Marchez, vous êtes filmés
Un vrai studio de cinéma se cache au premier étage du Bâtiment Jean-Louis Prévost des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Caméras, pénombre, capteurs pour la reconstruction du mouvement en trois dimensions: on croit arriver en plein tournage. Pourtant, pas d’acteur au laboratoire de cinésiologie. Ce sont les patients que les caméras scrutent.
Né dans les années soixante, ce centre est l’un des premiers en Europe à s’intéresser au mouvement et à l’activité musculaire pour la prise en charge des patients. Il bénéficie aujourd’hui d’un matériel technologique de pointe capable d’effectuer de véritables «radiographies» de la marche. «Nous plaçons sur les patients des petits capteurs qui analysent les mouvements des différents segments du corps. Ce sont les mêmes que l’on utilise au cinéma pour réaliser les effets spéciaux, explique le Dr Stéphane Armand, responsable du laboratoire. D’autres capteurs mesurent la force et l’activité électrique des muscles. Nous pouvons ainsi identifier très précisément les anomalies dans la marche ou le mouvement d’une personne.»
Caméras et déambulations
Cette après-midi, Julie* a rendez-vous pour un examen. Née avec une paralysie cérébrale qui altère sa marche, l’adolescente a subi plusieurs opérations pour allonger des muscles et rectifier les axes du tibia et du fémur. C’est une habituée du laboratoire où elle a déjà déambulé à plusieurs reprises sous l’œil des caméras.
Équipée d’une quarantaine de capteurs, Julie marche le long d’un chemin blanc dessiné au sol. «Chaque patient est unique, souligne la Dre Alice Bonnefoy, biomécanicienne. En fonction de la pathologie, nous leur demandons d’effectuer différents types de marche, par exemple en appuyant bien le talon au sol, afin de mettre en évidence les problèmes et en comprendre l’origine.» Ce type de séance dure souvent plus de deux heures. Des algorithmes calculent ensuite un nombre considérable de paramètres et les synthétisent.
Des indicateurs précieux
L’équipe scientifique passe en revue les résultats. En les combinant à l’histoire clinique du patient et à l’imagerie (radiographie, IRM, etc.), ils peuvent comprendre la problématique de marche et formuler des recommandations thérapeutiques. «Ces indications sont primordiales, confirme le Dr Geraldo de Coulon, chirurgien en orthopédie pédiatrique et spécialiste en neuro-orthopédie. Elles me fournissent des données personnalisées dont j’ai besoin pour l’opération, par exemple pour savoir de combien de degrés il faut tourner le tibia ou quel muscle il faut allonger.» Pour Julie, une ou deux interventions seront certainement nécessaires. «Elle va globalement mieux, mais a encore des problèmes de rotule qui pourraient être corrigés», constate le Dr de Coulon. Mais la chirurgie n’est pas toujours un passage obligé. Les analyses du laboratoire de la marche sont également utiles pour recommander d’autres thérapies, comme une orthèse (appareil destiné à soutenir une fonction locomotrice) ou de la physiothérapie, par exemple.
Grâce aux analyses précises obtenues au laboratoire, il est possible d’établir des soins personnalisés. Quel que soit son trouble de la marche – suite à une maladie à la naissance, un accident, un AVC, une amputation ou encore un problème lié à la maladie de Parkinson –, le patient bénéficie ainsi d’une prise en charge «sur mesure».
De la recherche de pointe
Une grande partie des activités du laboratoire de cinésiologie est consacrée à la recherche appliquée. Les spécialistes mènent de front plusieurs études pour répondre aux questions des cliniciens. Celles-ci cherchent à mieux identifier et comprendre les troubles du mouvement, mais aussi à évaluer et prédire l’effet des traitements. «Nous travaillons entre autres sur les prothèses totales de hanche et de genou, illustre le Dr Stéphane Armand, responsable du laboratoire des HUG. L’objectif est de déterminer les facteurs qui expliquent la réussite ou l’échec de la pose d’une prothèse.»
L’équipe de scientifiques s’intéresse également aux lombalgies non spécifiques, l’un des problèmes de santé les plus fréquents en Suisse. En analysant les mouvements et l’activité musculaire de personnes qui souffrent de maux de dos, les scientifiques du laboratoire espèrent améliorer la compréhension et trouver des biomarqueurs de la lombalgie.
Un autre projet phare du laboratoire, financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, est de prédire les modifications de la marche d’un patient en fonction des traitements envisagés par les cliniciens.
L’équipe scientifique travaille avec un groupe de recherche en biorobotique de l’EPFL et des chercheurs en apprentissage automatique (intelligence artificielle) de l’Université de Genève pour créer un simulateur de marche pathologique.
*Prénom d’emprunt.
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Article repris du site pulsations.swiss