«La gérontophobie ambiante mine la prise en charge des maladies neurodégénératives»
Planète Santé: Le programme CareMENS prône un modèle de soins axé sur des traitements non pharmacologiques en cas de maladie neurodégénérative débutante, telle que celle d’Alzheimer. Cette approche est-elle aujourd’hui la seule alliée possible en l’absence de médicaments?
BIO EXPRESS
1978 Naissance à Ambilly (France).
2003 Diplôme fédéral de médecine à la Faculté de médecine de l'Université de Genève.
2009 PhD en neurosciences à l’Université Jean Monnet, Saint-Étienne (France).
2011 Obtention du titre FMH en neurologie.
2013-2015 Fellowship à l’Albert Einstein College of Medicine of Yeshiva University, New York (États-Unis).
2016 Privat-docent à la Faculté de médecine de l’Université de Genève.
Dès 2021 Professeur ordinaire à l’Université de Lausanne et directeur du Centre Leenaards de la mémoire du CHUV.
Pr Gilles Allali: En effet, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle est accessoire. Et pour cause, nous avons aujourd’hui la certitude que de nombreuses démarches non médicamenteuses présentent des bénéfices concrets face aux maladies neurodégénératives. Il s’agit autant de mesures d’hygiène de vie bien connues, comme la pratique d’une activité physique régulière ou l’entretien des facultés cognitives et sociales, que d’approches plus personnalisées, comme la physiothérapie ou la logopédie, exercées seul ou en groupe.
Sur quels plans s’observent ces bienfaits?
L’effet est double. Les mesures non pharmacologiques peuvent autant retarder l’apparition des premiers symptômes d’une maladie neurodégénérative sous-jacente que freiner son développement. Les personnes présentant des troubles cognitifs naissants qui adhèrent à ces démarches peuvent voir l’évolution des symptômes s’infléchir. Sauf qu’avec l’âge, il n’est pas toujours facile d’entreprendre une activité physique ou de s’inscrire à une association pour discuter, jouer aux cartes ou trouver de nouveaux centres d’intérêt, encore moins lorsque des troubles cognitifs surviennent.
D’où l’idée du programme CareMENS?
Exactement. L’enjeu est de soutenir activement ces démarches en initiant une prise en charge au cas par cas, afin que ces recommandations ne soient plus uniquement les «conseils du médecin», mais se concrétisent véritablement. Pour ce faire, une équipe multidisciplinaire alliant personnel soignant et travailleurs sociaux se mobilise pour identifier les besoins de la personne, ses envies et les ressources qui l’entourent. Par la suite, des «care manager» – qui sont des professionnels de santé – accompagnent le patient ou la patiente vers ces nouvelles activités. Initié par le Centre Leenaards de la mémoire – sous l’impulsion de la Dre Andrea Brioschi Guevara, neuropsychologue – et le Service universitaire de psychiatrie de l’âge avancé (SUPAA) du CHUV, le programme CareMENS est désormais disponible dans de nombreux centres de la mémoire romands, notamment à Neuchâtel, Fribourg et Genève. Les premiers résultats montrent des effets positifs tant en termes de qualité de vie que d’autonomie.
Une autre originalité du programme est d’œuvrer avec la société elle-même. Par quel moyen?
Des groupes de travail ont été organisés avec certaines professions ayant des contacts fréquents avec le grand public (personnel travaillant au sein de cafés, pharmacies ou encore magasins d’alimentation) afin d’identifier les besoins, notamment en termes de connaissances sur les maladies en question. Le but est d’aider ces professionnels à mieux gérer des situations complexes impliquant des personnes souffrant de troubles cognitifs ou du comportement. Une formation a ainsi pu être mise en place par les équipes du SUPAA, en collaboration avec l’HES-SO Valais.
Reste la question des traitements pharmacologiques pour contrer les maladies neurodégénératives, et notamment pour la maladie d’Alzheimer, espérés depuis si longtemps. Un espoir est-il permis pour les années à venir?
