Syndrome de Gilles de la Tourette: une maladie où le corps n’en fait qu’à sa tête
Dans certaines circonstances, le corps n’en fait qu’à sa tête. C’est le cas dans le syndrome de Gilles de la Tourette, qui touche environ 1% de la population. «Souvent décrit de manière caricaturale, ce trouble n’est pas encore assez dépisté», regrette la Pre Kerstin von Plessen, cheffe du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), qui a récemment organisé le 14e congrès européen sur le sujet. Ce syndrome se manifeste par un ensemble de tics involontaires, moteurs ou sonores, d’apparition soudaine, brève et intermittente. Ainsi, on peut observer chez les personnes atteintes, mais de manière variable selon les individus, des clignements des yeux, un regard qui part dans tous les sens, des grimaces, des mouvements brusques de la tête, des haussements d’épaules, des bruits de bouche (raclements de gorge, clappement avec la langue, par exemple) ou de nez (reniflement), etc. À ces tics impliquant un ou une série de muscles, peuvent s’en ajouter des plus complexes: un besoin irrépressible de toucher (son corps ou celui d’autrui, des objets, des rebords, etc.), de taper ou encore d’imiter des mouvements observés chez les autres, de manière inappropriée par rapport au contexte dans lequel ils sont réalisés.
Nouvelles manifestations chez les adolescentes
Depuis le confinement, un nouveau phénomène inquiétant est apparu, relayé par les réseaux sociaux. Des adolescentes présentant, d’un jour à l’autre, des symptômes similaires à ceux du syndrome de Gilles de la Tourette, relate la Pre Kerstin von Plessen, cheffe du SUPEA au CHUV: «Des jeunes filles de 14-15 ans ont des tics moteurs très complexes et invalidants avec coprolalie qu’elles n’arrivent pas à inhiber et qui se manifestent surtout en présence d’autrui». Comment l’expliquer? «On remarque chez ces adolescentes la présence de comorbidités telles qu’anxiété et dépression. Ces manifestations sont probablement en lien avec l’élévation du niveau d’anxiété sociétale chez des personnes déjà vulnérables», indique la spécialiste. Pour aider ces patientes, une thérapie cognitive et comportementale intégrant une réflexion sur le sens et l’origine des tics est également préconisée.
Parmi les autres signes typiques, il y a les vocalisations: cris, rires, répétitions de mots ou de syllabes prononcés par la personne elle-même – on parle dans ce cas de palilalie – ou répétition des paroles d’autrui – on parle alors d’écholalie. Souvent mentionnée lorsqu’on parle de syndrome de Gilles de la Tourette, la coprolalie, qui est la prononciation de mots grossiers ou obscènes, est pourtant peu fréquente, souligne la spécialiste: «Très rare chez les enfants, elle ne concerne heureusement qu’un petit pourcentage d’adolescents et d’adultes».
Les premiers signes
Le syndrome apparaît généralement entre 3 et 8 ans, majoritairement chez les garçons, et tend à s’améliorer à l’adolescence. «Les premiers tics se manifestent sur le visage, puis la nuque et se diffusent ensuite dans tout le corps (bras, mains, jambes, etc.). Les clignements d’yeux ou les raclements de gorge font d’abord penser à des allergies et conduisent à consulter des spécialistes en ophtalmologie ou en ORL», décrit la Pre von Plessen. Mais il s’agit d’un syndrome neuropsychiatrique. Pour que le diagnostic soit posé, plusieurs tics moteurs et au moins un tic vocal doivent persister durant au moins une année. «Un tic particulier peut être présent pendant quelque temps puis cesser brutalement et céder la place à un autre. (…) L’intensité des tics est variable d’une période à l’autre», peut-on lire sur Orphanet, le portail des maladies rares et des médicaments orphelins.
Les parents sont les premiers témoins de ces clignements des yeux, grimaces et autres gestes involontaires, mais il arrive fréquemment que l’école donne le signal d’alarme. «En classe, ces tics incontrôlables, surtout les vocaux, peuvent poser problème s’ils perturbent l’apprentissage ou les relations avec les pairs, relève la spécialiste. Socialement, c’est le regard de l’autre qui peut être difficile à supporter».
Des troubles associés
Le syndrome Gilles de la Tourette s’accompagne souvent d’autres difficultés telles qu’un déficit d’attention et hyperactivité, des troubles «dys» (dysgraphie, etc.), des troubles obsessionnels compulsifs, entre autres. Selon la sévérité du tableau, le syndrome est plus ou moins difficile à vivre pour la personne et son entourage.
Un suivi thérapeutique permet toutefois de mieux gérer la maladie. «Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) sont le traitement de premier choix. Les patients apprennent à mieux comprendre leur trouble et à reconnaître les moments où les tics vont apparaître afin de mieux les contrôler», explique la psychiatre. Différentes stratégies sont enseignées aux patients, comme l’augmentation de l’attention aux signes annonçant les tics, la réalisation d’un geste contraire (mettre la tête en avant quand le tic la fait partir en arrière, par exemple) ainsi que la régulation de ses émotions. «Une médication peut être envisagée, mais le pronostic est plus favorable avec les TCC parce que le jeune apprend à devenir autonome dans la gestion de son problème», indique la spécialiste.
En matière de recherche, des programmes de téléconsultation qui permettraient de pallier le manque de spécialistes formés en TCC pour ce trouble spécifique sont évalués. Tandis que d’autres travaux scientifiques cherchent à mieux définir ses bases biologiques et sa composante génétique.
Robin, 12 ans: «Si on me parle d’un tic, j’ai tendance à le refaire»
Doigts dans les yeux, tête en arrière, reniflement, raclements de gorge, etc. Chez Robin, les premiers tics sont apparus à l’âge de 6 ans et demi. «Au début, il m’est arrivé de le gronder, mais j’ai vite compris que c’était hors de son contrôle», raconte Sophie, sa maman. Parfois, ces tics s’accompagnent de gestes compulsifs comme toucher les rebords, les coins ou le nez des gens… mais jamais de mots ou de gestes obscènes. Inquiète, sa maman prend rendez-vous au SUPEA du CHUV. «Comme Robin avait eu un cancer, les médecins ont d’abord pensé que c’était de l’anxiété ou un syndrome de stress post-traumatique. Le diagnostic a été posé par un neurologue lorsqu’il avait 7 ans.»
À l’école, les tics et leur contrôle prennent beaucoup d’énergie et entravent la concentration du garçon qui peut toutefois compter sur l’empathie de ses camarades: «En début de l’année, je leur explique mon handicap et ils comprennent», raconte Robin. Malgré les difficultés – il souffre aussi de troubles «dys» et d’un déficit de l’attention – et grâce au soutien sans faille de ses parents, il a fait sa rentrée en voie pré-gymnasiale. Il devrait également pouvoir suivre une thérapie cognitive et comportementale avec un professionnel spécialisé dans ce trouble.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 18/09/2022