Un libre choix bon pour les patients, mais gare aux pièges!

Dernière mise à jour 16/04/13 | Article
Un libre choix bon pour les patients, mais gare aux pièges!
Depuis le 1er janvier 2012, les patients peuvent se faire hospitaliser où bon leur semble, partout en Suisse, même dans des établissements privés, même sans assurance complémentaire. Voilà pour le principe. La réalité, elle, est un peu plus compliquée, et les risques de devoir passer à la caisse existent.

Les nouvelles dispositions de la Loi fédérale sur l’assurance maladie (LAMal), ont apporté des changements importants dans la prise en charge hospitalière des patients:

  • La rémunération des hôpitaux se fait désormais par le biais de forfaits par prestation, selon le système dit Swiss- DRG, et non plus par des forfaits par jour. Cette structure tarifaire est la même pour toute la Suisse. Les tarifs diffèrent cependant selon les cantons;
  • le patient dispose d’un libre choix de l’hôpital, dans le cadre de l’assurance maladie de base, choix qui peut s’étendre aux établissements privés, et aux hôpitaux des autres cantons, pour autant qu’ils figurent sur la liste établie par son canton de domicile.

Un libre choix relatif

Cette notion de «libre choix» est toutefois relative, car elle suppose qu’un certain nombre de conditions soient remplies. Heureusement pour le patient, c’est son médecin traitant qui se chargera de toutes les démarches imposées par le nouveau système aux services cantonaux de la santé publique en application de la LAMal. Ce qui ne l’empêchera pas de participer activement au choix de l’établissement. Effectivement, on s’aperçoit souvent que le patient connaît mieux les possibilités qui lui sont offertes que son propre médecin! Le bouche à oreille joue un grand rôle dans ce domaine.

Tous les cantons romands appliquent bien entendu les mêmes règles, mais chaque canton reste souverain dans la constitution de la liste des établissements reconnus, et donc accessibles aux patients en assurance de base. Pour les cantons relativement peu peuplés, comme le Jura ou Neuchâtel, les listes sont assez simples. Pour des cantons comme Vaud et Genève, qui disposent d’un hôpital universitaire et de nombreux établissements de soins, publics, semi-publics ou privés, les listes peuvent devenir redoutablement complexes.

En effet, on y inscrit non seulement les établissements accessibles aux assurés de base, mais aussi pour quelles prestations ou spécialités ils sont agréés ou non, et encore en fonction de quotas éventuels fixés par les cantons. Autant dire que pour le patient, le nouveau système peut apparaître comme un sous-bois particulièrement touffu.

Or, la prudence s’impose, car en cas d’erreur, les coûts non couverts par le canton (55%) et l’assurance de base (45%) seront facturés au patient et comme certaines hospitalisations ne sont pas reconnues, ou pourraient être considérées comme injustifiées, le coût sera partiellement, voire entièrement à la charge du patient.

Garantie de paiement indispensable

Ce sont surtout les hospitalisations hors du canton de domicile qui peuvent poser problème. Le patient – là aussi par l’intermédiaire de son médecin – doit alors obtenir une garantie de paiement. En effet, les coûts ne seront complètement couverts que si la prestation demandée ne peut pas être satisfaite dans les établissements locaux ou que l’établissement figure sur la liste du canton de domicile. En Valais par exemple, on cite les transplantations et les grands brûlés, qui sont traités dans un hôpital universitaire hors canton, et sont couverts d’office; en revanche, pour les autres prestations non disponibles dans le canton, le médecin traitant ou hospitalier du patient doit demander au préalable une garantie de paiement au Médecin cantonal. A Fribourg, ce sont 4000 demandes qui sont traitées par année. Si la garantie est refusée, le patient – ou son assurance complémentaire – devra assumer la différence avec le tarif de référence de son canton. Aucun canton n’accepte de financer au-delà de son tarif de référence une hospitalisation dans un autre canton, motivée seulement par des convenances personnelles (proximité de la famille, etc.); dans ce cas, le patient doit disposer d’une assurance complémentaire, et toujours s’assurer qu’elle couvrira les frais. De nombreux patients ont vécu de très mauvaises expériences pour avoir fait aveuglément confiance à leur assureur privé ! Pour ce qui est des urgences, là aussi certaines restrictions peuvent être imposées par les cantons. Si le patient en situation d’urgence peut être transporté jusqu’à un hôpital de son canton, la garantie de paiement peut être refusée. Le patient devra donc prendre en charge une partie ou la totalité des coûts.

Encore utile la complémentaire?

