Peut-on choisir le sexe de son enfant?

Dernière mise à jour 24/04/19 | Article
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Plusieurs méthodes – basées sur l’alimentation, la date de conception ou même la position sexuelle – promettent aux futurs parents de choisir le genre de l’enfant à naître. Sont-elles vraiment fiables et vérifiées scientifiquement?

La presse internationale s’est récemment fait l’écho d’un programme de coaching dont le concept, aussi clair que sujet à controverse, est affiché sans détour: permettre aux parents de choisir «naturellement» le sexe de leur enfant. Sous forme d’une box «garçon» ou «fille» à commander dans les quelques mois qui précèdent la conception (moyennant 149 € par mois), la méthode se base sur deux techniques. D’une part, l’alimentation, dans le but «d’orienter le pH vaginal visant à favoriser le passage de spermatozoïdes XX ou XY vers l’ovule», et d’autre part, un suivi ciblé du cycle. Si cette méthode fait parler d’elle, c’est d’abord à cause de la question éthique soulevée par cette pratique d’orientation du sexe, mais aussi par sa validité scientifique… loin d’être vérifiée. «Ces méthodes fonctionnent toutes extrêmement bien… dans 50% des cas!» ironise le Pr David Baud, chef du Service d’obstétrique du Département femme-mère-enfant au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

Que dit la science?

Pas tout à fait 1 sur 2

En moyenne, 88 000 enfants naissent chaque année en Suisse, avec un ratio sur 100 naissances de 51,4 garçons pour 48,6 filles. Un paramètre démographique constant au fil des années, qui suit les tendances des autres pays développés et qui reste encore difficilement analysable. Ce léger déséquilibre pourrait s’expliquer par des facteurs environnementaux mais aussi physiologiques, comme l’explique le Pr Baud, chef du Service d’obstétrique du Département femme-mère-enfant du CHUV: «Il y a en effet un peu plus de nouveau- nés garçons, mais ils sont moins résistants que les filles. On observe par exemple environ 10 à 20% de survie supplémentaire pour les grands prématurés de sexe féminin. L’une des théories pour expliquer le sex-ratio serait donc que la nature s’équilibre seule…»

L’idée de favoriser la naissance d’un sexe plutôt qu’un autre grâce à l’alimentation trouve son origine dans une thèse des années 601. Des chercheurs se sont intéressés à l’influence de certains paramètres de l’eau sur le sex-ratio des batraciens. Leurs travaux ont conclu à l’époque qu’une eau riche en potassium favorise la naissance de têtards mâles, tandis qu’une eau riche en calcium augmente celle de têtards femelles. L’un des chercheurs, le Pr J. Stolkowski, décide alors de transposer l’étude aux bovins, en basant cette fois ses observations sur les aliments ingérés, destinés à modifier le pH vaginal du mammifère. Il annonce des résultats similaires, mais son travail suscite alors de vives réactions dans la communauté scientifique qui lui reproche un manque de rigueur et différents biais. «Transposer cette étude à des mammifères terrestres en observant non pas l’environnement mais les aliments ingérés paraît loufoque, explique le Pr Baud. Certes, il y a une variation du pH vaginal tout au long du cycle sous l’effet des hormones, mais l’influence de l’alimentation sur le pH n’est, quant à elle, que minime.»

Pourtant, le Pr Stolkowski, convaincu de la véracité de ses résultats, décide de tester ses conclusions sur l’espèce humaine et réalise une nouvelle expérimentation avec le Pr François Papa dans les années 702. Ils mettent au point ce qui sera plus tard surnommé le «régime papa», à adopter durant les trois mois qui précèdent la conception. Le but de ce régime est de créer soit un milieu acide, lorsqu’il s’agit de favoriser la progression des spermatozoïdes X (pour obtenir une fille), soit un milieu alcalin, pour faciliter la progression des spermatozoïdes Y (pour un garçon). Partant de ces simples observations en cabinet, le Pr Stolkowski affirme ainsi que «l’alimentation maternelle conduit à l’apparition préférentielle de l’un ou l’autre des deux sexes dans 80% des cas quand elle est déséquilibrée en ses constituants minéraux»3. Pour le Pr Baud cependant, il s’agit là d’«un chiffre sans fondement, sur un petit collectif de patients, publié dans une revue non scientifique. On ne sait pas comment les patientes ont véritablement suivi ce régime, ni quelle part du succès est attribuable au régime ou au simple hasard.»

