Couper un membre est un choix parfois inévitable
De quoi on parle?
Les faits
Dans le film «De rouille et d’os», de Jacques Audiard, l’actrice Marion Cotillard est dresseuse d’orques. Suite à un accident, elle se retrouve privée de ses jambes.
Le bilan
L’amputation d’un membre, pratiquée en dernier recours, peut aussi sauver une vie.
«C’est toujours une décision difficile à prendre, qui intervient quand les autres thérapies mises en œuvre n’ont pas abouti. Avec la médecine actuelle des pays développés, l’amputation est toujours envisagée en dernier recours», observe le Dr Fritz Minger, chirurgien orthopédique à la Clinique de La Source, à Lausanne. Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), entre quarante et cinquante amputations majeures de pied et de jambe sont encore pratiquées chaque année. «C’est à cause de problèmes d’artères bouchées que l’on doit le plus souvent amputer», explique le professeur Pierre Hoffmeyer, directeur du département de chirurgie des HUG et chirurgien orthopédique. De manière générale, le recours à l’amputation diminue, car les maladies qui affectent les vaisseaux, comme le diabète, sont mieux contrôlées. De même, les problèmes d’artères liés au tabagisme régressent grâce aux techniques de revascularisation.
Accidents et infections
Autres causes pouvant nécessiter une amputation: les infections. «Les cas sont rarissimes, précise le professeur Hoffmeyer, mais il existe des infections, nommées fasciites nécrosantes, dues à des germes «mangeurs de chair». Ce sont des streptocoques ou des staphylocoques très virulents qui peuvent s’infiltrer dans une coupure ou une plaie banale chez une personne par ailleurs en excellente santé. Ces infections peuvent dégénérer en 24 heures et déboucher sur une amputation, voire sur un décès.» Quatre habitants de l’Etat de Géorgie, aux Etats-Unis, ont été victimes de ces infections foudroyantes ces dernières semaines et ont dû être amputés.
Plus fréquents sont les accidents de la route, qui peuvent causer des fractures multiples et dramatiques ou des écrasements des membres. Dans un premier temps, tout est tenté pour reconstruire les os et les tissus mous. Mais il peut arriver que les médecins doivent prendre la décision d’amputer. Soit d’emblée, si les dégâts sont irréparables, soit plus tardivement devant l’échec des interventions visant à la reconstruction du membre. «Nous amputons quatre ou cinq personnes par an pour cause d’accidents de la circulation ou de chantier, relève le professeur Hoffmeyer. L’amputation devient inévitable quand les lésions touchent l’ensemble du membre accidenté: les os, les artères, les veines, les muscles et les nerfs (perte de sensibilité).»
Malformations congénitales
La situation est encore plus dramatique lorsque l’amputation touche un enfant. «Choisir de sacrifier un membre en vue d’une meilleure motricité après l’opération», voilà le choix auquel sont confrontés les parents, résume le professeur Pierre Lascombes, chef de la chirurgie orthopédique pédiatrique aux HUG. Quelles sont les raisons qui poussent à amputer un enfant? «Une malformation congénitale, comme une jambe plus courte et mal formée avec un pied très tordu et difforme,ou encore un os qui manque,même si c’est assez rare, explique le professeur. Si la différence de longueur entre les jambes n’est pas trop grande,on peut allonger l’os,explique le chirurgien.Mais quand il manque plus de 20 centimètres, on propose aux parents, là encore, soit des opérations chirurgicales d’allongement du membre, mais alors la qualité de la fonction n’est pas garantie et le pied ou le genou risquent de rester raide, soit l’amputation.» Dans ces cas extrêmes, une amputation avec un appareillage permettra à l’enfant de courir, de faire du sport et de vivre presque normalement.
Une opération minutieuse et technique
L’amputation elle-même est un acte délicat et compliqué, qui passe par plusieurs étapes. «Elle a pour but non seulement de couper le membre, mais aussi de préparer la suite, c’est-à-dire l’appareillage, reprend le Dr Minger. Le niveau où l’on choisit de couper doit être le mieux adapté à la future prothèse. L’endroit exact où l’amputation va avoir lieu est déterminé grâce aux études d’oxygénisation des tissus réalisées en vue de la cicatrisation.» Le professeur Lascombes ajoute que «c’est une longue opération de trois heures environ. On utilise une scie chirurgicale pneumatique, mais l’opération consiste surtout à reconstruire les muscles et à étoffer le moignon pour que la prothèse y trouve un bon appui. Dans le cas de la jambe, si on est obligé de couper au-dessus du genou, il s’agit d’utiliser au maximum les muscles de la cuisse. Ceux de devant seront accrochés à ceux de derrière pour former un moignon protégeant l’os le mieux possible. La qualité de la peau qui recouvre le moignon est, elle aussi, essentielle. Parfois, on utilise celle du talon pour obtenir un très bon appui dans la prothèse».
«La technique d’amputation est restée assez simple, le geste lui-même n’a pas beaucoup évolué.Nos ancêtres amputaient déjà beaucoup, avec ou sans anesthésie», ajoute le Dr Minger, qui conclut, qu’«une amputation ne s’arrête pas au moment où la scie a tranché l’os. Dès le dernier point de suture, il faut déjà penser à la suite. Car la phase de réadaptation est cruciale: c’est elle qui permettra de rétablir la fonction, de marche par exemple, et d’augmenter peu à peu les performances.»
Des prothèses très sophistiquées
Technologie
L’appareillage orthopédique connaît de grandes avancées. La rééducation est plus rapide, on appareille les amputés plus vite et la qualité des prothèses progresse, en particulier en matière d’articulations. «Il existe par exemple des genoux prothétiques munis de gyroscopes et d’accéléromètres qui perçoivent à quel moment la personne monte ou descend les escaliers, et adaptent leur fonctionnement en conséquence» explique le Pr Hoffmeyer.
Ces étranges douleurs fantômes
Sensations
Aussi étrange que cela puisse paraître, ce n’est pas parce qu’un membre n’existe plus qu’il ne se manifeste plus à la conscience.
«Environ 90 à 95% des gens amputés d’un membre présentent des sensations fantômes, ce qui signifie qu’ils ressentent des sensations qui leur semblent venir de leur membre absent. Et 70% d’entre eux éprouvent des douleurs dans ce même membre, que l’on appelle douleurs fantômes», explique le Dr Danielle Skouvaklis, médecin au Centre de la douleur de la Clinique Cecil, à Lausanne. Il existe en fait des douleurs de deux types: soit dans le membre absent, soit à l’endroit de l’amputation. Ces dernières sont appelées douleurs du moignon et sont dues aux lésions ou aux sections de plusieurs nerfs du membre amputé. «Elles peuvent survenir malgré le soin que l’on prend habituellement à “enfouir le nerf” dans les muscles ou les tissus environnant la lésion», précise le Dr Skouvaklis.
Comment les douleurs fantômes sont-elles possibles? «Elles sont causées par la persistance de la représentation du membre amputé au niveau cérébral. La trace, la sensation, les perceptions douloureuses anciennes restent inscrites dans le système nerveux central», explique son collègue le Dr Philippe Mavrocordatos.