Cinquante nuances de violences domestiques au féminin
Si dans l’imaginaire collectif, les violences domestiques s’apparentent en premier lieu à des atteintes physiques, il faut savoir qu’elles se déclinent en réalité à plusieurs niveaux. Moins visibles et moins rapportés, les abus économiques ou sexuels se produisent tout autant: il peut s’agir par exemple d’une confiscation des moyens financiers ou encore d’un «viol conjugal». Ces atteintes graves sont lourdes de conséquences sur la santé des victimes, d’abord au niveau physique, mais aussi mental. Pourtant, à Genève, seul 1,2% de la population (auteurs de violences compris) est pris en charge.
Les causes de tels agissements sont variées. Un contexte familial où les violences sont fréquentes peut par exemple favoriser l’émergence de comportements violents, agis ou subis, tout comme la précarité ou d’autres contextes spécifiques. De par sa fonction, le médecin de premier recours (médecin de famille par exemple) est un acteur crucial du dépistage, de la prévention et de la prise en charge des victimes et auteurs de violences domestiques.
Tout âge, tous horizons
Les violences domestiques chez les femmes n’épargnent personne. À l’adolescence, période charnière de la croissance, de nombreuses violences, qu’elles soient physiques ou mentales, ont lieu chaque jour. Chez les jeunes entre 14 et 18 ans, les violences sont, le plus souvent, le fait d’autres jeunes du même âge, de personnes extérieures, voire même de membres de la famille. En matière d’atteintes sexuelles, la moitié des cas se déroulent au sein d’une relation amoureuse. Les jeunes auteurs de ces abus exercent aussi d’autres formes de violences et sont souvent eux-mêmes ou ont été victimes de violences domestiques.
Grossesse et répercussions sur le fœtus
Malheureusement, la grossesse n’arrête pas certains agresseurs: une femme sur cinq victime de violence rapporte avoir été agressée pour la première fois alors qu’elle était enceinte. Pour le fœtus et la santé psychologique de la mère, les répercussions sont terribles: insuffisance de prise de poids maternel, mort in utero ou encore avortement spontané. D’ailleurs, les consultations concernant les interruptions volontaires de grossesse (IVG) ne questionnent que très rarement sur d’éventuelles violences domestiques subies dans le cadre privé. Un suivi spécifique serait pourtant le meilleur moyen d’aider ces femmes en détresse.
La femme migrante, passée sous silence
Souvent ignorée, la femme migrante est pourtant en première ligne des abus domestiques. Pourquoi? Tout d’abord parce ce que l’exode de la famille bouleverse l’ensemble des modes de vie et tend à renforcer certaines valeurs culturelles traditionnelles. Si les pratiques jugées barbares, telles que l’excision, sont illégales et violentes, elles restent pourtant fréquentes dans le quotidien de ces femmes qui se murent dans le silence. Les cas de mariages forcés dépassent aussi les frontières et la Suisse compte plus de 17 000 victimes d’unions non consenties sur son territoire. Le mariage avec un partenaire suisse ou titulaire d’un permis de séjour peut également être une source de pression. La raison? La dépendance de la femme envers son mari qui lui assure un permis de séjour.
Des cas de victimes souvent méconnues
Moins médiatisés, d’autres cas de victimes de violences domestiques sont à déplorer, comme c’est le cas des femmes souffrant d’un handicap mental. Particulièrement vulnérables, elles subissent plus de violences corporelles que les autres et leur risque d’abus sexuel est multiplié par deux. Du fait de leur condition, il est souvent difficile d’obtenir des témoignages de ces victimes.
Les femmes homosexuelles n’échappent pas non plus aux mauvais traitements. Accablées de préjugés homophobes et discriminatoires, elles ont souvent beaucoup de mal à trouver une oreille attentive.
Taboues, les violences faites sur les femmes âgées n’échappent pas non plus à la règle. Victimes d’abus physiques, économiques ou matériels (pression concernant l’héritage par exemple), ces femmes préfèrent souvent le silence, plutôt que de perdre tout soutien familial. Pourtant, c’est bien au sein de cette sphère que les atteintes ont le plus souvent lieu.
Dépister pour mieux soigner
Il est souvent délicat d’aborder le sujet des violences domestiques, et les victimes restent souvent silencieuses à leur propos. Un fort sentiment de culpabilité entoure parfois ces femmes, qui ne savent plus comment gérer la situation, ni leurs sentiments. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’elles se confient au sein de leur cercle familial ou amical plutôt qu’auprès de leur médecin. La sphère sociale pourrait alors opérer comme un levier important dans le dépistage d’actions malveillantes envers une femme. Une piste nouvelle qu’il serait intéressant d’étudier.
Dans le cadre d'une consultation médicale, une question simple et ouverte aide au dépistage: «Connaissez-vous des personnes victimes de violence dans votre entourage: voisin, ami, membre de la famille?» En effet, il est vivement conseillé de se référer à son médecin en cas de violences domestiques connues dans son entourage. Ce dernier sera en mesure d'évaluer clairement la situation et d'apporter les solutions adéquates.
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Références
Adapté de «Cinquante nuances de violences domestiques au féminin: l’implication des médecins est essentielle», Dr Emmanuel Escard, Unité interdisciplinaire de médecine et de prévention de la violence, Drs Tamara Chiffi De Los Rios et Simon Regard, Service de médecine de premier recours, Département de médecine communautaire, de premier recours et des urgences, HUG, Genève. In Revue Médicale Suisse 2015;11:1761-5, en collaboration avec les auteurs.