«Chacun pouvant choisir son établissement hospitalier, on peut se demander si une assurance complémentaire se justifie encore»

On peut se demander si une assurance complémentaire se justifie encore, puisque l’assuré de base peut être hospitalisé dans l’établissement de son choix, y compris une clinique privée pour autant qu’elle soit agréée par le canton. Or, l’assurance privée conserve des avantages, notamment celui de pouvoir choisir le médecin qui vous opérera, et celui d’être assuré de trouver un lit dans une clinique, même si celle-ci est soumise à des quotas de patients assurés de base. Enfin, l’assurance complémentaire peut couvrir des frais qui ne sont pas pris en charge par le canton et l’assurance de base. Il est toutefois impératif de se faire confirmer, avant toute chose, que la caisse payera les frais prévus.

«Si vous cherchez le libre choix du médecin et l’hôtellerie de luxe, l’assurance privée reste nécessaire, même si les cliniques privées qui collaborent avec le secteur public ne l’offrent pas – mais ne l’empêchent pas non plus», observe Adrien Bron, directeur de la Santé publique à Genève.

Pour les patients, un bilan plutôt positif…

«Pour le patient, l’éventail des établissements est plus grand, les délais réduits, et il peut même se poser la question du confort.»

Après un peu plus d’une année d’application, la nouvelle organisation est plutôt avantageuse pour le patient : l’éventail des établissements à sa disposition est plus grand, les délais d’attente sont réduits, et il peut même se poser la question du confort, surtout pour les patients disposant d’une assurance complémentaire – ce qui peut entrer en ligne de compte dans la concurrence entre établissements. En Valais, «le confort des patients est élevé, avec des chambres à deux lits», assurent le Médecin cantonal, Christian Ambord, et Yves Martignoni, du Service de la santé publique.

Vice-président de la Fédération suisse des patients et Conseiller national, Jean- François Steiert remarque que peu de plaintes ou de recours sont intervenus jusqu’ici, mais plutôt des demandes de renseignements, surtout sur la question de l’assurance complémentaire.

... mais des effets indésirables

Parmi les effets indésirables de la réforme, Jean-François Steiert évoque des patients qui arrivent en «moins bon état» qu’auparavant dans les établissements de réhabilitation. En effet, ils sont tiraillés entre la volonté des directeurs d’hôpitaux de les voir sortir le plus vite possible, et la volonté des assurances de les garder à l’hôpital le plus longtemps possible! Ce phénomène fait partie des conséquences un peu absurdes du système, pour lequel la Fédération demande que des études approfondies soient faites, sur ses effets voulus et non voulus. Autre conséquence problématique, selon Jean-François Steiert: on accentue la concurrence entre les hôpitaux, qui parfois veulent investir massivement dans le même domaine, «ce qui constitue une dilapidation de l’argent public. L’intérêt du patient est dans une certaine concentration des prestations complexes, pas de voir s’ouvrir toute une série de centres privés qui font la même chose que les autres, juste parce que c’est rentable sur le moment.»

Ramener les médecins à la médecine

Un autre problème est que le système des DRG, avec codage-décodage mis en place par chaque assureur, a conduit nombre de médecins à travailler dans le secteur administratif, dans un pays qui manque de médecins. «Il faut ramener le médecin à faire de la médecine, dit le conseiller national, et confier ces tâches administratives à d’autres personnes. Si on pouvait récupérer la somme des heures de médecins consacrées à ce travail, on pourrait augmenter de 50% le nombre d’heures de médecins qualifiés à pratiquer la médecine plutôt qu’à se consacrer à d’autres tâches. «Il existe d’ailleurs une proposition du Conseiller national Igazio Cassis de créer un seul centre de codage, plutôt que plusieurs dizaines chez les assureurs.»

Pour le patient, une offre opaque

Ce qui manque aux patients pour pouvoir pleinement exercer leur libre choix, c’est la possibilité d’évaluer les hôpitaux et cliniques sur le plan de la qualité des soins et de l’accueil, au-delà de chiffres sommaires et peu significatifs qui existent sur… la mortalité par établissement ou le volume d’activité, qui sont certes déjà indicatifs! Alors qu’en France ou aux Etats-Unis, par exemple, des comparatifs multicritères fouillés sont publiés chaque année, en Suisse, l’information disponible pour comparer les établissements est quasi nulle. «Il y a très peu d’indicateurs de qualité des hôpitaux en Suisse, souligne Nicolas Pétremand, chef du Service de la Santé publique du Canton du Jura. Même si je ne suis pas favorable à un Gault & Milliau des hôpitaux, il n’y a aucune véritable classification fiable de la qualité des établissements hospitaliers. Nous sommes très faibles de ce côté-là.»