Malgré cela, de nombreuses futures mères «s’échangent» cette recette et les forums sont riches en témoignages de femmes comblées ou déçues par cette méthode.

La période de conception

Une autre méthode souvent mise en avant est le «ciblage de l’ovulation». Dans les années 60, le Dr Landrum Shettles, partant du postulat que les spermatozoïdes X (filles) seraient plus résistants mais moins rapides que les spermatozoïdes Y (garçons), émet la théorie que la date de conception, plus ou moins à distance de la date d’ovulation, peut influencer le sexe de l’enfant. Une étude publiée dans Toxicological Research en 20’154 semble parvenir à des résultats semblables. Un rapport sexuel 2-3 jours avant la date d’ovulation favoriserait ainsi le succès des spermatozoïdes X, alors qu’un rapport un jour après la date d’ovulation favoriserait les spermatozoïdes Y. Pourtant, là encore, la communauté scientifique reste sceptique et d’autres recherches mènent à des résultats contradictoires. «Si les spermatozoïdes femelles étaient plus lents, comment expliquerait- on les faux jumeaux de sexes différents? s’interroge le Pr Baud. C’est le travail conjointement de tous les spermatozoïdes sur l’ovule qui permet à l’un d’entre eux de pénétrer la membrane. Ce n’est pas forcément le premier arrivé qui entre!»

Bébé sur commande

Certes, une méthode efficace existe désormais. Avec les avancées en matière de génétique et de procréation médicalement assistée, le choix du sexe est aujourd’hui une réalité. En Suisse, si la différenciation chromosomique dans le cadre d’un diagnostic préimplantatoire (DPI) avant une fécondation in vitro est possible (et fiable à quasi 100%), elle est soumise à une réglementation stricte et réservée à de très rares cas de risque de transmission de maladies génétiques ne touchant qu’un seul sexe. Elle est en revanche interdite pour «convenance personnelle». Mais tous les pays ne sont pas aussi rigoureux sur ces questions. Les États-Unis par exemple ont rendu accessible le choix du sexe, entre autres options génétiques, comme la couleur des yeux ou des cheveux. Une démocratisation de «l’enfant sur commande» qui soulève de nombreuses questions éthiques. «La crainte la plus répandue, c’est le risque que tout le monde veuille un garçon. Mais même si un déséquilibre peut rapidement avoir des conséquences néfastes sur la société, pour que cela survienne, il faudrait réunir ces conditions: qu’une majorité de parents aient recours à cette sélection, qu’ils aient tous la même préférence pour l’un des deux sexes et, enfin, qu’ils utilisent une méthode véritablement efficace, explique la Pre Samia Hurst, responsable de l’Unité d’éthique clinique du CHUV et directrice de l’Institut éthique, histoire, humanités (IEH2) à la Faculté de médecine de Genève. Ces conditions étant actuellement absentes en Suisse, cela fait trois bonnes raisons d’être rassurés.»

_________

1) Bellec A. «Influence des variations du rapport (K/Ca) du milieu d’élevage sur le développement de la croissance et la répartition des sexes chez les têtards de Discoglossus pictus (Otth)». Thèse, Université Paris 6, 1968.

2) Papa F. «Choisissez le sexe de votre enfant», Ed. JC Lattès, 2011 (première édition: 1983).

3) Stolkowski J., «Une aventure scientifique, le choix du sexe», Ed. Chiron, 1991. 4) Oyeyipo I. P., van der Linde M., du Plessis S. S. «Environmental Exposure of Sperm Sex-Chromosomes: A Gender Selection Technique», Toxicological Research, 2015.

 

Paru dans Le Matin Dimanche le 03/03/2019.

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