Le vieillissement de la population bouscule le système de santé
L’espérance de vie, c’est quoi?
L’espérance de vie à la naissance représente la durée de vie moyenne d’une génération fictive qui serait soumise, à chaque âge, aux conditions de mortalité de l’année considérée. L’espérance de vie à un âge x représente quant à elle le nombre moyen d’années restant à vivre au-delà de l’âge x, dans les conditions de mortalité par âge de l’année considérée.
La Suisse est l’un des pays où l’on vit le plus longtemps: l’espérance de vie est estimée à 80,7 ans pour les hommes et 84,9 ans pour les femmes. Pour ces dernières, elle pourrait même atteindre les 90 ans en 2040. «Cette évolution est le fruit d’importants progrès sociaux et médicaux, dont on peut se réjouir», souligne le Dr Idris Guessous, médecin spécialiste en épidémiologie populationnelle aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et à la Policlinique médicale universitaire (PMU) de Lausanne.
L’allongement constant de l’espérance de vie est associé aujourd’hui à un autre phénomène, celui du vieillissement des baby-boomers, ces nombreux bébés nés après la guerre qui auront entre 75 et 95 ans en 2040. L’avancée en âge de la population, associée à l’arrivée à la retraite de cette génération, représente un changement démographique important. Le vieillissement de la population suisse s’accélère. Pour ne prendre que l’exemple du canton de Vaud: en 2030, un Vaudois sur cinq sera âgé de plus de 65 ans. D’ici 2040, le nombre de personnes âgées de 80 ans et plus devrait doubler, passant de 36’000 aujourd’hui à près de 72’000. Cette évolution démographique inédite est un véritable défi pour la société et pour le système de soins en particulier. Comment prendre en charge l’afflux de patients âgés, comment répondre à leurs besoins spécifiques en matière de soins, tout en évitant une explosion des coûts de la santé? Les acteurs de ce domaine et les politiques se sont penchés sur ces questions qui appellent une vraie révolution de notre système de santé.
Explosion des maladies chroniques
Le saviez-vous
Ces 30 prochaines années, le nombre de personnes âgées de 80 ans et plus sera deux fois et demie supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. La frange des 0 à 44 ans va par contre enregistrer une baisse.
Le vieillissement démographique entraîne une augmentation de la prévalence des maladies chroniques mais aussi de la dépendance fonctionnelle pour accomplir les gestes du quotidien, comme se déplacer, manger, etc. Selon Stéfanie Monod, cheffe du Service de la santé publique du Canton de Vaud, le nombre de personnes souffrant de maladies chroniques (hypertension, maladies cardio-vasculaires, articulaires (rhumatismes), diabète, cancers, pathologies respiratoires) va probablement doubler. Selon des chiffres de 2013, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) prédit de son côté une augmentation importante des problèmes de démence au sein de la population: d’environ 110’000 personnes touchées actuellement à plus de 190’000 en 2030. La prise en charge de ces patients nécessitera des besoins structurels nouveaux et massifs, aux coûts financiers qu’on imagine importants. Notre système de santé actuel doit être adapté s’il veut y faire face. Voici les axes forts d’une telle adaptation.
Intensifier le réseau de premiers recours
Aujourd’hui, le système de soin est surtout organisé autour de la prise en charge des maladies aiguës, avec l’hôpital en son centre. Or, demain, «il s’agira d’intensifier le réseau de soins de premiers recours pour gérer les besoins des malades chroniques et être plus accessibles, plus rapidement», explique le Dr Guessous. Médecins traitants, pharmaciens, infirmiers cliniciens, physiothérapeutes seront plus que jamais en première ligne pour accompagner les aînés.
Plus de soins à domicile
L’hôpital devra être réservé aux soins aigus des personnes les plus fragiles, dont l’état de santé nécessite l’intervention d’une équipe médicale spécialisée et le recours à un plateau technique. «En effet, rappelle Stéfanie Monod, on sait qu’une hospitalisation diminue fortement les capacités de la personne et génère du stress, quand elle n’entraîne pas des états confusionnels ou une certaine désorganisation». Eviter si possible les hospitalisations inutiles et diminuer toujours plus la durée des séjours s’avère donc nécessaire. La réponse à l’urgence devra en conséquence être développée: «Certains soins aigus tels que les infections urinaires pourront par exemple être pris en charge par des infirmiers-ères de pratique avancée», note le professeur Jacques Cornuz, directeur de la PMU de Lausanne. La question de la responsabilité devra toutefois être réglée avant de partir dans une telle direction.
