Pour la santé de votre thyroïde, attention aux carences en iode et sélénium

Dernière mise à jour 05/08/20 | Article
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Les changements climatiques et les nouvelles habitudes alimentaires limitent nos apports en ces deux micronutriments. De quoi s’inquiéter et peut-être voir le retour des goitres sous nos latitudes. Explications.

Pour être en bonne santé, il faut manger de tout afin de couvrir nos besoins en protéines, lipides et glucides, mais cela ne suffit pas. L’organisme a en effet besoin d’une grande quantité de micronutriments qui se trouvent dans différents aliments (lire encadré). Parmi eux, le fer, le calcium, mais également le sélénium et l’iode. Malheureusement, les sols des régions alpines en sont particulièrement pauvres, ce qui rend tout aussi pauvres les végétaux comestibles qui y poussent.

Une situation qui ne va pas s’améliorer, à en croire un article publié en 2017 *sur le site de la Confédération. Les changements climatiques et les fortes précipitations délavent les sols, qui s’appauvrissent encore davantage en cet oligo-élément. «20 à 30% des personnes admises à l’hôpital souffrent de carences alimentaires, s’inquiète la Pre Mette Berger, médecin adjointe au Service de médecine intensive du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Je vois arriver des patients aux soins intensifs avec un taux de sélénium très bas. Au niveau de la population suisse, la situation était déjà limite en 2006, comme l’indique un rapport commandé par l’OFSP, et elle ne s’est pas améliorée. Une sélénémie basse est associée à une augmentation de la mortalité. Elle entraîne un risque accru de développer certains cancers, des maladies cardiovasculaires et des problèmes de thyroïde.»

Une maladie très rare (maladie de Keshan), affectant le muscle cardiaque, porte d’ailleurs le nom de la région chinoise où elle a été découverte et dont les sols sont très pauvres en cet oligo-élément.

Depuis 1984, la Finlande, connue pour avoir une terre pauvre en sélénium, procède à la supplémentation des engrais et des fourrages pour animaux. Cela a permis d’augmenter la concentration en sélénium des végétaux et du lait. Un exemple à suivre. «La Suisse devrait prendre des mesures de santé publique, explique la Pre Berger, mais ces mesures de type fortification (ndlr : introduction dans un aliment d’un élément qui améliore son profil nutritionnel), comme pour l’iode, ont un coût élevé et prennent du temps à être mises en place.»

Sélénium et iode bossent pour la thyroïde

Sélénium et iode sont indispensables au bon fonctionnement de la thyroïde, glande endocrine située dans le cou et qui produit les hormones T3 et T4. Raffi Maghdessian, diététicien et responsable du Service nutrition de l’Hôpital de la Tour à Genève, précise: «Comme le sélénium exerce des fonctions biologiques essentielles, il est important de surveiller de près le taux sanguin de la population afin d’éviter un problème de santé publique en cas de carences. En plus de ses propriétés antioxydantes, il assure l'activation des T3 et T4, qui jouent un rôle important au niveau du métabolisme.» Et Maria-Lena Enz, diététicienne HES chez Teamnutrition à Veyrier, de compléter: «Le sélénium protège aussi les cellules contre les radicaux libres, il renforce l’immunité, permet de lutter contre la fatigue et est indispensable au métabolisme cellulaire.»

Pour se constituer, les hormones T3 et T4 ont un absolu besoin d’atomes d’iode. Or le sol suisse, en particulier dans les Alpes, en est pauvre. Au 19e siècle déjà, les instances de santé publique avaient constaté que les «crétins des Alpes» étaient des personnes fortement carencées en iode: petite taille, retard de développement et goitre faisaient partie du tableau clinique de ces populations. Pour remédier à cela, le sel suisse a été enrichi en iode, ce qui a entraîné la disparition des goitres et la normalisation de la taille des populations. Or, aujourd’hui apparaît un nouveau problème. On craint en effet que les nouvelles habitudes alimentaires inversent la tendance. La mode du sel marin (préféré à celui iodé), des substituts de sel (afin d’en limiter la consommation) et des régimes végétarien et vegan (pauvres en sel) tend à créer de nouvelles carences. «Une étude menée au CHUV en 2014 ** a montré que 2% des hommes et 14% des femmes étaient carencés en iode, explique Maria-Lena Enz. D’une part, les femmes mangent souvent moins salé et, d’autre part, la campagne de santé publique menée contre l’abus de sel – responsable d’hypertension et de maladies cardiovasculaires – a eu un impact non négligeable sur les apports en iode auprès de la population.»

