La musique ralentit le vieillissement du cerveau
Jouer d’un instrument ou faire de l’exercice?
Clara James et Damien Marie, de l’UNIGE et de la HES-SO Genève, ont mené une étude pilote auprès de 32 personnes âgées souffrant d’un déclin cognitif léger. À savoir, des seniors qui présentent parfois des trous de mémoire ou qui ont des problèmes d’orientation. Un premier groupe de participants a pratiqué du tongue drum (tambour à languettes) deux fois par semaine pendant six mois. L’autre groupe a fait des séances de psychomotricité, une activité physique qui ressemble au taï-chi, impliquant des enchaînements de mouvements amples. Les résultats ont montré que les musiciens en herbes avaient amélioré leur fluence verbale, leur mémoire à court terme, leur perception de la parole dans un environnement bruyant et leur régulation émotionnelle. «Lorsque ces différentes facultés déclinent, c’est un signe précurseur de démence», explique Clara James. Le groupe ayant pratiqué du sport a, quant à lui, amélioré son équilibre et la reconnaissance des parties du corps. Deux facultés qui permettent d’éviter les chutes, si fréquentes chez les personnes âgées. Conclusion de cette étude: pour protéger son cerveau, combiner une activité physique et la pratique de la musique est excellent!
Comme le dit si bien l’adage, «la musique adoucit les mœurs». Il semble même que ses bienfaits sont bien plus puissants et touchent notamment la plasticité cérébrale, à savoir la capacité du cerveau à se restructurer et à récupérer. C’est ce qu’ont mis en évidence des recherches de l’Université de Genève (UNIGE), l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et la Haute école de santé de Genève (HES-SO Genève). «Grâce à cette étude, menée pendant six mois auprès de 132 personnes âgées entre 62 et 78 ans, nous avons pu démontrer que l’écoute active de la musique ou l’apprentissage du piano stabilise, voire freine le déclin cognitif des personnes âgées», explique Clara James, professeure ordinaire à la HES-SO et à l’UNIGE.
Pour parvenir à de telles conclusions, les chercheurs ont constitué, par tirage au sort, deux groupes de participants. Leur point commun: avoir plus de 62 ans et ne jamais avoir joué d’un instrument de musique de leur vie. Le premier groupe a pris des cours de piano à raison d’une fois par semaine et devait s’entraîner à la maison. Le second a participé à des séances hebdomadaires d’écoute active de différents morceaux musicaux et avait aussi des devoirs à faire chez soi: décortiquer la mélodie, analyser la structure du morceau, comprendre les différents styles, etc.
«Les examens d’imagerie cérébrale pratiqués sur les participants des deux groupes ont montré que leur matière grise, constituée de neurones (les briques de base de la pensée), avait augmenté après de telles sessions musicales. Les personnes qui ont appris à jouer du piano avaient un clair avantage sur l’autre catégorie pour certains résultats de l’étude. Cependant, tout le monde a amélioré ses performances en termes de mémoire de travail. Il s’agit de celle que l’on utilise pour enregistrer une information pendant un certain laps de temps, comme retenir un numéro de téléphone jusqu’à ce qu’on puisse l’écrire ou faire un calcul mental qui nécessite de garder en tête plusieurs opérations», explique Damien Marie, premier auteur de l’étude et collaborateur scientifique à l’UNIGE et à la HES-SO. Les résultats étaient en corrélation avec l’assiduité des mélomanes débutants: plus ils ont pratiqué, plus leur cerveau en a profité.
Continuer à faire travailler ses neurones à tout âge
Clara James explique: «Même à un âge avancé, la plasticité cérébrale subsiste, ce qui signifie que l’on peut toujours apprendre. Il n’est jamais trop tard. Les seniors qui partent à la retraite et qui ne stimulent plus leur cerveau subissent un déclin cognitif fulgurant. Mon credo par rapport au vieillissement est "Use it or lose it" (utilise-le ou perds-le, ndlr)!» En effet, le cerveau se comporte un peu comme un muscle. Si on ne s’en sert pas, il se ramollit. Plus scientifiquement: il perd de ses capacités.
S’il semble évident que continuer à apprendre de nouvelles choses, surtout à un âge avancé, est bénéfique, pourquoi la musique serait-elle un meilleur stimulant cérébral que faire du sport ou apprendre une langue étrangère? «La pratique musicale est plus stimulante parce qu'elle est multimodale, sollicitant non seulement l'ouïe, mais également les autres sens et le mouvement. De plus, elle engage pratiquement toutes les capacités cognitives», explique Clara James. Après un an de pratique, le groupe ayant joué du piano a d’ailleurs montré de meilleures connexions entre toutes les parties du cerveau qui s’occupent de motricité fine. L’apprentissage d’un art ou d’une activité physique n’est toutefois pas à négliger (lire encadré). «L’essentiel est de pratiquer une activité qui passionne et que l’on va faire avec intensité et sur le long terme. C’est ainsi que l’on développe sa capacité cérébrale», précise Damien Marie. Et Clara James de conclure: «Faire des progrès est le plus important pour freiner le déclin cognitif naturel lié à l’âge.»
Les premières expériences musicales se font in utero
Baigné dans le liquide amniotique, le fœtus perçoit déjà des sons et des vibrations sonores. Pas étonnant que lorsqu’il naît, certaines musiques l’apaisent. «Non seulement l’écoute de la musique joue un rôle important pour le développement du cerveau et sa plasticité, mais elle facilite les moments de régression (des périodes où l’on se replonge dans des pensées ou des actes du passé pour se protéger d’un danger ou d’une angoisse, ndlr), qui aident à surmonter les difficultés», explique Antonio Esperti, musicothérapeute et chercheur en neurostimulation sonore au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). L’expert se sert de la musique, notamment, pour entrer en communication avec les enfants autistes et pour les aider à calmer leurs crises et leurs angoisses. «À l’hôpital, la musique est aussi une précieuse alliée car elle permet de retrouver un état plus confortable, elle relie l’enfant à ce qu’il connaît. Je l’utilise aussi en neuroréhabilitation, notamment pour la récupération de la parole. Les rituels sonores sont très importants à tout âge.» Que les parents se rassurent: nul besoin d’écouter en boucle des comptines pour enfants pour agir positivement sur le cerveau de leur progéniture. «Plus on fera écouter des styles musicaux différents à son enfant, meilleure sera sa plasticité cérébrale.» Ouf: ACDC a encore le droit de figurer sur votre playlist sans risquer des dégâts neurologiques sur les jeunes passagers!
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Bon à savoir
L’équipe de recherche de Clara James recrute des enfants de 6 à 8 ans domiciliés dans le canton de Genève pour une étude sur leur développement cognitif en lien avec la pratique de la musique, des arts visuels ou des activités culturelles. Pour en savoir plus: 022558 76 25 ou 022558 72 93.
Paru dans Le Matin Dimanche le 28/01/2024
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