Les compétences clés à cultiver pour réussir à l’école
Plus de jeux à l’école
Au vu des résultats de l’étude genevoise, on peut se demander comment développer ces compétences chez les plus jeunes. Pour Sylvie Richard, professeure à la HEP-Valais et chercheuse à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation à l’UNIGE, le jeu est à cet égard un terrain privilégié: «Jouer engage le corps et donne l’opportunité d’apprendre à réguler ses émotions et à mieux se contrôler. Dans les jeux de bagarre par exemple, les enfants expérimentent la maîtrise de soi. Dans les jeux de rôle, ils apprennent à négocier, à se mettre d’accord et à coopérer. Ces derniers sont aussi l’occasion de manipuler des savoirs mathématiques, comme lorsqu’on joue à la marchande, par exemple.» Loin d’être futiles, ces moments ludiques sont au contraire riches en explorations diverses. Ils favorisent le développement cognitif des enfants mais aussi leur imagination, c’est pourquoi Sylvie Richard milite pour qu’ils aient plus de place en classe, même chez les plus grands.
Et si la réussite scolaire ne dépendait pas uniquement des facultés intellectuelles? De plus en plus d’études en psychologie et en sciences de l’éducation s’intéressent aux capacités fondamentales que les jeunes enfants devraient développer au début de l’école pour mener à bien et réussir leur scolarité. De nombreux travaux ont déjà montré des liens étroits entre émotions et cognition (mémoire, attention), comme en témoigne Edouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève (UNIGE): «La connaissance des émotions contribue de manière significative à la réussite scolaire et constitue un prédicteur à long terme du comportement social et des résultats dès le début de la scolarité.» Les compétences sociales et celles liées à l’activité motrice jouent également un rôle important dans les processus d’apprentissages, selon différents travaux.
Mais peu de recherches sur ce sujet s’intéressent aux enfants de 3 à 6 ans. Pour combler cette lacune, une équipe de chercheurs et chercheuses de l’Université de Genève a mis au point une étude en collaboration avec la Haute école pédagogique du Valais et des enseignants et enseignantes de la Savoie, en France. L’objectif de cette recherche, dont les résultats ont été publiés dans la revue Scientific Reports*, était de regarder comment la connaissance des émotions, le comportement social (capacité des enfants à coopérer) et l’activité locomotrice (ou habileté physique) sont associés et liés aux compétences numériques chez 706 élèves âgés de 3 à 6 ans.
Une étude originale et sur mesure
L’étude est originale à plus d’un titre: «Les liens entre ces différentes variables et le rôle de chacune dans les processus d’apprentissage ont déjà été étudiés, mais pour la première fois, elles le sont dans une seule et même recherche», commente Thalia Cavadini, chercheuse à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation à l’UNIGE et première auteure de l’étude.
Aussi, contrairement à la plupart des travaux qui examinent les résultats scolaires à la lumière de tâches impliquant des compétences langagières, cette étude se focalise sur les compétences numériques des enfants: «Les performances sur ce type de tâches sont moins influencées par le niveau socio-économique des parents que sur les tâches langagières. Il paraissait d’autant plus important de contrôler ce facteur au vu de la taille et de l’hétérogénéité de notre échantillon», indique la chercheuse. Pour être au plus près de la réalité du terrain, les différentes étapes de la recherche ont été élaborées avec l’aide des enseignants. De leur côté, ces derniers ont participé à un atelier de formation pour faire passer les épreuves (lire encadré) aux élèves de manière standardisée.
Qu’ont découvert les chercheurs? Leur étude révèle que les compétences socio-émotionnelles ainsi que celles liées à l’agilité physique sont interdépendantes et associées aux habiletés numériques chez les enfants de 3 à 6 ans, confirme Thalia Cavadini: «En effet, grâce à des analyses statistiques spécifiques, nous avons montré que l’obtention de scores élevés aux différentes épreuves prédit de meilleures performances mathématiques. Mais il s’agit de corrélations et non de liens de causalité entre les variables.» Ces résultats rejoignent le consensus scientifique sur le sujet: «On a tendance à se focaliser sur les disciplines scolaires, alors qu’il y a aussi un enjeu majeur dans les aspects socio-émotionnels. Savoir gérer ses émotions libère des ressources cognitives», explique Sylvie Richard, professeure à la HEP-Valais et chercheuse à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation à l’UNIGE. Savoir coopérer aussi, poursuit cette dernière: «On a besoin des autres – des professeurs, des pairs – pour apprendre et affronter des situations de stress en lien avec l’apprentissage.»
Cette étude rappelle une nouvelle fois que les aspects locomoteurs ne doivent pas être négligés. En effet, c’est aussi à travers des activités qui engagent le corps que les jeunes enfants peuvent exercer ce qu’on appelle le « contrôle inhibiteur », explique la professeure de l’UNIGE: «Pour pouvoir effectuer leurs mouvements et faire preuve de coordination dans les épreuves d’agilité physique, les enfants devaient exercer un contrôle sur leurs pensées et résister aux distractions externes. Cette capacité d’auto-contrôle est également nécessaire lorsqu’il s’agit de résoudre des activités mathématiques.»
Déroulement et épreuves
La connaissance des émotions a été évaluée à travers deux tâches, la première consistant à reconnaître les émotions primaires (colère, peur, joie et tristesse) et l’expression faciale neutre, la seconde à comprendre les causes de ces émotions à travers des scénarios mettant en scène des personnages dans des situations particulières. Par exemple, parmi cinq illustrations, l’enfant devait indiquer puis nommer l’émotion pouvant être ressentie par un garçon venant de recevoir un cadeau pour son anniversaire.
L’évaluation de la capacité à coopérer s’est faite par l’intermédiaire de jeux d’équipes (avec et sans ballon), où les enfants devaient reconnaître leur équipe, participer au jeu et montrer leur capacité à collaborer avec les autres pour atteindre un but. C’est ensuite à travers un parcours d’agilité (se déplacer en équilibre sur une poutre, grimper aux espaliers, ramper sous des bancs, se suspendre à des anneaux, se balancer, par exemple) que les compétences motrices des enfants ont été testées.
Enfin, l’évaluation des compétences mathématiques comprenait trois épreuves numériques adaptées à l’âge des enfants, où il s’agissait d’identifier le cardinal d’un nombre, puis de compter et départager des collections en indiquant celle où il y avait le plus, le moins et le même nombre d’objets, et pour finir de compléter des suites algorithmiques.
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*Cavadini, T., Richard, S., Dalla-Libera, N. et al. Emotion knowledge, social behaviour and locomotor activity predict the mathematic performance in 706 preschool children. Sci Rep 2021 ;11:14399.
Paru dans Le Matin Dimanche le 10/04/2022.