Des budgets cantonaux en hausse

Dans tous les cantons, on observe qu’avec le nouveau système, l’augmentation des coûts pour l’Etat grève de manière très importante les budgets de la santé et dé charge d’autant les assurances complémentaires, sans qu’il y ait davantage de prestations offertes. Les hospitalisations hors canton sont bien plus importantes (établissements privés, nouveaux tarifs) alors que les cantons doivent également financer les établissements privés sis sur leur territoire. Comme l’observe, un peu désabusé, Nicolas Pétremand à Delémont, « l’Etat a versé 750 000 francs en 2012 à la Clinique du Noirmont (établissement privé, mais reconnu sur la liste jurassienne, et par de nombreux autres cantons d’ailleurs), alors qu’avant le séjour était entièrement financé par l’assurance maladie de base; mais les primes ne baissent pas…». Pour les hospitalisations hors canton, ce sont 12 millions supplémentaires (+70%) à la charge du canton du Jura, et cela principalement au bénéfice des assureurs complémentaires cette fois.

Pour le canton de Genève, cette nouvelle organisation a induit un surcoût de 19 millions de francs en 2012, et 15 millions en 2013. Cette diminution s’explique par le retrait de l’obstétrique du processus. «Ce surcoût pour l’Etat est un peu rageant, observe Adrien Bron, directeur de la Direction générale de la santé: nous avons de grands besoins de financement dans la santé publique et là, nous devons couvrir des frais qui auparavant étaient couverts sans argent public. On ne finance pas des prestations en plus, on finance des frais qui étaient couverts par l’assurance complémentaire…».

Au niveau administratif, le nouveau régime complexifie passablement les choses pour les cantons, ne serait-ce que parce qu’il y a beaucoup plus de factures à gérer. Réparties en 23 groupes, les prestations atteignent le nombre de 5000 à 6000, chaque prestation ayant une valeur de point spécifique. Multipliée par le tarif, cette valeur de point détermine la facture finale.

A Genève, un bilan globalement positif

Comment avez-vous abordé cette réforme?
Adrien Bron1: Nous avons pris la LAMal à la lettre, c’est-à-dire en tenant compte de l’offre privée, et en établissant une liste qui réponde aux besoins de la population. Nous avons procédé à un appel d’offres pour définir un certain nombre de pôles d’activités. A partir de là, nous avons fait notre choix en fonction de la qualité des prestations que les cliniques pouvaient offrir, et du volume d’activité possible.
Les cliniques ont-elles joué le jeu?

Nous sommes satisfaits de la manière dont les cliniques privées ont joué le jeu l’année dernière, nous avons développé des relations en toute transparence ; et nous sommes contents d’avoir ainsi obtenu un complément de prestations en soins aigus à Genève, ce qui permet de désengorger certains secteurs et d’offrir des alternatives. Les mandats ont été bien remplis, ce qui veut dire que des patients sans assurance complémentaire ont été soignés dans des cliniques privées. A Genève, cela représente plusieurs milliers de personnes.

Y a-t-il encore des problèmes non résolus?

Sur le marché privé, la régulation est encore en cours et elle est assez douloureuse car certains assurés risquent de se retrouver sur le carreau. On pense notamment aux assurés âgés que Supra laisse tomber au moment où ils ont le plus besoin d’être couverts, alors qu’ils ont payé leurs primes pendant des dizaines d’années. Nous les encourageons à le faire savoir, car la concurrence peut susciter une moralisation du marché ; ces personnes doivent savoir qu’il existe des assurances à Genève qui couvrent toutes les prestations.

Un échec?

Le seul échec total que nous ayons rencontré, c’est avec les cliniques privées et l’obstétrique, parce que les gynécologues-obstétriciens ont refusé de traiter les cas au tarif DRG. On peut le comprendre: c’est un domaine dans lequel on ne peut rien planifier, il y a beaucoup de stress, de travail de jour comme de nuit, et la responsabilité de deux vies entre vos mains. Et tout cela, pour le tarif DRG qui ne rapporte aux gynécologues-obstétriciens que quelques maigres centaines de francs, alors qu’en privé ils peuvent gagner dix fois plus. Nous ne donnons donc plus de mandats publics dans ce domaine aux cliniques privées, tout est fait dans nos établissements médicaux.

1 Directeur de la Direction générale de la Santé.

 

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