Amputation: de la décision à l'annonce
Même si cela paraît plutôt étrange, il arrive qu'un chirurgien soit confronté à un patient qui demande à être amputé. «Par exemple, des gens victimes de graves accidents qui sont certains que couper leur jambe va stopper leurs douleurs, alors que ce n'est pas forcément vrai», explique le professeur Pierre Hoffmeyer, directeur de la chirurgie aux HUG. «Car les douleurs peuvent exister indépendamment de leurs membres. Cela peut devenir un état de douleur chronique qui finit par envahir la vie du malade. Ce vécu douloureux ne dépend plus forcément de l'état local de la jambe, par exemple. Mais ces patients cherchent néanmoins quelqu'un qui va les amputer pour les soulager. Alors que leur état nécessiterait plutôt une assistance psychologique ou psychiatrique. On entend du coup de leur bouche: je préfère qu'on me coupe la jambe. Le problème, c'est qu’il n’y a aucune certitude que ce geste majeur, entraînant d’autres problèmes, soulagera vraiment le patient.»
Il n'est donc pas toujours facile de faire entendre raison au malade. «Nous suivons le patient, bien sûr, mais parfois nous sommes d'un avis contraire au sien et nous devons lui expliquer pourquoi, c'est notre rôle en tant que spécialistes», précise le professeur Hoffmeyer.
Accompagner le patient
Pour le Dr Fritz Minger de la Clinique de la Source à Lausanne, «C'est toujours une décision douloureuse, psychologiquement, pour le patient. Perdre un membre, c'est comme perdre un organe: c'est le processus de perdre une partie importante du corps, de soi.»
Pour lui, il s'agit de faire comprendre au patient que, malgré la douleur de perdre une partie de son corps, celui-ci sera sauvé en enlevant cette partie malade: «Mais il doit savoir que la guérison n'est souvent pas très rapide.L'important c'est de dialoguer avec le patient, pour qu'il comprenne qu'il n'existe pas d'autre solution et qu'il accepte la suite et le changement que cela implique. C'est une période très dure.»
Dans cette période post-opératoire, l'accompagnement est essentiel. «Il est important que le patient ne se sente pas abandonné une fois privé de son membre. Car il ne va pas guérir vite et tout seul, il nécessite un accompagnement souvent à vie. Une amputation ne s'arrête pas au moment où la scie a tranché l'os. Pour certains, ça représente moins une guérison que la fin d'une vie indépendante», conclut-il.
Comment réagissent les enfants et les ados?
Du côté de la pédiatrie, il faut gérer non seulement les petits patients, mais aussi leurs parents. «Lors de ces malformations très sévères, on parle avec les parents dès la naissance. Le problème c'est que le mot amputation fait peur. L'important est de faire comprendre que l'enfant marchera quand il en aura l'âge, même si c'est avec une prothèse. Parfois, une belle amputation vaut mieux que plusieurs années de chirurgie.»
Le Professeur Pierre Lascombes, directeur de la chirurgie orthopédique pédiatrique aux HUG explique que «c'est plus facile chez les petits que chez les ados. Les enfants de moins de 10 ans acceptent mieux l'idée de perdre un membre que ceux de 15-16 ans. Pour eux c'est dramatique, ils sont à l'âge des modifications du corps, du début de la sexualité où l'aspect et la beauté jouent un grand rôle.»
En tout cas, comme souvent en médecine, la communication médecin malade est essentielle. «Je dis toujours à mes jeunes médecins qu'il faut faire connaissance avec le patient, s'apprivoiser mutuellement. C'est trop facile d'être brutal et de parler d'amputation car le terme effraie. Il faut laisser les parents énoncer l'idée», précise le Pr Lascombes.
Si l'on n'est pas en situation d'urgence, que l'amputation est due à une maladie ou à une malformation congénitale, il faut donner du temps pour ce travail d'accompagnement préopératoire pour faire accepter l'amputation aux parents et à l'enfant. «On doit lui expliquer que c'est pour son bien. On insiste sur la qualité de la fonction plutôt que sur la perte: tu pourras remarcher, courir, faire du vélo, etc.»
L’amputation est une intervention chirurgicale aujourd’hui exceptionnelle chez un enfant. Les chirurgiens se battent pour garder la jambe aussi souvent que possible. Mais dans certaines situations, un jeune avec une prothèse fonctionnera mieux qu'avec un membre défaillant. «Le chirurgien doit assumer de parler à l'ado ou à un enfant et ne pas se retrancher derrière des collègues pédopsychiatres qui sont cependant nécessaires. Le contact est primordial, il faut suivre le patient, le voir, l'encourager. Et surtout bien le connaître», conclut le spécialiste