Faut-il donc s’inquiéter de voir le goitre revenir en force dans nos régions: «Oui, répond Mette Berger. Il ne faut pas oublier qu’une carence en iode chez les femmes enceintes entraîne des conséquences sur le développement du cerveau fœtal. Mais le phénomène est insidieux, car cela ne se voit pas tout de suite au sein de la population: il faut une génération pour observer les conséquences. Il est indispensable de suivre de près l’évolution de la teneur en iode dans les urines de la population afin de détecter les carences. Il suffit ensuite de prendre une supplémentation adéquate. Malheureusement, ces micronutriments sont souvent méconnus du corps médical et peu considérés.»

Du poisson et des noix

Contrairement aux macronutriments (glucides, lipides et protéines), les micronutriments (oligo-éléments et vitamines) n’apportent aucune calorie à l’organisme. Les deux sont toutefois indispensables. Pour fonctionner correctement, un adulte a besoin de 150 microgrammes d’iode par jour. Les aliments qui en sont riches sont principalement ceux provenant de la mer: crustacés et poissons marins. «Environ 50 à 60 grammes de poisson de mer couvrent les besoins quotidiens en iode d’un adulte, alors qu’il faudrait boire deux litres de lait ou manger 1,5 kg de brocoli pour obtenir le même apport iodé», explique Raffi Maghdessian, diététicien et responsable du Service nutrition de l’Hôpital de la Tour à Genève. A noter que les femmes enceintes ont besoin de 250 microgrammes d’iode par jour. Le sel iodé vendu dans les commerces du pays a une teneur en iode de 20 à 25 microgrammes par 100 grammes. Cette teneur a été adaptée à la hausse en 2014 pour contrer les effets d’une réduction de consommation de sel et donc d’iode. « En consommant environ 4 grammes de sel iodé par jour, on couvre la moitié des besoins quotidiens en iode», précise Raffi Maghdessian.

Mais attention à ne pas tomber dans le surdosage, qui «entraîne des tremblements, des sueurs froides, de la nervosité et une activité excessive de la thyroïde», met en garde Maria-Lena Enz, diététicienne HES chez Teamnutrition à Veyrier.

Quant au sélénium, les apports quotidiens nécessaires sont de 70 microgrammes pour un homme et de 60 pour une femme. Une seule noix de Brésil couvre ce besoin. Ou encore 200 grammes de cabillaud ou… une dizaine d’œufs. Le sélénium se trouve principalement dans les produits de la mer, dans la viande et les abats, et dans les céréales qui poussent sur des sols qui en sont riches, comme l’avoine américaine ou canadienne. A noter que les lentilles et les asperges en contiennent aussi en doses importantes. Le raffinage entraînant une perte non négligeable de sélénium, mieux vaut privilégier les céréales complètes. De même, la cuisson à la vapeur vaut mieux que celle dans de grandes quantités d’eau, car cet oligo-élément (ainsi que certaines vitamines) s’y dissout. Et là encore, bien qu’il faille éviter les carences, il faut également éviter les surdosages. Une complémentation ne doit se faire que sur avis médical. «On ne connaît pas l’innocuité du sélénium à forte dose. On pense qu’il est susceptible d’entraîner une hypothyroïdie», conclut Raffi Maghdessian.

 

*Selenium deficiency risk predicted to increase under future climate change; 

G.D. Jones; B. Droz, P. Greve; P. Gottschalk; D. Poffet; S.P. McGrath; S.I. Seneviratne; P. Smith; L.H.E. Winkel. Proceedings of the National Academy of Sciences 2017

** Première étude représentative sur l'apport en iode chez les jeunes et les adultes, réalisée conjointement par l'Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) et le Centre hospitalier universitaire vaudois

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Paru dans Le Matin Dimanche le 07/06/2020.

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