/2025
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