Va-t-on tous bientôt porter des implants médicaux?
Si l’émergence des cyborgs relève encore de la science-fiction, l’ère de l’homme implanté est bel et bien une réalité. On estime que 5 à 6% des habitants des pays industrialisés portent déjà, à l’intérieur de leur corps, un dispositif artificiel capable de pallier le fonctionnement défaillant d’un de leurs organes et tissus. Au rythme où va la recherche dans ce domaine, le nombre de porteurs d’implants ne pourra que croître.
Sous le terme d’implants se cachent des dispositifs différents, aux fonctions très diverses. Certains, dits «passifs», délivrent des médicaments, comme les implants contraceptifs. A cette catégorie appartiennent aussi les cristallins synthétiques, employés en cas de cataracte, et les prothèses orthopédiques qui remplacent tout ou partie d’une articulation défaillante, de l’épaule au genou en passant par les hanches.
D’autres dispositifs sont «actifs». C’est le cas des pacemakers qui envoient une impulsion électrique au cœur pour le faire battre à un rythme régulier, des simulateurs cérébraux qui activent des neurones afin de soulager les symptômes de la maladie de Parkinson ou de l’épilepsie, ou encore des pompes à insuline destinées au traitement du diabète. C’est aussi celui des implants cochléaires (lire encadré).
Une cible pour les pirates
Ces implants, dont certains ont été élaborés il y a plusieurs décennies (le premier pacemaker a été implanté il y a exactement 70 ans!), ont déjà sauvé ou amélioré la qualité de très nombreuses vies. Mais ils ne sont pas totalement dénués de risques.
Outre les éventuelles complications liées à toute intervention chirurgicale, ils peuvent provoquer des infections. «Lorsque l’on fait passer des fils de l’extérieur à l’intérieur du corps (comme c’est le cas de certains implants qui ont une partie implantée et une autre placée à la surface de la peau), il y a un risque de contamination par des microbes», constate Giovanni De Micheli, responsable du Laboratoire des systèmes intégrés de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et du programme national Nano-Tera.ch. Dans le cadre de ce dernier, une équipe de l’Université de Berne a d’ailleurs élaboré «un robot associé à un GPS médical» qui permet de faire des micro-canaux dans les os au moment de la pose de l’implant car, «plus les trous sont petits, moins on a de risques d’infection».
Quant aux pacemakers, stimulateurs cérébraux et pompes à insuline, ils peuvent, depuis quelques années, communiquer sans fil avec l’extérieur, ce qui permet de les régler et de contrôler l’état du patient. Mais par ce biais, ils deviennent des cibles pour le piratage. On est certes encore loin d’assister, comme dans un épisode de la célèbre série «Homeland», à l’assassinat d’un candidat à l’élection présidentielle dont on avait manipulé à distance le stimulateur cardiaque. Malgré tout, en 2017, la FDA (l’autorité de santé américaine) lançait une alerte auprès des porteurs de certains modèles de pacemakers à radiofréquence après avoir constaté qu’ils pourraient être piratés.
«Pour l’instant, pour intervenir sur le fonctionnement d’un dispositif médical, il faut être à quelques dizaines de centimètres de son porteur. Dans ce cas, il est plus facile de sortir un couteau», dit en riant Giovanni De Micheli. Selon lui, «il n’y a pas encore danger, mais une possibilité de danger, ce qui peut poser des questions légales». «Tout dispositif donnant des informations sur son porteur peut impliquer ce risque à des fins criminelles ou commerciales», souligne Angelica Perez Fornos, ingénieure responsable au Centre universitaire romand d’implants cochléaires (CURIC). Le problème se posera encore plus à l’avenir à mesure que se développeront les implants connectés et les capteurs placés à l’intérieur du corps pour mesurer la composition sanguine en sucre, cholestérol et autres substances et qui enverront ces données en temps réel au médecin traitant.
Combinaison de technologies
Connectés ou non, les implants font l’objet de nombreuses recherches. Certaines portent sur leur alimentation électrique, qui se fait soit à l’aide de batteries placées à l’extérieur du corps, soit par l’intermédiaire d’un champ électromagnétique généré sur la peau. Or, «entre la peau et l’implant, il y a une perte ou une dissipation d’énergie», explique Giovanni De Micheli. C’est pourquoi, «récemment, des chercheurs Coréens ont conçu une antenne intelligente dotée d’un système de transmission qui permet de régler, de l’extérieur, la quantité d’énergie transmise à l’implant».
Les efforts portent aussi sur la miniaturisation ou encore sur des dispositifs délivrant des médicaments de manière ciblée – qui pourraient même être biodégradables et se résorber naturellement dans le corps après avoir rempli leur rôle. Pour le futur, selon Angelica Perez Fornos, on s’achemine «vers la combinaison de différentes technologies, afin de s’approcher le plus possible du vivant».
Des prothèses dans l’oreille interne
Depuis les années 1990, les personnes souffrant de surdité profonde ou sévère peuvent bénéficier d’un implant cochléaire. Sa partie externe, placée derrière l’oreille, est dotée d’un microphone qui capte les sons de l’environnement, lesquels sont transformés en signaux électriques par un processeur. L’ensemble est relié à de très fines électrodes implantées chirurgicalement dans la cochlée – une structure en forme d’escargot située dans l’oreille interne – et qui stimulent le nerf auditif. «Ce dispositif ne redonne pas une audition normale, précise Angelica Perez Fornos, ingénieure responsable au Centre universitaire romand d’implants cochléaires (CURIC). Mais la grande majorité des six cent mille personnes dans le monde – dont 3400 en Suisse – qui portent cet implant retrouvent la capacité de communiquer, y compris au téléphone». Toutefois, elles ont du mal à distinguer des paroles dans des ambiances bruyantes. Cela est dû au fait que «les nerfs auditifs ne se trouvent pas dans la cochlée, mais à une certaine distance», explique la spécialiste. L’information n’est donc pas transmise de façon suffisamment précise par les électrodes. C’est pourquoi une équipe du CURIC est en train de «développer une technique neurobiologique permettant de rapprocher les fibres nerveuses des électrodes, afin de donner une meilleure impression auditive».
Siège de l’audition, l’oreille interne joue aussi un rôle important dans le maintien de l’équilibre par l’intermédiaire du système vestibulaire. Le dysfonctionnement de cet organe sensoriel «provoque des déséquilibres, des vertiges et donne une vision floue quand on est en mouvement». Pour lutter contre ce trouble, pour lequel il n’existe aucun traitement, Angelica Perez Fornos et ses collègues ont donc entrepris de modifier l’implant cochléaire pour le transformer en implant vestibulaire. «Nous avons ôté quelques électrodes et placé le dispositif sur le nerf transmettant au cerveau les informations du système vestibulaire».
En collaboration avec leurs collègues du Centre médical de Maastricht aux Pays-Bas, les chercheurs ont testé l’appareil sur treize patients. «Nous n’avons pas eu de complications. En outre, les résultats sont prometteurs. C’est la première fois que l’on fait la preuve que ce système peut vraiment aider les personnes atteintes de troubles vestibulaires». Au rythme où vont les travaux, l’ingénieure espère que des essais cliniques à plus grande échelle «pourront démarrer d’ici trois à cinq ans».
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Paru dans Le Matin Dimanche le 25/11/2018.