Il faudra dès lors compter sur une plus grande mobilité des soignants, appelés à se déplacer davantage au domicile du patient afin de préserver sa mobilité, son autonomie et son équilibre psychique.
L’hôpital, un nouveau rôle
Le fonctionnement même de l’hôpital doit évoluer. Il devra s’ouvrir davantage, au même titre que les autres structures de soin. Plutôt qu’être un univers détaché et cloisonné, il s’inscrira de plus en plus comme un membre du réseau et un acteur précieux de la continuité des soins.
Le patient au centre
Pour une plus grande économicité et efficacité des prises en charge, les différentes institutions de soins devront davantage collaborer. Des projets pilotes existent déjà à Genève: «Médecins hospitaliers, médecins de ville, pharmaciens et infirmiers à domicile définissent, pour chaque patient, des objectifs thérapeutiques communs. Aussi, pour les cas les plus complexes, il se crée de plus en plus de centres multidisciplinaires pour une prise en charge en réseau», note Adrien Bron, directeur général de la santé du canton de Genève.
Le partage d’informations
À cet égard, le partage d’informations est essentiel. «En cas d’absence du médecin, un autre professionnel doit pouvoir avoir accès non seulement aux informations médicales du patient, mais aussi à son réseau de soins», explique le Dr Guessous. Le dossier médical électronique est l’outil par excellence qui renforcera ces changements de pratique et ce décloisonnement, atteste Adrien Bron. La centralisation des données médicales du patient permettra de lutter contre des prestations superflues et la répétition d’examens. «Plus d’intelligence dans la coordination augmente la qualité des soins et renforce la sécurité du patient. Si on applique cela, on a un boulevard d’économie devant nous, commente Adrien Bron. Du point de vue financier, l’excellence est toujours ce qu’il y a de moins coûteux».
Le patient acteur de sa santé
Le rôle du patient doit aussi évoluer. «Nous sommes encore dans un système paternaliste. Le patient doit être remis au centre et être acteur de sa santé», estime Stéfanie Monod. Selon le Pr Cornuz, il est en outre important de s’en remettre à la sagesse du patient et de partager la décision. L’individu doit être considéré dans ses dimensions médicale, psychologique, sociale et spirituelle.
Les structures intermédiaires
La création de structures de soins intermédiaires (maisons de santé, foyers médicalisés, foyers de jour avec une présence infirmière, etc.) est une autre façon de préserver l’intégrité de la personne âgée, de maintenir son autonomie, et de retarder son entrée en EMS –des institutions où les places sont rares et coûteuses. À Genève, un accent fort est mis sur ce type de structures qui s’adaptent à la situation médicale de la personne et évitent le déracinement du lieu de vie. Le Dr Guessous rappelle d’ailleurs que ce sont surtout les derniers temps de la prise en charge qui sont les plus coûteux. Pour cette raison, mais surtout aussi pour respecter la volonté d’une majorité de patients, la fin de vie à domicile est un domaine qui mérite d’être déployé, selon le spécialiste.
La maîtrise des coûts
L’afflux massif de patients âgés risque fort de mettre à mal les dépenses publiques consacrées à la santé. Si c’est une préoccupation, il ne faut pas céder à l’alarmisme, ni même affirmer qu’on ne pourra pas soigner tout le monde avec les mêmes exigences de qualité, s’indigne Adrien Bron: «Nous avons devant nous des marges d’amélioration si on modifie les pratiques médicales et professionnelles». Le directeur de la santé genevois voit, dans le système actuel de facturation des actes, une vraie barrière: «Plus le médecin fait d’actes, plus il est rémunéré, quel que soit le résultat pour le patient». Il faut, selon lui, trouver de nouvelles modalités de financement pour lutter contre des prestations superflues et valoriser le travail d’équipe. Il s’en explique: «Nous devons mieux rémunérer la prise en charge transversale des malades et la coordination entre les différents soignants». Un avis que partage le Dr Guessous pour qui il paraît nécessaire de «facturer la coordination autour du patient, et pas uniquement les actes médicaux en sa présence».
Un défi à nos portes
La population suisse vieillit, et le défi est à nos portes. Il semble toutefois que la prise de conscience a eu lieu et que des changements stratégiques pour faire face à cette explosion démographique ont été dessinés. Cette contrainte forte sur les dépenses publiques, sur l’organisation des soins et la pratique médicale, pourrait donner lieu à un changement de paradigme social et médical profitable non seulement à ces générations d’aînés, mais aussi à l’ensemble de la population. Pour des soins plus adaptés et individualisés en fonction des valeurs de chacun, visant une amélioration de la qualité de vie plutôt qu’une médicalisation forcenée.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 26 - Juin 2017