Paternité: Messieurs, votre âge compte
Ils ont le privilège de pouvoir envisager un enfant tout au long de leur vie, sans limite biologique ou presque. Contrairement aux femmes, chez qui la ménopause met fin à toute chance de grossesse, les hommes restent en effet fertiles jusqu’à la fin de leur vie. Mais pas à n’importe quel prix. Depuis quelques années, la science s’intéresse à l’impact de l’âge du père sur la grossesse et la santé de l’enfant. Et on peut s’en réjouir. Car «pendant longtemps, toute l’attention était portée sur l’âge de la mère, jugée responsable de la fertilité dans le couple, analyse la Dre Charlotte Coat, responsable du laboratoire de fécondation in vitro Fertas, à Lausanne. Heureusement, les sociétés évoluent et on s’intéresse davantage à la fertilité du père, mais aussi à ce qu’il transmet à l’enfant». Un changement de perspective d’autant plus bienvenu que les paternités au-delà de 40 ans représentent plus d’une naissance sur cinq selon l’Office fédéral de la statistique (2018).
En juillet dernier, le journal Maturitas de la Société européenne de la ménopause et de l’andropause a publié une synthèse des recherches sur le sujet*. Mais à partir de quand au juste peut-on parler de paternité tardive? «La définition varie selon les études, entre plus de 35, de 40 ou de 45 ans. La société américaine de médecine de la reproduction définit quant à elle 40 ans comme un âge paternel avancé», commente la Dre Ariane Giacobino, médecin adjointe au Service de génétique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). D’après la revue Maturitas, il y aurait une augmentation des complications durant la grossesse et l’accouchement lorsque les pères sont âgés de 45 ans et plus. Enfin, les enfants nés de pères mûrs seraient plus souvent que les autres concernés par des troubles neurocognitifs, psychologiques et des cancers durant l’enfance. Qu’en disent les experts et comment cela s’explique-t-il?
Fragilisation du matériel génétique
Tout d’abord, il faut savoir qu’avec l’âge, la qualité du sperme s’altère, explique la Dre Coat: «Le volume diminue et la mobilité des spermatozoïdes décroît», ce qui peut avoir des conséquences sur la fertilité. Sur le plan génétique, la présence de cassures au niveau de l’ADN des spermatozoïdes peut avoir des conséquences non seulement sur la fertilité mais aussi sur la santé de l’enfant. En effet, «les cellules aboutissant à la formation des spermatozoïdes auront effectué un très grand nombre de réplications tout au long de la vie, en moyenne 600 fois à l’âge de 40 ans!» illustre la Dre Giacobino. Des erreurs au cours des réplications peuvent entraîner des mutations au niveau de l’ADN des spermatozoïdes, sans compter que les processus de réparation sont moins efficaces avec le temps. Ceci peut conduire à des anomalies génétiques et donc à diverses maladies chez l’enfant à naître.
Pour ce qui est de la grossesse, le risque de fausse couche est plus important en raison d’une augmentation des anomalies chromosomiques numériques: «Selon certaines études, le risque peut même doubler en fonction de l’âge du père (entre 25 et 50 ans par exemple)», illustre la spécialiste des HUG. Une étude relève un risque plus grand de diabète gestationnel chez la mère. Une autre montre que les naissances prématurées et les petits poids de naissance seraient également plus fréquents.
Troubles psychiques
Quant à la santé de l’enfant et en particulier sa santé psychique, on observe une augmentation de la schizophrénie et de l’autisme chez ceux ayant un père plus âgé. Mais «il s’agit d’un risque faible pour des maladies somme toute assez rares», nuance la Pre Kerstin von Plessen, cheffe du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). De plus, on sait que d’autres facteurs que l’âge jouent un rôle plus important dans la survenue de ces maladies. «Pour la schizophrénie par exemple, des dispositions génétiques, un traumatisme ou le cannabis sont des facteurs déclencheurs avérés.»
A l’heure des remariages et des unions sur le tard, ces études sont là pour nous rappeler notre réalité biologique, quel que soit le sexe puisque l’on sait désormais que l’âge des deux parents pèse sur la possibilité et la santé d’un enfant. Si les risques augmentent avec l’âge des deux parents, 40 ans semble marquer un seuil. Même si les risques globaux sont faibles, un suivi étroit de ces grossesses tardives est vivement recommandé par les spécialistes.
L’âge de la mère: ce que l’on sait
Dès l’âge de 35 ans, la courbe de fertilité décroît sérieusement chez les femmes. A partir de 40 ans, c’est flagrant, il devient beaucoup plus difficile pour elles de tomber enceintes. Le risque de complications, quant à lui, augmente avec l’âge de la mère, si bien qu’on considère comme «à risque» les grossesses chez les femmes de plus de 40 ans. Plus l’âge de la mère est élevé, plus le risque de fausse couche et de trisomie 21 augmente, ce qui a donné lieu au développement de multiples tests. Dès 40 ans, on redoute un retard de croissance chez l’enfant, mais aussi un accouchement prématuré, ainsi que la survenue de diabète gestationnel et de prééclampsie. C’est pourquoi ces grossesses exigent un suivi étroit.
Pour en savoir plus: J’ai envie de comprendre… Ma grossesse, E. Lavigne, O. Irion, Ed. Planète santé, 2016.
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*«Maternal, infant and childhood risks associated with advanced paternal age: The need for comprehensive counseling for men», N. Phillips, L. Taylorb, G. Bachmann, Maturitas, 2019.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 36 - Décembre 2019