Les effets inattendus du by-pass gastrique
«J’ai perdu 85 kg au lieu des 40 que les médecins avaient estimés. Je n’assimile presque pas les vitamines et les nutriments, explique Tina Desachy, 37 ans. J’ai d’importantes carences.» Opérée en 2004, cette patiente ne regrette toutefois pas d’avoir troqué ses pantalons taille 60 pour une taille 38. Mais elle doit prendre tous les jours des dizaines de comprimés pour palier ses carences.
Si le bypass gastrique fait des miracles sur la perte de poids, ce n’est pas une opération à prendre à la légère car les effets secondaires sont importants.
Les inévitables carences
«Les patients ne voient que l’aspect miraculeux de cette intervention. Ils vont pouvoir perdre rapidement des dizaines de kilos, explique Alain Golay, chef du service d’enseignement thérapeutique pour maladies chroniques des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ils sous-estiment souvent les conséquences. Les deux actions principales du bypass sont la réduction des quantités d’aliments que l’on peut ingérer et la malabsorption de ces derniers. Les carences sont donc inévitables.»
Un avis partagé par Véronique Di Vetta, diététicienne à la Consultation de prévention et traitement de l’obésité du Centre hospitalier universitaire vaudois (CH UV): «Deux ans après l’opération, les patients opérés ont tous des carences nutritionnelles qu’il faut compenser avec des vitamines et minéraux. Certains ne devront prendre que quelques comprimés par jour alors que d’autres en prendront une dizaine, auxquels peuvent également s’ajouter des injections tous les trois mois. Quelle que soit l’importance du traitement, il devra être pris à vie, en fonction des prises de sang régulières.» Et pas question de prendre le traitement à la légère car les conséquences sur la santé peuvent être graves: extrême fatigue, ostéoporose, neuropathies et même ralentissement cérébral.
Autres désagréments non négligeables: les troubles digestifs liés à toute opération du tube digestif. Ballonnements et diarrhée peuvent survenir occasionnellement, sans oublier les vomissements lorsqu’un repas a été avalé trop rapidement. «Les repas devraient durer au moins 30 minutes, même au début lorsque l’on ne mange que de toutes petites quantités. Les patients doivent apprendre à bien mâcher en faisant de minuscules bouchées et éviter de boire en mangeant car la poche gastrique créée par l’intervention n’est pas plus grande qu’une dosette de crème à café», précise Véronique Di Vetta.
Une nouvelle image du corps
Une fois les difficultés digestives apprivoisées, restent les conséquences esthétiques. «Le délabrement cutané est fréquent, poursuit Alain Golay. Un grand nombre de personnes opérées doit ensuite subir une opération de reconstruction esthétique.» Selon Véronique Di Vetta, «sur quatre personnes qui font une demande de remboursement de chirurgie esthétique à leur assurance-maladie après une opération de bypass, moins d’une est acceptée.»
Mais la chirurgie esthétique ne résout pas tout. «Avec une telle perte de poids, les patients se retrouvent en quelques mois vivant dans un nouveau corps, explique Jennifer Szymanski, psychologue-psychothérapeute à la Consultation de prévention et de traitement de l’obésité du CHUV. Ils peuvent ne plus se reconnaître. Ils ont quelques fois le sentiment de disparaître, d’autant qu’il n’est pas rare que leurs connaissances et proches ne les reconnaissent plus non plus. Certains patients ressentent le besoin de séduire à tout prix et peuvent adopter un comportement de type adolescent. Les problèmes dans le couple en phase post-opératoire sont d’ailleurs assez fréquents.» Des changements dans la personnalité sont aussi possibles. «Les personnes qui étaient passives et effacées par le passé ont parfois tendance à s’affirmer davantage et à dire tout ce qu’elles pensent sans en mesurer les conséquences, car elles ont une meilleure estime d’elles-mêmes. Cette opération peut mener à des situations psychologiques, sociales ou encore alimentaires très compliquées si elle n’est pas bien préparée.»
Un avis partagé par Alain Golay: «C’est une intervention exceptionnelle qui permet de faire perdre 30 à 40 kg à des personnes qui ont souvent de gros problèmes de santé liés à leur obésité. Mais elle provoque un grand bouleversement. C’est la raison pour laquelle les patients doivent être suivis par une équipe pluridisciplinaire.»
Au CHUV comme aux HUG, des cours préparatoires et un long suivi post-opératoire permettent aux patients de vivre cette étape importante le mieux possible. Reste que deux ans après l’intervention, environ 30% des opérés reprennent du poids. «La poche formée après le bypass peut se dilater si on recommence à manger trop souvent, avertit Alain Golay. Le suivi psychologique est indispensable pour éviter de retrouver le poids d’avant l’opération.»