Un immeuble pour les hypersensibles
C’est une première en Europe. Leimbach, banlieue résidentielle à 15 minutes du centre-ville de Zurich, accueille depuis le mois de décembre un immeuble dédié aux personnes souffrant d’hypersensibilité chimique multiple (ou MCS pour Multiple Chemical Sensitivity) et/ou électromagnétique. Fruit d’une collaboration étroite entre la ville de Zurich et la coopérative d’habitation Gesundes Wohnen MCS, présidée par Christian Schifferle, ce projet a mis six ans à voir le jour. Il accueille aujourd’hui dix locataires.
Maladie non-reconnue
Pour obtenir un bail dans ce petit immeuble de 15 appartements, il faut tout d’abord fournir un certificat médical, afin d’attester que son état de santé n’est pas compatible avec la vie dans un logement classique. Chose pas forcément aisée dans la mesure où le syndrome MCS n’est pas reconnu officiellement par la médecine (voir encadré). « C’est un vrai problème, reconnaît Pierre, qui a rejoint l’immeuble au printemps. Une maladie existe quand il y a des marqueurs biologiques qui sont modifiés, or dans notre cas, la médecine traditionnelle n’a encore pas trouvé la manière d’objectiver notre souffrance. » Les personnes qui s’estiment atteintes de ce type de syndrome relatent souvent avoir du mal à se faire entendre par les praticiens, «on nous soupçonne de mentir, d’exagérer ou le plus souvent d’avoir un problème psychique», ajoute Pierre.
Une situation délicate pour les médecins qui sont face à un tableau clinique complexe, mais non spécifique. « Aujourd’hui il est certain que nous ne connaissons pas les mécanismes biologiques qui pourraient expliquer ces hypersensibilités, constate le professeur Frédéric de Blay, pneumologue au CHU de Strasbourg. Et c’est un peu le défaut des médecins, on ne cherche que ce que l’on connaît, donc quand on ne connaît pas… » Habitué à recevoir en consultation des patients qui se décrivent comme MCS, Fréderic de Blay explique que beaucoup racontent avoir développé des symptômes à la suite d’une exposition aiguë à des produits chimiques, lors d’un incendie ou d’un accident par exemple. Les patients pourraient souffrir, dans ce cas, d’une sorte de stress post-traumatique. « Mais les symptômes sont très variés et diffèrent souvent d’une personne à l’autre. Beaucoup cumulent sensibilité aux produits chimiques et aux ondes électromagnétiques, cela complique d’autant plus le diagnostic », constate Frédéric de Blay.
Sources de nuisances infinies
Quelle que soit la cause de leur maladie, pour les personnes concernées vivre dans un immeuble classique s’apparente souvent à un véritable calvaire. Peinture, colle pour tapisserie, produits d’entretien, plaques et chauffage électrique, etc.: les sources de nuisances sont infinies. Christian Schifferle, qui s’est battu pendant vingt ans pour qu’un immeuble comme celui de Leimbach puisse voir le jour, raconte qu’avant d’y emménager il passait le plus clair de son temps dans la montagne où il a aménagé une caravane, aux parois recouvertes d’aluminium: «C’est le seul moyen de limiter aux maximum les émanations de substances chimiques.» Cette alternative, choisie par de nombreuses personnes hypersensibles, est cependant difficilement compatible avec le maintien d’une vie sociale. «Notre maladie a déjà tellement tendance à nous isoler, déplore Pierre. Je suis encore jeune et je ne voulais pas renoncer à vivre! Ici j’ai la possibilité, les jours où mon état de santé le permet, d’aller me promener un petit moment au bord du lac, c’est précieux pour le moral!»
Changer toutes ses habitudes
Référence en matière de construction écologique, ou Bauökologie, la ville de Zurich décide en 2008 de soutenir l’initiative de Christian Schifferle. Un projet qui aura mobilisé de nombreux acteurs, dont Michael Pöll, spécialiste de Bauökologie dont la mission était de coordonner le travail des différents corps de métier dans le respect des contraintes liées au projet: « Il a fallu former tous les artisans, car chacun a dû adapter ses méthodes de travail.» Des matériaux utilisés aux techniques, le but était de minimiser les sources potentielles d’émanations de produits chimiques et de limiter la pénétration des ondes électromagnétiques. Les matériaux organiques ont été évités au maximum au profit des produits minéraux. Le plafond des appartements est en ciment brut, les murs juste recouverts de chaux, les fenêtres en plastique car le bois est source d’irritations, et le sol est en pierre. Les câbles électriques ont été isolés de manière spécifique, et un réseau de fibres de verre bloque le passage des ondes.
A cela s’ajoute la charte de vie que doivent signer les locataires. Cigarette et téléphones portables sont proscrits, comme tout autre appareil électronique sans fil. Les produits d’hygiène et de nettoyage doivent répondre à des normes strictes. « Emménager dans cet immeuble nécessite de dire au revoir à ses habitudes d’avant, et il faut être prêt à recommencer quelque chose de neuf », prévient Michael Pöll. Mais d’après Christian Schifferle, ces contraintes seraient bien acceptées par les locataires. « Nous sommes très heureux d’avoir enfin trouvé un “ refuge ”, explique-t-il. C’est très bénéfique de vivre avec d’autres personnes qui comprennent cette maladie, et l’ambiance est très positive.» Il aimerait maintenant que l’immeuble de Leimbach soit un modèle pour d’autres constructions et que l’engagement de la ville de Zurich soit suivi par d’autres municipalités ailleurs dans le pays.
Traitements empiriques
Toux, maux de tête, troubles visuels, fatigue intense, difficulté à se concentrer, douleurs musculaires, etc: la liste des symptômes décrits par les personnes hypersensibles est longue et laisse perplexe le monde médical et scientifique. «On entend souvent dire que tout cela est psychologique, relève le professeur Frédéric de Blay, pneumologue au CHU de Strasbourg. Mais les hypersensibilités sont tellement handicapantes qu’elles poussent souvent à l’isolement social, au repli sur soi, voire à la dépression. Il est donc difficile de savoir si la souffrance psychologique est la cause ou la conséquence de la maladie.» Parmi les hypothèses explicatives avancées, celle d’une prédisposition génétique qui altérerait les capacités de l’organisme à métaboliser les substances chimiques environnementales retient l’attention des spécialistes. En attendant que les mécanismes de la maladie soient compris, les traitements restent empiriques.