Nous avons tous une balance dans notre cerveau

Dernière mise à jour 17/09/19 | Article
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Des chercheurs scandinaves ont découvert une substance capable de réguler la sensation de satiété dans le cerveau des souris.

L’obésité est une maladie multifactorielle, trop souvent réduite à des explications simplistes. Malbouffe, manque d’exercice… Certes, ces facteurs jouent un rôle majeur dans la prise de poids. Mais ils ne sont pas seuls! Des mécanismes cérébraux complexes entrent également en ligne de compte, dont certains sont déjà bien connus du monde médical.

Ces médicaments qui font prendre du poids

Certains médicaments, parmi lesquels des psychotropes, ont tendance à faire prendre du poids. «Nous pensons que certaines molécules agissent parfois directement sur la balance faim-satiété, au niveau cérébral, explique le Dr Mohammed Barigou, chef de clinique au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV. Par conséquent, ils provoquent des phénomènes de désinhibition face à l’alimentation.» De plus, les effets calmants de certains psychotropes amènent la personne à baisser ses dépenses énergétiques. «Mais attention, si vous constatez une importante prise de poids que vous liez à un traitement, ne l’arrêtez surtout pas. Parlez-en à votre médecin, qui peut entre autres vous adresser à un confrère spécialisé en nutrition afin de trouver le meilleur équilibre.»

Depuis plusieurs années, les scientifiques ont montré les capacités du cerveau à piloter et réguler les sensations d’appétit et de satiété. Une récente étude scandinave, publiée dans le magazine Cell Report, vient d’apporter de nouvelles connaissances sur ces processus. Les chercheurs se sont intéressés à un type particulier de cytokine. Cette substance, élaborée par le système immunitaire et présente dans le cerveau, a notamment pour rôle de gérer la prolifération des cellules. Les auteurs ont montré que les souris qui possèdent peu de ce type de cytokine ont une nette tendance à devenir obèses. Mais en leur injectant cette substance manquante, ils sont parvenus à réduire leur poids.

Pour mieux comprendre les enjeux de cette découverte, il faut savoir que le cerveau joue, en quelque sorte, le rôle d’une balance. Lorsque nous mangeons, le tube digestif génère des hormones qui remontent jusqu’à l’hypothalamus, la zone du cerveau régulatrice de l’appétit et de la satiété. De plus, les tissus graisseux du corps sécrètent de la leptine, communément désignée comme l’«hormone de la satiété». Sous l’influence de ces hormones, la faim s’en va, et nous voilà rassasiés.

D’autre part, le cerveau fait aussi office de balance énergétique. Le système nerveux sympathique participe à la régulation de plusieurs fonctions vitales de l’organisme telles que la respiration, la fréquence cardiaque, etc. «Lorsque nous faisons de l’activité physique, ce système est sollicité, explique le Dr Mohammed Barigou, chef de clinique au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Ceci favorise une augmentation de la dépense énergétique et augmente l’utilisation de la graisse comme carburant pour les cellules musculaires.»

Quand la machine se dérègle

Il arrive toutefois que cette balance cérébrale se dérègle et que la sensation de satiété ne se manifeste que très peu, voire plus du tout. Les raisons sont multiples. Il existe, d’une part, une explication évolutive. «Pendant des milliers d’années, les humains ne savaient pas faire de réserves de nourriture, raconte le Pr Claude Pichard, médecin responsable de l’Unité de nutrition aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Et comme les ressources en nourriture étaient limitées, on ne risquait pas de trop manger. Mais aujourd’hui, les coûts de l’alimentation se sont démocratisés. Il est devenu beaucoup plus facile d’ingurgiter un excès de calories. Pourtant, les mécanismes de plaisir et d’envie ne se sont pas adaptés et continuent de s’activer à la vue de la nourriture. D’où le fait, entre autres, que l’obésité soit désormais un problème mondial.»

Autre problème: certaines personnes deviennent résistantes à la leptine, l’hormone de la satiété. Lorsqu’un individu possède beaucoup de masse graisseuse, une grande quantité de leptine est sécrétée. Mais au fil du temps, sa sensibilité à cette hormone s’amoindrit. C’est alors un vrai cercle vicieux qui s’installe.

Bientôt une pilule contre l’obésité?

L’étude des chercheurs scandinaves suscite néanmoins des espoirs. «Grâce à ce type de recherche, nous comprenons chaque jour un peu mieux les processus régulateurs de la satiété, commente le Pr Pichard. Et à chaque fois, nous nous approchons un peu plus de la découverte d’une molécule qui parviendrait à activer ou bloquer le mécanisme d’appétence, sans effets secondaires trop importants.»

A noter que des traitements neuro-hormonaux sous forme d’injection existent déjà, mais leur prescription reste limitée. «Ces médicaments agissent sur les récepteurs cérébraux, en favorisant le signal de satiété, explique le Dr Barigou. Ils marchent souvent très bien, aident à perdre jusqu’à 20% du poids initial selon les études et ont démontré des bénéfices multiples, entre autres sur l’amélioration du risque cardiovasculaire et rénal.» Le hic? Ils ne sont pas remboursés par les assurances maladie et peuvent coûter jusqu’à 3500 francs par année. Une solution qui reste donc encore limitée et proposée seulement à un petit nombre de patients.

La chirurgie de l’obésité, comme le bypass gastrique, reste la solution la plus efficace lorsqu’une personne a tout tenté pour perdre du poids, sans succès. Il s’agit toutefois d’une opération lourde, dont les effets secondaires sont importants. Les efforts se poursuivent donc pour trouver des solutions moins invasives et applicables à l’échelle mondiale, afin de lutter contre l’épidémie d’obésité.

Métabolisme: sommes-nous tous égaux?

«Je ne comprends pas, je mange comme mon voisin, pourtant je suis toujours plus gros!» Existe-il vraiment des différences notables d’un métabolisme à l’autre? «Souvent, les gens ne se rendent pas compte que leur hygiène de vie est différente des personnes auxquelles ils se comparent, note le Pr Claude Pichard, médecin responsable de l’Unité de nutrition des HUG. Mais il est tout de même vrai que certains individus ont des métabolismes économiques, tandis que d’autres "coûtent" plus cher». En effet, certains organismes consomment plus d’énergie pour bien fonctionner. Une cascade de conséquences se met alors en place: plus la personne est maigre, plus elle aura froid et plus elle utilisera de ressources énergétiques pour se réchauffer.

A noter que chez environ 5% de la population, il existe des gènes qui favorisent l’obésité. Il s’agit, par exemple, de mutations au niveau des récepteurs des leptines (lire article principal), dont l’activation provoque une absence de satiété. «Les poids extrêmes, aussi bien chez les personnes très grosses que très maigres, ont presque toujours un fond génétique, souligne le Pr Pichard. Par exemple, si une personne en bonne santé reste très maigre malgré des habitudes alimentaires peu saines, ce n’est sans doute pas dû au hasard.»

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Paru dans Le Matin Dimanche le 25/08/2019.

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