Bientôt un congé en cas de fausse couche?

Dernière mise à jour 10/07/23 | Article
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Suite à la demande de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des États (CSSS-E), le Conseil fédéral pourrait envisager l’instauration d’un congé payé en cas de fausse couche. Une initiative inédite pour un tabou qui demeure.

L’importance de faire le deuil d’abord…

Retenter sa chance, vite retomber enceinte: l’élan peut être légitime, sembler vital même pour une femme ayant subi une fausse couche, mais la prudence est de mise. «Après une fausse couche, le temps du deuil est essentiel, autant pour la grossesse qui s’est interrompue prématurément que pour celle qui peut suivre, indique la Dre Lamyae Benzakour, médecin adjointe, responsable de l’Unité de psychiatrie de liaison aux HUG. Le risque est sinon que la nouvelle grossesse se vive comme la continuité de la première, mais également comme sa "réparation", dans un contexte de chagrin et d’anxiété encore bien présents.» Et d’ajouter: «Au-delà de la grossesse elle-même, il y a bien sûr ce nouvel enfant, qui peut se vivre comme un "enfant de remplacement", plus ou moins consciemment chargé de consoler ses parents.» Quand savoir alors que c’est «le moment», qu’une nouvelle grossesse est possible? «Les indicateurs sont subtils et très personnels, mais ils sont de l’ordre d’un sentiment d’apaisement, comme si les choses s’étaient posées et permettaient d’entreprendre une nouvelle grossesse dans de bonnes conditions,» répond l’experte.

Aujourd’hui, c’est à partir de la 23e semaine d’aménorrhée (absence de règles) que les mères ont droit à l’allocation de maternité, même en cas de mort périnatale. Si une fausse couche survient, autrement dit un arrêt de la grossesse avant la 23e semaine, rien n’est officiellement prévu. Mais les choses pourraient changer. Estimant que «les conséquences d’évènements aussi marquants doivent être mieux prises en considération», la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des États (CSSS-E) a indiqué dans un communiqué de presse le 23 mai dernier[1] qu’elle souhaite charger le Conseil fédéral d’envisager l’instauration d’un congé payé en cas de fausse couche ou de mort périnatale. Si le postulat est confirmé au sein de la CSSS-E, «il sera transmis au Conseil fédéral qui disposera de deux ans pour remplir son mandat, par exemple en établissant un rapport, ou à tout le moins informer l’Assemblée fédérale de l’avancée de ses travaux», précise Harald Sohns, chef suppléant Communicationà l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS).

Si les modalités d’un tel congé ne sont pas encore connues, ce projet laisse entrevoir un progrès majeur salué par de nombreux experts, celui de «lutter contre la banalisation des fausses couches», résume la Dre Lamyae Benzakour, médecin adjointe, responsable de l’Unité de psychiatrie de liaison aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

Un deuil compliqué

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, ou presque: «Près d’une femme sur quatre va connaître une fausse couche au moins une fois dans sa vie, souligne le Pr David Baud, médecin-chef d'obstétrique au Département Femmes-mères-enfants du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Cette proportion considérable conduit à un paradoxe souvent dommageable. Et pour cause, du côté des soignants et des proches, une fausse couche peut être assimilée à un événement banal, presque naturel. Mais pour la femme, voire le couple, qui la subit, il n’en est rien et l’effroi peut être total.» Un constat partagé par la Dre Benzakour: «Que la grossesse ait été désirée ou non, investie ou non, qu’elle soit tardive ou pas, une fausse couche est tout sauf anodine. Elle peut exposer à une souffrance profonde et représenter un deuil particulièrement compliqué à entreprendre.»

Un congé spécial permettrait d’offrir un temps pour entamer ce processus de deuil et de rétablissement, mais les experts alertent: «Selon les modalités qu’il comporterait, il pourrait ne pas convenir à toutes les femmes, explique la Dre Benzakour. Et pour cause, chaque histoire est unique et il n’existe évidemment pas de règle universelle pour définir le temps dont une femme a besoin pour surmonter une fausse couche.» Et le Pr Baud d’ajouter: «Aujourd’hui, des arrêts maladie sont établis au cas par cas, quand cela est nécessaire, sur la base d’un diagnostic évaluant la santé physique et psychologique. Même si un congé spécial est mis en place, il est primordial que ce suivi médical personnalisé demeure.»

Quand consulter? 

Si des conséquences physiques, comme des risques d’hémorragie ou d’infections, peuvent survenir, les répercussions sur le long terme sont le plus souvent d’ordre psychologique. Un article paru en 2021 dans le Lancet[2] a ainsi rapporté les résultats d’une étude portant sur 537 femmes victimes de fausse couche: neuf mois après une perte de grossesse, 18% d’entre elles répondaient aux critères de stress post-traumatique, 17% d'anxiété modérée ou sévère, et 6% de dépression modérée ou sévère. Mais comment savoir, quand le choc d’une fausse couche survient, si la détresse ressentie est normale ou s’il faut consulter? «La première phase suivant une fausse couche est souvent très éprouvante car il s’agit de réaliser que "c’est fini". Cette souffrance est en lien avec ce deuil si particulier lié au fait de dire au revoir avant d’avoir pu vivre une histoire avec cet enfant à naître, explique la Dre Benzakour. Comme pour tout deuil, le temps nécessaire est propre à chaque personne. Mais il est crucial de consulter si la tristesse s’installe, s’accompagne de symptômes de dépression (perte d’élan, troubles du sommeil, voire pensées suicidaires) ou de stress post-traumatique (flash-back, cauchemars, crainte de retourner sur le lieu où s’est produite la fausse couche, etc.).»

Fausse couche: démêler le vrai du faux

En cas de survenue d’une fausse couche, le sentiment de culpabilité des femmes est fréquent et les idées reçues associées encore nombreuses. Zoom sur deux d’entre elles avec le Pr David Baud, médecin-chef d'obstétrique au Département Femmes-mères-enfants du CHUV.

Le plus souvent, l’hygiène de vie n’est pas en cause.

Vrai, ou presque. Le stress de tous les jours, les activités sportives, les rapports sexuels, les voyages: autant de facteurs régulièrement mis en cause en cas de fausses couches, à tort. Parmi les facteurs de risque de fausse couche: diabète, malformation utérine, maladie auto-immune (lupus, par exemple) peuvent être associés aux fausses couches et nécessitent donc un suivi médical pour identifier la maladie et la soigner.

Dans un cas sur deux, l’origine de la fausse couche est inconnue.

Vrai. Dans 50% des cas de fausse couche, aucune cause n’est identifiée à l’issue des investigations médicales. Un fait souvent déstabilisant ou frustrant, tant pour les soignants que pour la femme ou le couple concernés, mais qui a l’avantage d’exclure la présence d’une malformation génitale ou d’une pathologie pouvant mettre à mal les chances d’une nouvelle grossesse.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 09/07/2023

[1] https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sgk-s-2023-05-23.aspx

[2] Quenby S et al. Miscarriage matters: the epidemiological, physical, psychological, and economic costs of early pregnancy loss. Lancet. 2021 May 1;397(10285):1658-1667.

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