J’en suis convaincu. Un signal positif est récemment apparu avec le lecanemab, principe actif d’un médicament fabriqué par les laboratoires Esai et Biogen et autorisé il y a quelques mois aux États-Unis par l’Agence américaine des médicaments. Ce traitement n’a à ce jour pas reçu d’autorisation de l’Agence européenne des médicaments ni de Swissmedic, mais il n’en reste pas moins le premier à avoir montré une efficacité encourageante face aux symptômes de la maladie d’Alzheimer. Il semble capable de freiner la progression des troubles en «nettoyant» le cerveau des plaques d’amyloïdes typiques de la maladie. Des dizaines d’autres médicaments sont aujourd’hui testées, laissant espérer une révolution thérapeutique dans les années à venir.
Par le passé, de nombreuses pistes thérapeutiques ont échoué. En quoi la configuration est-elle différente aujourd’hui?
Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Le premier se joue au niveau du diagnostic, qui est devenu beaucoup plus précis, en particulier pour la maladie d’Alzheimer. En cas de suspicion, une ponction lombaire – ou un examen de médecine nucléaire spécifique en cas de contre-indication – permet de confirmer ou d’infirmer le diagnostic et d’avoir ainsi une approche thérapeutique adaptée. On sait aussi qu’il est crucial d’agir au plus tôt, sans doute avant même l’apparition des premiers symptômes. Et pour cause, lorsque ces derniers surviennent, la maladie est souvent déjà présente depuis plusieurs années. Un autre volet repose ainsi sur la prévention: l’hygiène de vie constitue un levier majeur avéré. Les messages de santé publique relatifs notamment à l’importance d’adopter une activité physique régulière et une alimentation équilibrée font leur chemin et retardent aujourd’hui l’apparition de certaines pathologies, y compris neurodégénératives. Mais beaucoup reste à faire, notamment sur le plan de la recherche.
À quel niveau?
Pour des pathologies aussi complexes que les maladies neurodégénératives, les études cliniques sont essentielles. Or en Suisse, nous ne sommes pas très bons pour cela: nous créons de nombreuses molécules, mais peu de personnes sont candidates pour les tester, ou plus globalement pour se soumettre à des études qui permettraient de mieux comprendre la maladie, son apparition, ses mécanismes. Aux États-Unis, par exemple, la participation à la recherche médicale est plébiscitée par la population, ici elle est presque stigmatisée. Or cet engagement citoyen – y compris de personnes jeunes et en bonne santé – est indispensable pour faire avancer les choses face à des pathologies ravageuses et encore éminemment taboues.
Est-ce là un obstacle supplémentaire à leur prise en charge?
Absolument. Les maladies neurodégénératives ne souffrent pas uniquement de leur complexité, mais également d’un défaitisme et d’une gérontophobie ambiante qui mine leur prise en charge médicale et sociale. Conséquence: trop souvent, rien n’est fait sous couvert d’absence de traitements ou du fait que les personnes âgées auraient fait leur temps… Ces raisonnements ne sont pas seulement révoltants, ils nuisent aussi à des suivis qui pourraient changer la trajectoire de vie des patients concernés et de leurs proches. Sans compter que certaines démences sont réversibles, mais faute de prise en charge, elles ne sont pas traitées.
De quelles démences s’agit-il?
Les cas de figure sont nombreux, mais on peut par exemple citer l’hydrocéphalie à pression normale, qui touche 6% des personnes de plus de 80 ans. Cette pathologie, qui provoque des troubles cognitifs et de la marche, peut être confondue avec la maladie d’Alzheimer. Liée à un excès d’eau dans le cerveau, elle se diagnostique et se soigne très bien. Mais pour cela, il faut faciliter l’accès aux soins des personnes atteintes de démences et tordre le cou à la fatalité qui colle à la peau des maladies neurodégénératives.
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*www.caremens.ch
Paru dans Planète Santé magazine N° 49 – Juin 2023
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